Alfa Romeo attend toujours une hypothétique résurrection

Par Alain-Gabriel Verdevoye  |   |  1422  mots
L'Alfa Romeo Giulietta est une compacte, rivale des Renault Mégane, VW Golf, Peugeot 308 ou autres Audi A3
Cette année, la marque italienne va écouler à peine 80 à 90.000 véhicules , soit le pire résultat depuis 45 ans! Un nouveau plan de relance doit être annoncé en avril 2014. Mais cette marque mythique, qui fut jadis le BMW milanais, risque d'attendre les nouveautés encore longtemps.

Alfa Romeo ? 103 ans après sa création, la célèbre marque milanaise devrait battre des records ... de mévente. Les volumes sont attendus en 2013 à moins de 100.000 unités, pour la première fois depuis 1969 ! Aïe. On évoque officieusement 80 à 90.000 ventes à peine. La marque appartenant au groupe Fiat n'avait déjà écoulé que 110.000 unités l'an dernier et 137.000 en 2011. On est très  loin du pic des 220.000 atteint en 2001. Alfa Romeo, qui était dans les années 60 ce qu'est BMW d'aujourd'hui - une marque de modèles sportifs relativement grand public -, est désormais quinze fois plus petite que sa rivale munichoise !

Alfa Romeo 4C

Et ce n'est pas le léger restylage des deux seuls modèles de la gamme (la petite Mito vieillissante et la compacte Giulietta) qui va relancer les immatriculations. Pas davantage que l'arrivée de l'ultra-sportive 4C, une berlinette extrême à moteur central qui recourt à des matériaux nobles (fibre de carbone, aluminium...), mais ne devrait être produite qu'à 3.500 unités par an, dont un millier pour l'Europe, autant pour l'Asie et 1.500 pour le marché américain. Tarif: à partir de 51.500 euros. Signe d'exclusivité : la 4C, dont les premiers exemplaires ont été livrés en novembre dans l'Hexagone, est d'ailleurs fabriquée chez... Maserati, à Modène. 

Alfa Romeo Mito

La "Dolce Vita" version nippone

Pour le reste, hélas, il n'y a pas grand chose de prévu à court terme chez Alfa Romeo ! Sergio Marchionne, l'administrateur délégué du groupe Fiat, devrait toutefois présenter un énième plan pour la marque en avril prochain, selon le site spécialisé Automotive News Europe. Symbole de la "Dolce Vita" à l'italienne, le fameux spider Alfa des années soixante va certes enfin renaître. Mais, symbole de la décadence du groupe transalpin, ce sera une... Mazda japonaise développée et produite à Hiroshima ! Alfa Romeo apportera certes ses moteurs et un design différent (ouf), mais la base roulante sera entièrement nippone. Et encore ce modèle ne devrait-il arriver qu'en 2015. Pas avant. 

Sinon, les plans de lancements des autres modèles ont été encore une fois reportés. On attend une berline de gamme moyenne supérieure, qui serait baptisée Giulia (avec un dérivé break), mais à l'horizon... 2016. Une grande berline haut de gamme et un 4x4 compact, plusieurs fois promis, viendraient ultérieurement. Problème: que restera-t-il de la firme au blason frappé du serpent des Visconti à cet horizon ?

Changement de plate-forme

Dernière raison de ces retards accumulés: un changement de plate-forme. Sergio Marchionne veut désormais que les grandes Alfa reposent sur une nouvelle plate-forme à propulsion (transmission aux roues arrières ou aux quatre roues), comme les BMW ou les  Mercedes C, E, S, ainsi que... les modèles exclusifs et à hautes performances de Maserati, la firme au trident également dans l'orbite de Fiat. Les grandes Alfa, les Maserati et les Chrysler - le groupe américain est contrôlé par l'italien - partageraient d'ailleurs nombre de composants. Histoire de rentabiliser cette plate-forme.

Après le renouveau de Maserati, qui vise les 50.000 unités annuelles et vient coup sur coup de lancer de superbes limousines Ghibli et Quattroporte, Alfa Romeo semble aujourd'hui la prochaine priorité de Sergio Marchionne. Histoire de sortir le consortium piémontais du grand écart entre des Fiat à petits prix et des Maserati ainsi que Ferrari élitistes... Malheureusement, les experts restent sceptiques devant tant de plans successifs et contradictoires, d'ailleurs vite avortés.

