La ministre de la Santé veut rendre 11 vaccins obligatoires, les labos en profiteront-ils ?

Par Jean-Yves Paillé  |   |  1187  mots
Les onze vaccins qui pourraient devenir obligatoires: poliomyélite, tétanos, diphtérie, coqueluche, rougeole, oreillons, rubéole, hépatite B, bactérie Haemophilus influenzae, pneumocoque, méningocoque C.
La ministre de la Santé veut rendre onze vaccins infantiles obligatoires, contre trois aujourd’hui. Cette mesure de santé publique ne devrait pas doper significativement les ventes de vaccins, d'autant qu'elle ne concerne pas les tranches d'âges les moins vaccinées.

C'est une prise de position qui, si elle se concrétise, pourrait marquer un tournant dans la couverture vaccinale en France. Agnès Buzyn a déclaré dans une interview au Parisien, vendredi 16 juin, réfléchir à rendre huit vaccins infantiles obligatoires, en plus des trois qui le sont déjà aujourd'hui (diphtérie, tétanos,poliomyélite), suite à "la demande du Conseil Etat formulée au gouvernement de "revoir sa copie sur les vaccins pour les nourrissons"

"Nous réfléchissons à rendre obligatoires les onze vaccins (poliomyélite, tétanos, diphtérie, coqueluche, rougeole, oreillons, rubéole, hépatite B, bactérie Haemophilus influenzae, pneumocoque, méningocoque C) pour une durée limitée, qui pourrait être de cinq à dix ans", a indiqué la ministre, ajoutant que "l'Italie l'a fait la semaine dernière".

Selon elle, il s'agit d'une mesure importante contre "un problème de santé publique" qui se matérialise par des décès d'enfants de rougeole ou de méningite.

Un marché sous le demi-milliard d'euros en France

Dans cette interview, Agnès Buzyn refuse que la question de la vaccination soit réduite "à l'intérêt des laboratoires". Aujourd'hui, une poignée de géants mondiaux de la vaccination, se partagent la majeure part des revenus des huit vaccins qu'Agnès Buzyn veut rendre obligatoires. Pour le Méningocoque C -un vaccin contre la méningite-, on recense le Neisvac de Pfizer et le Menjugatekit de Novartis. Pour le pneumocoque, vaccin pour contre la pneumonie, Pfizer (Prenar 13), MSD (Pneumovax) et Sanofi (Pneumo 23) se partagent le marché. Concernant la rougeole, les oreillons et la rubéole, on retrouve encore Sanofi (R.O.R. VAX) et MSD (M-M-RVAXPRO ).

C'est toutefois loin d'être le marché le plus juteux en France pour les laboratoires. Les prix de ces hui vaccins oscillent entre 10 et 40 euros en général, si l'on se base sur les tarifs diffusés par l'Institut Pasteur. Par ailleurs, le marché officinal total en 2015, des vaccins (en ajoutant tous les vaccins contre la fièvre jaune, l'hépatite A,...) et des sérums représentent 1,9% du chiffre d'affaires du seul marché officinal qui atteint 20,5 milliards d'euros en 2015, selon le Leem. Cela représente un peu moins de 400 millions d'euros. Et selon l'Agence nationale de la sécurité des médicaments, ce n'est que le 17e domaine thérapeutique en termes de chiffre d'affaires en ville.

Peu d'impact sur la couverture vaccinale

La décision d'Agnès Buzyn pourrait-elle faire décoller ce marché ? " Cela va donner plus de lisibilité et clarifier la politique de vaccination", concède un représentant des industriel du médicament, qui souhaite garder l'anonymat. "Mais il ne faut pas voir cela comme un coup de boost pour le marché du vaccin en France. C'est avant tout une décision de santé publique". Et d'arguer: "Cette décision est temporaire et la couverture vaccinale dépasse déjà les 80% chez les enfants de 24 mois en ce qui concerne les huit vaccins recommandés. L'enjeu économique est faible, cela ne représente qu'une faible partie d'une classe d'âge"'Selon l'Insee, il y aurait au 1er janvier 2016 1,5 millions d'enfants âgés de 0 à 24 mois. La couverture vaccinale pour cette classe d'âge dépasse parfois les 90% pour certains vaccins, à l'instar de l'hépatite B chez les nourrissons.

