Pourquoi les "big pharmas" reprennent leurs grandes manœuvres

Par Marina Torre  |   |  790  mots
Pfizer aurait "perdu" plus de 20 milliards d'euros de chiffre d'affaires avec l'expiration de certains de ses brevets.
Méga-fusions, cessions d'actifs, projets de rachats... les grands laboratoires pharmaceutiques ont connu une semaine chargée. Confrontés à l'érosion de leurs ventes, ils doivent en effet trouver des parades, la concentration en serait une.

Novartis, GlaxoSmithKlein, Eli Lilly, Valeant et Allergan, mais aussi Pfizer et AstraZeneca... Les géants de l'industrie pharmaceutique prévoient de vastes échanges d'actifs, voire des méga-fusions. Cette semaine, les annonces en ce sens se sont multipliées, causant d'une part la crainte de nouvelles suppressions d'emploi dans le secteur, et d'une autre de l'émoi chez les investisseurs.

 

20 milliards d'euros en moins pour Pfizer

 

Mais pourquoi une telle accélération dans ces "grandes manœuvres"? En premier lieu, parce que les grands laboratoires voient leurs résultats s'éroder depuis plusieurs années en raison principalement de l'arrivée à expiration de leurs brevets. Entre 2010 et 2013, le numéro 1 mondial, Pfizer aurait perdu entre 20 et 25 milliards d'euros à cause de ce phénomène selon une étude du cabinet Xerfi datée du 24 mars. Pour le français Sanofi, la perte est évaluée à près de 3 milliards d'euros.

 

Mais la période d'expiration des brevets arriverait à sa fin. Du moins, c'est l'analyste d'une partie des professionnels du secteur et celle d'Alain Gilbert, co-président du cabinet de stratégie Bionest:

 

"Pour les 'gros produits', [cette période] est déjà derrière nous. La preuve, les produits les plus vendus ne sont plus des produits de grande consommation mais plutôt des produits de spécialité."

 

Le médicament numéro 1 l'an dernier était en effet l'Humira (7,2 milliars d'euros de chiffre d'affaires selon Xerfi), produit par le laboratoire Abbvie commercialisé depuis 2003. Cet immunosuppresseur est utilisé notamment en rhumatologie. Il a détrôné le Lipitor de Pfizer tombé dans le domaine public.

 

"Ce que l'on apprend dans les écoles de commerce"

 

De ce point de vue, les cessions prévues visent surtout à se concentrer sur certains domaines d'expertise.  Ainsi le britannique GlaxoSmithKlein (GSK) se renforce dans les vaccins, le suisse Novartis dans l'oncologie, Eli Lilly dans la santé animale.

 

Une stratégie totalement assumée par John Lechleiter le directeur exécutif du laboratoire américain, selon des propos rapportés par le Wall Street Journal:

 

"Cela nous ramène à ce que l'on apprend dans les écoles de commerce. Cela revient à comprendre dans quoi vous être bon (...) et vous assurer que vous êtes suffisamment puissants pour poursuivre des opportunités dans ce domaine"

 

Seulement réduire les coûts?

 

La stratégie du numéro 1 mondial, Pfizer qui serait prêt à acquérir AstraZeneca, selon le Sunday Times serait moins claire. Pour Alian Gilbert, la seule méthode qui semble judicieuse est celle de la concentration sur un domaine d'expertise.

 

"Les méga-fusions ne portent leurs fruits que pendant deux ou trois ans si elles ont pour but unique de réaliser des réductions de coûts. L'achat de Wyeth par Pfizer (en 2009) en est le parfait exemple".

 

Les "big pharmas n'ont pas su manager l'innovation".

 

Quoi qu'il en soit, en se concentrant sur leur domaine de prédilection, les géants du médicament semblent suivre le mouvement de leurs rivaux des "biotech", en plein essor. Aux yeux d'Alain Gilbert, ces start-up de la santé, ultra-spécialisées seraient désormais le seul canal de l'innovation, face aux "big pharmas [qui] n'ont pas su manager l'innovation"

 

 S'il est difficile de corroborer cette analyse par des chiffres, une étude de Xerfi datée de mars 2013 apporte un indice: en France, les effectifs des services recherche et développement dans l'industrie pharmaceutique ont chuté de 12,1% depuis 2008. Les mouvements de restructurations engagés par plusieurs groupe y étant sans doute pour quelque chose...

 

 Des payeurs qui payent moins?

 

Autre effet à prendre en compte: la réticence de certains patients payer pour des médicaments qu'ils jugent trop coûteux. Manuel Gea, de Centrale-Santé, le réseau de la grande école dédiée à ce secteur, également en charge du comité chargé des biotech auprès de la principale association française de producteurs de médicament (Leem) explique:

 

"Les payeurs ne veulent plus payer. Les thérapies ciblées contre le cancer par exemple coûtent jusqu'à 100.000 dollars par an. Il y a des gens aux Etats-Unis qui font faillite à cause de leur traitement."

 

Or, ceux-ci se révéleraient inefficaces à long terme, bien plus que d'autres traitements plus globaux rendus possibles notamment par la biotechnologie.

 

Après les génériques, les bio-similaires?

 

Enfin, à terme, une autre se profile pour les géants de la pharmacie. Après l'ère des génériques qui ont contribué à éroder les profits des plus grandes compagnies pharmaceutiques, succéderait l'ère des médicaments "biosimilaires" que la France souhaite adopter rapidement. Des médicaments copiés qui reprennent des formules tombées dans le domaine public mais pas encore jugés comme substituables aux médicaments de référence.