Naissance en 1910

L'avenir pour le moins incertain ne fait que refléter une histoire aussi glorieuse que mouvementée depuis 1910, date de création de la société A.L.F.A. avec la mise en production du premier modèle, l'Alfa 24 HP.  Le nom date, lui, de 1915, quand l'ingénieur Romeo s'invite au capital d'Alfa, qui devient Alfa Romeo. C'est dans les années vingt que la firme se pare d'une aura sportive, notamment grâce à des pilotes comme Enzo Ferrari, le futur  créateur du label éponyme. Mais, en 1932, la société tombe dans les mains de la holding d'Etat IRI. Une des premières décisions de la nouvelle direction est alors de transférer l'activité de compétition à la Scuderia Ferrari, car elle oriente la société vers de nouveaux secteurs comme les poids lourds, les autobus et cars, les moteurs d'avion. La Seconde guerre mondiale frappe durement les usines Alfa Romeo, qui font l'objet de bombardements.

Alfa Romeo Giulietta (1954-62)

Il faut attendre les années cinquante pour voir le lancement  de deux berlines, l'Alfa 1.900 et la Giulietta, premiers modèles fabriqués en série, qui feront connaître la firme milanaise du grand public. En février 1961, la 100.000 ème Giulietta est produite, avec notamment un coupé et un cabriolet qui dépasseront la berline en notoriété. En 1962, sa remplaçante, la Giulia, est présentée. Ce sera la berline sportive type des cadres dynamiques de l'époque, une place qu'occuperont ensuite les... BMW.

Alfa Romeo Giulietta Spider (au début des années 60)

La difficile aventure napolitaine

En 1972, Alfa Romeo inaugure l'usine de Pomigliano d'Arco, près de Naples, qui doit produire une berline compacte de grande diffusion, nettement moins chère, l'Alfasud, afin de faire de la marque un grand constructeur. Une vraie course à la taille critique, qui sera diversement appréciée. L'Alfasud, première traction avant de la firme, est techniquement réussie avec un bon agrément de conduite. Mais elle pâtira d'une fiabilité aléatoire, d'une carrosserie qui rouille vite et de la productivité désastreuse du site napolitain.

Alfa Romeo Giulia (modèle de 1963)

Alfa Romeo entame alors une lente descente aux enfers. Pour résoudre les problèmes, une co-entreprise avec le japonais Nissan est créée. Ce sera un désastre !  La voiture issue de cette collaboration, l'Arna, avec une... carrosserie japonaise et une base mécanique Alfa restera longtemps le symbole de la voiture ratée issue d'une coopération hasardeuse. Ca va si mal qu'Alfa Romeo est in fine revendu au groupe Fiat en 1986. Le turinois reprend la marque, pour ne pas la laisser à Ford, qui voulait la racheter.

Il y eut la géniale 156 en 1997

En 1987, Alfa Romeo présente une grande berline dessinée par Pininfarina, la 164,  qui utilisera le châssis des Fiat Croma, Lancia (marque appartenant aussi à Fiat) Thema et des Saab 9.000 au terme d'accords italo-suédois.  Les super-moteurs de la 164, hélas, n'empêcheront pas un succès mitigé, dû à une qualité de fabrication médiocre. Lancée aux Etats-Unis, la 164 y connaîtra même un revers cuisant, valant à la firme une très mauvaise réputation outre-Atlantique.

Alfa Romeo 156 (1997-2006)

Les observateurs s'interrogent du coup sur l'avenir de la marque, qui cohabite mal avec sa rivale directe, Lancia, au sein d'un groupe Fiat lui-même en plein marasme. Heureusement, un coup de génie vient réchauffer en 1997 le coeur des Alfistes. Ce sera la très jolie 156, digne successeur de la Giulia, avec sa carrosserie "néo-rétro" et ses clins d'oeil au passé. Une vraie résurrection. 

Un véritable gâchis

Mais, les problèmes de la maison-mère, le manque d'investissements, les plans stratégiques à répétition seront catastrophiques. L'objectif des 300.000 Alfa par an lancé par Sergio Marchionne peu après son arrivée ne sera évidemment jamais rempli. Faute d'une véritable gamme. Et le patron de la marque, le talentueux Luca De Meo que d'aucuns voyaient à terme comme le successeur de Sergio Marchionne, préfèrera jeter l'éponge au vu de ses relations compliquées avec son mentor. Il partira, comble de l'insolence, pour le concurrent allemand Volkswagen...

Quel gâchis! A tel point que Volkswagen, justement, prend conscience, lui, du fabuleux potentiel inexploité que représente ce label qui fait encore vibrer les passionnés, malgré les errements. A la surprise générale, le consortium germanique se montre officiellement intéressé par un rachat et fait des offres. En vain. Car, Sergio Marchionne comprend qu'une telle amputation serait perçue d'une façon dramatique en Italie et  risquerait d'emporter le groupe Fiat lui-même.

Le tout nouveau plan de relance marchera-t-il ? Encore faudrait-il que les projets ne soient pas encore une fois bouleversés avant même leur mise en oeuvre, comme à l'accoutumée. Tous les  amoureux de l'automobile - comme nous - ne peuvent que souhaiter une  prochaine renaissance de cette marque, qui aura signé une des plus belles pages de l'histoire industrielle européenne.