Lactalis, ce géant du lait vilipendé par les éleveurs

Par Giulietta Gamberini  |   |  677  mots
Sur son site, le groupe indique réaliser 58% de son chiffre d'affaires en Europe, 21% dans les Amériques, 14% entre l'Asie et l'Océanie et 7% en Afrique.
Fondé à Laval en 1933, Lactalis est désormais une multinationale qui collecte annuellement 15 milliards de litres de lait à travers le monde. Très attachée à son héritage familial et territorial, elle absorbe plus de 20% du lait français.

Un groupe réunissant une douzaine de marques et quelque 75.000 collaborateurs à travers le monde, pour 17 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2014. C'est un tel colosse que défient les producteurs de lait de l'Ouest de la France, qui manifestent à partir de lundi 22 août près du siège de l'entreprise à Laval. Depuis 1933, date de sa création dans le département de Mayenne, Lactalis -qui à l'époque, et jusqu'en 1999, s'appelait Besnier comme son fondateur, André- est devenue une multinationale qui aujourd'hui se dit "le premier groupe laitier au monde", devant Nestlé. Le camembert Président (inventé par Michel Besnier, fils d'André, qui en fera le fromage-roi de la grande distribution), le lait Lactel, le beurre Bridel, mais aussi la feta Salakis ou le yaourt grec Athentikos, pour ne citer que quelques-uns de ses produits, sortent de ses 229 sites industriels disséminés dans 43 pays.

Si les comptes de l'entreprises n'ont été publiés qu'une fois, par obligation légale, en 2011, lors d'une OPA hostile sur la puissance italienne de l'agroalimentaire Parmalat -que Lactalis a finalement acquise-, le géant du lait était alors paru en bonne santé, avec une marge opérationnelle de 8 à 9 %. Depuis, il a encore acquis l'Italien Galbani, les Turcs Ak Gida, les Indiens Tirumala Milk Products et Anik. ... Sur son site, le groupe, qui collecte annuellement 15 milliards de litres de lait, indique réaliser 58% de son chiffre d'affaires en Europe, 21% dans les Amériques, 14% entre l'Asie et l'Océanie et 7% en Afrique.

Un groupe à 100% familial

Dirigée depuis 2.000 par le petit-fils du fondateur, Emmanuel Besnier, ce leader international reste toutefois très attaché à son héritage familial et territorial. La propriété du groupe est toujours intégralement détenue, via un holding en Belgique qui regroupe les différentes filiales, par trois personnes : le PDG, treizième fortune de France, avec un patrimoine de 6,8 milliards d'euros, selon le magazine Challenge, son frère Jean-Michel et sa sœur Marie, qui siègent au conseil de surveillance.

Malgré son internationalisation croissante, Lactalis conserve son siège social près de Laval, où il est le plus grand employeur et continue de sponsoriser le club de football local. Emmanuel Besnier, qui vit à Paris et a un bureau dans la tour Montparnasse, s'y rend régulièrement en TGV. Dans l'Hexagone, Lactalis compte d'ailleurs 15.000 de ses salariés répartis entre 63 sites industriels, et absorbe plus de 20% du lait français, qu'il collecte auprès de 17.000 producteurs, surtout dans le Grand Ouest.

Bras de fer et discrétion

Interlocuteur incontournable pour les producteurs laitiers de France, voire désormais du monde, Lactalis est désormais rompu aux conflits. Avec, tout d'abord, les éleveurs français qui, encore en juillet 2015 avaient bloqué son siège, et qui cette année promettent de rester mobilisés au moins une semaine. Mais aussi avec les distributeurs, comme Leclerc, avec qui il a engagé, il y a quelques années, une bataille sur le prix de ses produits : pendant un an, le géant du lait n'avait plus livré la chaîne de supermarchés.

En Italie, Lactalis doit même gérer la fronde des actionnaires minoritaires de Parmalat, qui reprochent au français une gestion trop autoritaire. De l'autre côté des Alpes par ailleurs, le groupe s'est retrouvé inquiété par la magistrature, qui enquête sur un éventuel conflit d'intérêts dans la vente à Parmalat d'une autre filiale, l'américaine Lag.

Mais même au milieu de tels marasmes, le géant du lait cultive une politique de discrétion : son nom n'apparaît sur quasiment aucun de ses produit, son siège à Laval est situé au fond d'une impasse, son PDG fuit les interviews. L'appel au calme lancé ce matin aux agriculteurs a été encore une fois laissé au directeur de la communication du groupe Michel Nalet. Au micro de France Inter, ce dernier n'a pas manqué de rappeler le pouvoir contractuel du groupe : "On ne peut pas à la fois (...) stigmatiser notre groupe et demander de se mettre autour de la table".