Pourquoi la « grande alliance stratégique » avec GM a conduit PSA dans les bras de Dongfeng

Par Alain-Gabriel Verdevoye  |   |  1412  mots
Le constructeur amérciain est un habitué des mariages ratés
La mirifique « alliance stratégique mondiale » franco-américaine n'empêche pas PSA, à court d'argent, de chercher d'autres investisseurs en la personne notamment du chinois Dongfeng. Son mariage avec GM est resté cantonné à l'Europe, au grand dam du groupe tricolore. Et, sur le Vieux continent, les parts de marché des deux alliés continuent de chuter.

Annoncé fin février 2012 comme une « alliance stratégique mondiale », le mariage PSA-GM n'a pas vraiment porté ses fruits. Un an et demi à peine après la publication triomphale des bans, le constructeur tricolore se voit en effet contraint de négocier un autre rapprochement... Avec le chinois Dongfeng, cette fois. Un retournement jamais vu dans l'automobile.

Il est vrai que le milliard d'euros levé en mars 2012, dont plus de 300 millions déboursés alors par GM pour prendre 7% de PSA, a vite été englouti. Le groupe automobile français a en effet brûlé trois milliards d'euros de cash l'an dernier et devrait en avaler encore 1,5 milliard cette année. Le retour à l'équilibre promis initialement pour la fin 2014 n'est même plus évoqué par Philippe Varin, le président du constructeur tricolore.

Un besoin urgent d'argent frais

D'où l'impérieuse nécessité pour PSA de trouver à nouveau de l'argent frais. Or, l'allié américain a réitéré à plusieurs reprises qu'il ne souhaitait pas a priori remettre au pot. S'il ne bouge pas, le groupe de Detroit risque même de se trouver dilué lors de la prochaine augmentation de capital de PSA qui se profile.

 Les négociations tournent désormais autour d'une éventuelle entrée de Dongfeng, le partenaire de PSA en Chine, dans le capital du groupe hexagonal - accompagnée d'une possible entrée de l'Etat français. Fini donc les envolées lyriques sur la grande alliance prometteuse avec GM. Un revers de plus pour Philippe Varin, le patron de PSA qui avait échoué dans sa précédente tentative d'alliance avec le japonais Mitsubishi.

Il est vrai que la situation de PSA s'est dégradée depuis les accords PSA-GM du début 2012. Or, l'état de PSA inquiète GM, qui ne veut plus trop se mouiller et craint pour les projets de coopération entre Opel, sa filiale allemande structurellement déficitaire, et la firme française.

Rien de concluant hors d'Europe

Mais, plus structurellement, l'alliance franco-américaine n'a pas répondu  aux espoirs nourris initialement par PSA, celui-ci ayant entre-temps réduit la voilure de ses coopérations  historiques avec Ford et BMW... Cette alliance se cantonne tout d'abord bel et bien aujourd'hui à l'Europe. En Chine, les deux alliés n'ont pas les mêmes partenaires - Dongfeng pour PSA, et son rival traditionnel SAIC pour GM. Pas question donc que l'américain, qui est le numéro un en Chine, aide le français, dont la part de marché reste inférieure à 4%. SAIC veille sur ce point.

Mais, ailleurs, GM n'est pas non plus plus enclin à donner un coup de main à PSA. Au Brésil, où GM figure traditionnellement parmi les trois grands constructeurs locaux, aucun accord n'a été conclu à ce jour. Malgré les assurances répétées de Philippe Varin sur des discussions en cours concernant l'Amérique du sud.

Seul résultat concret de l'alliance : un manque à gagner pour le français...

Pourtant, PSA, dont les ventes chutent au Brésil et qui y détient une part de marché tout juste supérieure à 4%, aurait bien besoin de GM, notamment pour sortir enfin un « Carro popular », c'est-à-dire une petite voiture à bas coûts et moteur de faible cylindrée rentrant dans une catégorie fiscalement favorisée qui représente environ la moitié du marché local. Ce projet de petit véhicule conjoint pour l'Amérique latine devait pourtant être l'un des programmes phares de l'alliance franco-américaine…

En Inde, où GM est présent mais où PSA avait reporté ses projets sine die faute de moyens, on ne voit pas non plus poindre de soutien de la part de GM… Rien non plus en Russie à ce jour. En revanche, à la demande pressante de GM, PSA a dû abandonner l'Iran, son deuxième débouché mondial derrière la France avec 472.800 unités en 2010. L'Iran était un marché historique pour Peugeot. Mais GM, qui veut se conformer à la stricte politique d'embargo des Etats-Unis, a fait pression. Le seul résultat concret de l'alliance hors d'Europe a débouché sur... un manque à gagner pour le français.

