Detroit, capitale de l’automobile américaine et du crime, est une ville sinistrée

Par Alain-Gabriel Verdevoye, à Detroit  |   |  836  mots
Siège de General Motors à Detroit face au lac Sainte-Claire. / Reuters
La ville du Michigan est en faillite. 80.000 bâtiments sont abandonnés. La population a été divisée par 2,5. Seuls 40% de l’éclairage public fonctionnent. « Motor City » est dans un état lamentable. Les grands patrons de GM, Ford, Chrysler, habitent, eux, dans de magnifiques banlieues.

Belles voitures et ville sordide. Tel est le paradoxe du salon de Detroit, qui a ouvert ses portes lundi aux professionnels. Dans l'affreux parallélépipède en béton gris sale du Cobo hall, sur le bord d'une « Detroit River » en partie gelée, le premier salon automobile de l'année offre un saisissant contraste entre, d'une part, les gros pick-ups V8 chromés comme le nouveau Ford « F », les sportives hyper-puissantes rutilantes telles les Mustang et Corvette, les luxueuses voitures germaniques venues en force dans ce «  show », et, de l'autre, les nombreuses vieilles voitures pourries dans les rues, signe manifeste de l'extrême appauvrissement de cette ville en faillite.

Régime de sauvegarde

En décembre dernier, un juge fédéral a autorisé « Motor City » à bénéficier du régime de sauvegarde, faisant valoir que la cité était insolvable. Un plan de réorganisation financière présumée doit être présenté avant le 1er mars. Il est vrai que cette ville sordide, capitale de l'auto américaine comme de la criminalité, croule sous 18 milliards de dollars de dettes et passifs (13 milliards d'euros), dont plus de 50% est constituée par les retraites et l'assurance-maladie. Le très célèbre musée des arts de Detroit, qui recèle de magnifiques collections - notamment de peinture française - pourrait du coup être amené à disperses ses trésors.

Cette ville fantôme voisine de celle de Windsor au Canada, qui a vu sa population décroître de 1,8 million d'habitants au sortir de la seconde guerre mondiale à 700.000 à peine aujourd'hui, n'est pas seulement la ville des records d'homicides, mais aussi celle de la corruption. Ancien maire de Detroit, Kwame Kilpatrick a été condamné en octobre dernier à 28 ans de prison. Depuis 1929, la presse locale rappelle que trois autres maires sont passées par la prison ou ont dû être déchus de leur fonction.

Terrains vagues, friches industrielles

A quelques centaines de mètres du siège de General Motors dans le gratte-ciel à quatre tours du « Renaissance Center », ce ne sont que terrains vagues, énormes parkings blafards quasi-déserts, immeubles délabrés, murés, usines désaffectées. Et pas un piéton dans les rues, sauf quelques miséreux SDF ! L'avenue Woodward, célèbre jadis pour sa splendeur, n'est désormais « civilisée » que sur 500 mètres. Au-delà, on se fait peur, avec d'étranges rencontres...

Quant à « Greektown », le quartier des restaurants qui s'étend sur 100 mètres à peine, ce n'est pas non plus la panacée. Ca sent la mauvaise nourriture dans ces tavernes bas de gamme censées rappeler la Grèce dont provenaient nombre d'immigrés. Bref, rien de très affriolant. Mais c'est encore ce petit bout de la rue Monroe qui seule est un peu animée. Quant au réputé casino de Detroit où se trouve aussi un grand hôtel, clinquant, de mauvais goût à souhait, il est cerné, lui, par des villas abandonnées et taguées.

Tout ça sent la détresse, la dégénérescence. Et ce, alors que le marché automobile américain devrait revenir cette année à de très bons niveaux, tutoyant les records d'avant la crise de la fin des années 2000 ! Avec, à la clé, de solides profits pour GM, Ford et Chrysler. Le voyageur qui n'ose pas marcher et s'aventure à prendre un taxi, se retrouvera quant à lui engoncé dans de grosses limousines antédiluviennes, sales, déglinguées, aux odeurs douteuses, conduites par des chauffeurs obèses à la mine souvent patibulaire. Quant au tarif, il est parfaitement à la tête du client. C'est en tous cas ce que nous avons expérimenté.

80.000 bâtiments abandonnés

Preuve que nous n'exagérons pas, Detroit compte près… de 80.000 bâtiments à l'abandon. Il est vrai que la presse américaine évalue à 8.000 dollars (5.900 euros) le coût de la démolition d'un immeuble résidentiel. Des sommes que la municipalité ne peut évidemment débourser. Et, comme ce n'est pas la place qui manque… Ah, pour ajouter à cette atmosphère de fin du monde, sachez que l'éclairage public fonctionne… à 40% seulement. On estime que 85% de la surface de la ville a connu une chute de sa population ces dix dernières années.

Et pourtant, pas loin, des gens pleins d'argent il y en a. On a même du mal à imaginer quand on se trouve au sein de « Downtown » que, à quelques kilomètres de là, des très, très riches habitent de magnifiques villas de milliardaires dans les banlieues chic comme Birmingham. N'oublions pas que les grands patrons de l'auto américaine habitent là.

Tel Alan Mulally - le patron de Ford dont le siège est à Dearborn, à 25 minutes du centre de Detroit - qui est a priori le patron de l'automobile le mieux payé au monde. Visiblement, ça ne gêne pas les dirigeants des « Big Three » d'avoir, à proximité de leurs ghettos de riches, une capitale dans cet état. C'est aussi ça, l'Amérique.