La couverture vaccinale progresse dans certains cas, mais enregistre des résultats contrastés, comme l'explique le rapport Hurel sur le sujet, remis à la Marisol Touraine en 2016, alors ministre de la Santé. Pour le méningocoque C, la couverture atteint 64% pour les enfants de 24 mois au 31 décembre 2014, et 28,4% chez les 10-14 ans. Ou encore, la couverture vaccinale totale (injection des deux doses) du ROR (rougeole, oreillons, rubéole) dépasse à peine les 70% pour les enfants de 24 mois nés en 2012.

Faible couverture pour les plus âgés

Les laboratoires espèrent que la couverture des enfants plus âgés et des adultes devienne de plus en plus importante. Celle-ci est en général bien plus faible que celle des enfants en bas âge. Par exemple, les enfants de 11 ans sont à jour de leur vaccin à 45% pour l'hépatite B. Et la couverture vaccinale pour le méningocoque C dépasse à peine les 5% pour les 20-24 ans.

Plus encore qu'un remboursement à 100% des vaccins qui ne provoque pas une meilleure couverture que celui à 65%, selon le rapport Hurel, les laboratoires réclament "plus d'actions des autorités publiques pour faire reculer la défiance vis-à-vis des vaccins", nous explique l'acteur de l'industrie du médicament. Quatre Français sur dix estiment que les vaccins ne sont pas sûrs, selon une étude du journal scientifique EBioMedicine. Un des arguments qu'ils avance est un lien suspecté mais encore non prouvé entre le vaccin contre l'hépatite B et le risque de développement de scléroses en plaque. Ou encore, ces derniers évoquent des cas de narcolepsie  après des vaccinations contre la grippe A (H1N1).

Et, dans une moindre mesure, la défiance existe du côté des médecins. Une étude de la Société française de médecine générale (SFMG) de 2016 montrait que 10% des médecins étaient neutres voire défavorables aux vaccins. Un quart d'entre eux étaient méfiant vis-à-vis du vaccin pneumocoque, et un quart étaient défavorables aux adjuvants que contiennent ces produits thérapeutiques. Marisol Touraine avait lancé une première action en 2016, une consultation nationale sur la politique de vaccination visant à écouter les patients inquiets.

Plus de vaccins et de nouvelles pénuries ?

Plus de vaccins obligatoire pose aussi une autre problème potentiel: le risque de créer de nouvelles pénuries, déjà régulières en ce qui concerne les vaccins contre l'hépatite B et la coqueluche ?

 "Celles-ci sont dues à l'instabilité des produits biologiques que représentent les vaccins et des temps de production plus longs.Un problème dans un lot de production, et c'est un rappel mondial. La meilleure façon d'éviter une rupture c'est l'harmonisation des calendriers vaccinaux européens. il existe 23 calendriers différents. Plus de spécification nationale harmonisé permettent aux laboratoires d'anticiper", fait valoir le représentant de l'industrie du médicament.

On compterait près d'un vaccin sur quatre en pénurie de stock dans les pharmacies françaises. Le rapport Hurel accuse les laboratoire d'effectuer desdéclarations de pénurie tardives "ce qui ne laissait pas le temps de mettre en place suffisamment tôt des stratégies adaptées à la situation". Les grossistes sont accusés également de privilégier les commandes de vaccins à l'étranger, où les prix sont plus élevés qu'en France.

Le gouvernement de Marisol Touraine avait évoqué en 2016 de possibles sanctions contre les laboratoires. Le président du Leem faisait alors valoir l'importance d'une clarification de l'offre et de la demande pour éviter ces désagréments. Parmi les points qui posaient problème: la différenciation entre les vaccins obligatoires et recommandés. Si la ministre de la Santé tient sa ligne, ces derniers auront droit à un premier signal positif.