L'Alliance Renault-Nissan menacée : cinq questions pour tout comprendre

Par Nabil Bourassi  |   |  1116  mots
L'Etat français, par la voix de son ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, aurait suggéré à Carlos Ghosn d'aller plus loin dans l'intégration de Nissan.
Plus de six mois après la crise ouverte sur la place de l'Etat et de Nissan dans le capital de Renault, le groupe japonais menace de rompre l'Alliance avec le constructeur français. Une perspective qui implique de nombreuses conséquences pas toujours faciles à mesurer...

L'Etat français a-t-il ouvert la boite de Pandore de l'alliance Renault-Nissan ? Depuis sa montée dans le capital de Renault en mai dernier, dans le but d'imposer les droits de vote double, l'alliance entre les deux constructeurs automobiles est entrée dans une zone de fortes turbulences. Carlos Ghosn, patron des deux groupes, avait alors tenté de tempérer en assurant qu'une redéfinition des termes de l'alliance n'était pas à l'ordre du jour malgré la montée de l'Etat à plus de 20% du capital de Renault.

Sauf que les Japonais ne l'entendaient pas comme cela... Quelques mois après l'initiative de l'Etat français, ils font savoir, par presse interposée, que les participations croisées ne reflétaient plus la réalité des forces entre les deux constructeurs et qu'un rééquilibrage s'imposait. Pour rappel, Renault détient 44% du capital de Nissan, tandis que ce dernier possède 15% de Renault sans droits de vote.

L'Etat français, par la voix de son ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, n'était prêt à aucun recul sur le sujet. Ce dernier aurait même suggéré à Carlos Ghosn d'aller plus loin dans l'intégration de Nissan. Dernièrement, il a été jusqu'à affirmer que l'Etat devait pouvoir peser sur les décisions stratégiques de Renault. Pour Nissan, être contrôlé par un groupe sous la coupe d'un gouvernement étranger est juste inimaginable. Les Japonais ont donc décidé de monter d'un ton et cette fois de menacer de rompre l'alliance.

1 - Le rapport de force a-t-il changé entre Renault et Nissan ?

La marque japonaise revient de loin. En 1999, Renault est arrivé au capital d'une entreprise mal en point. Le constructeur français a pris un risque considérable en investissant dans le groupe japonais. "Aujourd'hui, Nissan estime avoir largement payé sa dette à Renault à travers près de 10 ans de dividende versé", explique à La Tribune un expert du secteur automobile. Depuis 2005, Nissan a repris du poil de la bête, tandis qu'à l'inverse Renault a doucement plongé avant la grosse glissade de 2008 avec la crise du marché européen. A partir de là, Nissan a acquis une position de force déterminante face à Renault. Mais depuis quelques années maintenant, Renault est revenu dans la course. Le français a restauré ses marges, réduisant le différentiel avec Nissan, et désormais la marque au losange contribue également à la croissance de l'alliance. Sans avoir rattrapé son retard face à son partenaire qui continue à peser deux fois plus d'immatriculations, Renault n'est plus perçu comme un boulet ou comme un foyer de perte, et a regagné sa dynamique au sein de l'alliance. Le rapport de force a bien changé, mais n'a pas disqualifié la marque au losange. Elle garde encore certains atouts non-négligeables pour Nissan.

2 - Nissan a-t-il encore un intérêt majeur dans l'alliance ?

Après seize années d'alliance, les deux constructeurs ont décidé de passer à la vitesse supérieure en développant, enfin, des plateformes communes. Le Kadjar, l'Espace et le Qashqaï 2 ont toutes été développées sur la même plateforme. D'autres foyers d'économies d'échelles sont également en train de monter en puissance comme les batteries électriques, et les motorisations diesel. Cet atout industriel est majeur pour Renault. Il l'est moins pour Nissan. "Les synergies permises par l'alliance ne concernent pas les modèles à plus gros volumes de Nissan qui visent davantage les marchés américains et chinois", note un spécialiste du secteur automobile. Le Japonais tire un avantage de l'alliance surtout sur le marché européen. Ajoutons aussi qu'il profite de la position de Renault pour mieux pénétrer le marché russe qui, malgré sa très mauvaise passe actuelle, reste un enjeu stratégique majeur à long terme.

3 - Le principe même d'une alliance est-il satisfaisant ?

L'idée d'une alliance avait un but : ne pas froisser les susceptibilités nationales et cultures d'entreprises, trop souvent source d'échec de rapprochement. Le mariage avorté entre Renault et Volvo dans les années 1990 était, au moment de la conclusion du partenariat, encore dans tous les esprits. Certes, les deux constructeurs auraient pu se contenter de partenariats sur des sujets ciblés. Mais en passant par des participations croisées, il s'agit de pérenniser les acquis d'une expérience commune. Oui mais, le statut d'alliance oblige les deux parties à garder des compétences en interne ce qui créé des doublons qui seraient nécessairement supprimés dans un groupe intégré.

4 - L'Etat français est-il dans son rôle ?

Les observateurs sont plutôt perplexes sur la question de la stratégie de l'Etat au sein du capital de Renault. Pour certains, la position maximaliste du gouvernement français relève presque de la posture idéologique. "L'Etat a perdu Alstom, Lafarge, il ne veut pas laisser filer Renault...", résume un analyste. Sauf que, c'est précisément cet interventionnisme qui effraie Nissan. "C'est à cause de cela que le mariage avec Volvo n'a pas fonctionné...", rappelle un bon connaisseur du dossier. "Les chinois de Dongfeng doivent regarder à la loupe l'attitude de l'Etat français dans l'affaire Renault-Nissan", juge un analyste. Mais même la position de l'Etat-stratège n'est pas jugée sérieuse. Lorsque la rumeur d'une pression d'Emmanuel Macron plaidant pour la prise de contrôle de Nissan par Renault, les analystes se sont interrogés.

"Ceux qui ont parlé d'intégration n'ont pas bien regardé le dossier. Car si intégration il y a, la nouvelle entité fera nécessairement le ménage dans le portefeuille des fournisseurs, et l'impact sur l'emploi en France serait conséquent", prévient un analyste.

5 - Nissan et Renault ont-ils un avenir sans alliance ?

La nécessité de réaliser des économies d'échelle est impérative dans le monde très concentré de l'automobile. Une rupture d'alliance pour les deux constructeurs serait donc un revers stratégique majeur. Ils devront reconstruire de nouvelles stratégies industrielles avec de nouveaux partenaires. "La rupture sera perdante pour tout le monde", résume un analyste automobile. Le coût d'un redéploiement stratégique à lui-seul est donc devenu dissuasif.

En réalité, les trois parties (Etat français, Renault et Nissan) n'ont ni intérêt ni la volonté d'une rupture de l'alliance. Ils sont donc condamnés à s'entendre. Ils prennent toutefois le risque d'un compromis qui consacrerait une nouvelle fois le statu quo, plutôt que saisir l'occasion de faire évoluer l'alliance autour d'un nouveau projet industriel et de développement. Rien ne serait pire alors que des partenaires "contraints" de s'entendre, car ils se heurteraient au manque d'entrain et d'implication des équipes managériales.