"Ce ne sont pas quelques opposants à Macron qui décident du sort d'Engie" : dans les coulisses de la chute précipitée d'Isabelle Kocher

Par Jérôme Marin  |   |  967  mots
(Crédits : Reuters)
La directrice générale du groupe énergétique n'effectuera pas de deuxième mandat. Après plusieurs semaines de guerre interne, cette décision a été officialisée jeudi soir. L'État actionnaire ne s'est pas opposé à ceux qui remettaient en cause son management et sa stratégie.

L'éviction d'Isabelle Kocher, la directrice générale d'Engie, était inéluctable, programmée depuis des semaines déjà par le conseil d'administration, sans la moindre opposition de l'État actionnaire. Une date avait même été fixée: le 26 février, à la veille de la publication des résultats annuels du groupe énergétique français. Mais ce calendrier s'est brusquement accéléré au cours des derniers jours. Jusqu'à la décision, officialisée ce jeudi, trois semaines plus tôt que prévu, de ne pas renouveler le mandat, qui arrive à échéance en mai, de la seule femme dirigeante d'une entreprise du CAC 40.

Selon nos informations, la chute d'Isabelle Kocher a été précipitée par la publication, lundi 3 février, d'une tribune dans Les Echos, dans laquelle une cinquantaine de personnalités, notamment politiques, lui apportaient leur soutien. Une initiative contre-productive, qui n'a fait qu'agacer un peu plus les administrateurs d'Engie. "Principalement des opposants à Emmanuel Macron, sans aucune légitimité pour décider du sort d'Engie", s'agace l'un d'entre eux. La décision est donc prise de convoquer un conseil d'administration extraordinaire. "On ne pouvait pas laisser le nombre de signataires s'accumuler jusqu'à fin février", reconnaît notre source.

L'éviction d'Isabelle Kocher intervient après plusieurs mois de conflits avec les administrateurs d'Engie, en particulier avec Jean-Pierre Clamadieu, nommé président du conseil d'administration il y a deux ans - alors qu'Isabelle Kocher militait pour cumuler cette fonction avec celle de directrice générale. Les reproches sont nombreux et n'ont fait qu'accentuer les tensions entre les différents acteurs. Le mois dernier, la responsable a bien joué son va-tout, en proposant des ajustements à la gouvernance de l'entreprise, qui auraient notamment renforcé les pouvoirs de l'ancien patron du chimiste belge Solvay. Trop peu, trop tard: le sort d'Isabelle Kocher était déjà scellé. "Nous avons perdu confiance dans sa capacité à recréer une dynamique favorable", insiste un administrateur.

Pas de soutien de l'Elysée

Dans un entretien accordé dimanche dernier au Journal du Dimanche, Isabelle Kocher en avait aussi appelé à Emmanuel Macron, assurant mettre en place la politique de transition énergétique du gouvernement. Avec 24% du capital, l'État est en effet le premier actionnaire d'Engie, et nomme ou propose 3 des 14 administrateurs. Selon un administrateur de la société, l'Elysée n'est pas directement intervenu pour réclamer l'éviction de la responsable. Mais le président de la République, qui s'était opposé à sa nomination en 2016 alors qu'il était ministre de l'Economie, ne l'a pas soutenue non plus.

Le départ d'Isabelle Kocher entériné, le conseil d'administration prévoit de mandater un ou plusieurs chasseurs de têtes pour identifier et recruter le futur directeur général de l'entreprise. Initialement, un intérim devait être assuré par Jean-Pierre Clamadieu. Mais cette hypothèse a été écartée par Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie, qui souhaitait conserver la dissociation du poste de directeur général de celui de président. Claire Waysand, jusque-là secrétaire générale, récupère donc la fonction par intérim. Elle sera épaulée dans sa mission par Paulo Almirante, le directeur opérationnel, et par Judith Hartmann, la directrice financière.

Ces derniers jours, Isabelle Kocher avait également lancé une offensive médiatique. Dans une interview accordée au Journal du Dimanche, elle défendait le bilan de ses trois premières années de mandat. Et plus particulièrement la transformation de l'ex-GDF Suez vers les services énergétiques et les énergies renouvelables, symbolisée par de vastes cessions d'actifs et la décision de sortir du charbon. Elle se se félicitait d'avoir "redressé et totalement repositionné" un groupe "en décroissance forte et surendetté", qui "avait un genou à terre" à son arrivée. "J'ai le profil pour diriger Engie", avait-elle également assuré, tout en dénonçant une "campagne négative pour le moins surprenante".

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Stratégie illisible

"Contrairement à ce qu'elle dit, tout ne va pas bien chez Engie", rétorque un administrateur. Et de citer un cours de Bourse qui progresse moins vite que celui des concurrents, une dette qui se creuse malgré les cessions d'actifs et une stratégie jugée illisible. Et qui tarde à produire un impact positif sur les résultats financiers. Si la société a renoué avec la croissance de son chiffre d'affaires et de ses profits, soulignent les détracteurs d'Isabelle Kocher, c'est avant tout grâce au gaz et au nucléaire belge.

Dans ces deux activités, aussi, la directrice générale est critiquée. On lui reproche de ne pas avoir su négocier avec le gouvernement belge dans le cadre de la sortie du nucléaire prévue en 2025. Fin 2019, Engie avait dû augmenter de 2,1 milliards d'euros ses provisions liées au démantèlement des réacteurs et le traitement du combustible usé. Autre grief: "ne pas avoir été capable de défendre la place du gaz dans le mix énergétique français". Pourtant, malgré la volonté de transformation d'Isabelle Kocher, "Engie reste une entreprise gazière", souligne une source.

Sans remettre en cause l'objectif de devenir une entreprise leader de la transition énergétique et le plan stratégique présenté l'an passé, le conseil d'administration d'Engie souhaite désormais afficher une "plus grande clarté" aux yeux des marchés, en "assumant des choix simples". En plus de l'arrivée d'un nouveau patron, cela devrait aussi passer par une vaste réorganisation des équipes de direction, alors qu'il était reproché à Isabelle Kocher d'avoir poussé au départ de "poids lourds historiques" du groupe, et de les avoir remplacés par des responsables "pas au niveau".