Chevrolet, le trouble-fête

L'alliance se cantonne de facto à une alliance entre PSA et Opel. Problème : GM pratique sur le marché européen la concurrence interne entre Opel, d'une part, et sa marque Chevrolet de l'autre. Celui-ci écoule effectivement sur le Vieux continent des modèles pour l'essentiel produits en Corée à des coûts moindres que ceux d'Opel.

GM clame certes haut et fort que les marques ne se cannibalisent pas, les Chevrolet étant plus bas de gamme qu'Opel. Il n'empêche. La rivalité interne existe. Chevrolet n'est d'ailleurs pas concerné, du moins à ce stade, par les accords entre PSA et Opel.

 Une première voiture commune en 2016

L'alliance se borne donc à des petits moteurs conjoints à l'étude et trois projets de plate-formes  communes avec, à la clé, la production de véhicules en collaboration, selon les derniers accords paraphés en décembre dernier.  Les trois projets communs de véhicules seront tous développés sur une plate-forme du constructeur français.

Ce qui prouve d'ailleurs la faiblesse de l'apport technologique de GM à l'alliance. PSA et General Motors ont annoncé début octobre qu'ils allaient produire la prochaine génération de leurs petits monospaces dans l'usine… GM de Saragosse, en Espagne Les premières voitures issues de cette collaboration doivent être lancées...  fin 2016. C'est normal vu les délais de développement, mais bien long vu la mauvaise situation des deux sociétés.

Rien n'est prévu dans le haut de gamme

En revanche, et contrairement à ce qui avait été évoqué à la fin du mois d'octobre 2012, les deux entreprises ne parlent plus de travailler ensemble dans le haut de gamme. Et les projets industriels ne vont pas sans heurts. L'étude un temps d'une remplaçante de la Citroën C5 de gamme moyenne supérieure sur une base Opel a finalement été abandonnée. Du coup, le successeur de cette C5 a déjà pris un an de retard !

 

PSA et Opel ont de sérieux problèmes de surcapacités

Et puis. Et puis... le rapprochement  PSA-Opel apparaît comme celui de deux constructeurs malades. General Motors a enregistré l'an dernier un déficit d'exploitation (Ebit) de 1,8 milliard de dollars (1,4 milliard d'euros) en Europe, après 747 millions en 2011. Le consortium de Detroit, qui perd de l'argent sur le Vieux continent depuis plus de dix ans, vise l'équilibre... d'ici à 2015.

L'an dernier, Opel (avec la marque Vauxhall sur le marché britannique) a poursuivi sa dégringolade des ventes à 1,05 million d'unités en Europe, qui absorbe la quasi-totalité de ses ventes puisqu'il est pratiquement absent hors du Vieux continent, contre 1,22 million un an auparavant. Peu glorieux.

PSA et Opel  sont confrontés tous deux à des problèmes de surcapacités. PSA doit d'ailleurs fermer son usine d'Aulnay et Opel celle de Bochum (Allemagne) fin 2014. Les deux groupes affrontent des chutes de parts de marché en Europe. PSA a vu ses immatriculations dans l'Union européenne reculer de 12,3% sur huit mois, GM de 8,3%. Leur pénétration dans l'Union n 'est plus que de 11,2% (12;1% il y a un an)  pour PSA et 8,1% (contre 8,3%) pour GM.

Le constructeur américain est un habitué des mariages ratés

GM a, de toutes façons, toujours raté ses alliances dans l'histoire. Il a en effet fini par céder progressivement toutes ses participations dans les constructeurs japonais comme Fuji Heavy (Subaru), Suzuki, Isuzu. Il a dû aussi liquider la marque suédoise Saab qu'il avait rachetée au début des années 90, faute d'avoir su la faire vivre. Et sa grande alliance avec Fiat au début des années 2000 s'est soldée par un fiasco, l'américain ayant même dû verser 1,5 milliard d'euros au groupe italien pour prix de la rupture.

 Le constructeur du Michigan, qui n'a dû son salut qu'aux 50 milliards de dollars injectés par l'Etat fédéral américain en 2009 alors qu'il était près de la faillite, a même longuement négocié la cession d'Opel à ce moment-là. Les discussions avec l'équipementier canadien Magna allié à des intérêts russes étaient même presque conclues, quand GM a fait volte face in extremis, décidant de ne pas vendre. Au grand dam de la chancelière allemande Angela Merkel, qui a peu apprécie ce coup de théâtre.