Climat : le méthane, ennemi oublié de la lutte contre le réchauffement ?

Par latribune.fr  |   |  577  mots
28 fois plus "réchauffant" que le CO2, le méthane contribue déjà aujourd'hui pour quelque 20% aux augmentations des températures en cours.
Entre 2006 et 2016, les émissions de méthane, deuxième gaz à effet de serre après le dioxyde de carbone, ont crû de manière inquiétante, relève une étude. Cette tendance risque de compromettre les objectifs fixés par l'Accord de Paris.

Non seulement les objectifs fixés par l'accord de Paris et les moyens de sa mise en oeuvre sont aux yeux de nombre d'experts encore insuffisants. Surtout, les émissions de méthane, qui pourtant croissent nettement depuis dix ans, ont été jusqu'à présent négligées, souligne un bilan mondial mené par plus de 80 scientifiques de 15 pays et publié le 12 décembre dans le journal Earth System Science Data.

Alors que le dioxyde de carbone (CO2), issu pour une large part des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz), et qui représente 70% des gaz à effet de serre, a été jusqu'à présent le grand protagoniste de la lutte contre le réchauffement, la concentration de méthane dans l'atmosphère, après un léger ralentissement entre 2000 et 2006, a crû dix fois plus rapidement la décennie suivante, relève l'étude. Or le méthane, deuxième grand gaz à effet de serre lié aux activités humaines, est 28 fois plus "réchauffant" que le CO2 -bien qu'il reste moins longtemps dans l'air (environ 10 ans). Il contribue ainsi (déjà) aujourd'hui pour quelque 20% au réchauffement en cours.

Un gaz difficile à pister

Cette tendance risque de compromettre l'objectif de contenir le réchauffement sous 2°C fixé lors de la COP21, craignent les chercheurs, pour qui "il faut de toute urgence s'attacher à quantifier et réduire les émissions". Les concentrations augmentent d'ailleurs de plus en plus vite depuis 2007, avec en particulier une forte accélération en 2014 et 2015 : une évolution qu'aucun scénario moyen du dernier rapport du Giec, synthèse de référence sur le climat, n'avait montrée. "De façon inquiétante, la vitesse d'augmentation se rapproche du scénario le plus pessimiste", souligne ainsi Marielle Saunois, de l'Université de Versailles Saint Quentin (UVSQ), citée par l'AFP.

Le méthane est plus difficile à pister que le CO2, car plus diffus et provenant aussi de sources naturelles (zones humides, formations géologiques...). Cependant, 60% de ses émissions sont liées aux activités humaines, notamment (36%) à l'agriculture (éructations des ruminants et rizières) et au traitement des déchets. Les énergies fossiles jouent aussi un rôle, puisque de l'extraction jusqu'aux réseaux de distribution les fuites de méthane sont très fréquentes : quelque 21% des émanations de méthane sont ainsi dues à l'exploitation du charbon, du pétrole et du gaz.

L'agriculture et les énergies fossiles à l'origine de l'augmentation

Tous ces facteurs peuvent expliquer l'augmentation enregistrée: selon la FAO, le nombre de têtes de bétail est passé d'1,3 milliard en 1994 à 1,5 milliard 20 ans plus tard. Et "à partir des années 2000, il y a eu une grosse exploitation du charbon en Chine, et l'exploitation du gaz aux Etats-Unis a aussi augmenté", rappellent les coordonnateurs de l'étude. Les chercheurs ont toutefois plus de mal à expliquer la hausse spectaculaire des deux dernières années. "Cela peut être d'origine naturelle", analyse Philippe Bousquet, professeur à l'université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines. "Mais s'il se prolongeait au-delà de trois ou quatre ans, cela signifierait forcément un lien avec l'homme", ajoute-t-il.

L'étude veut toutefois se conclure sur une note positive: "On peut réduire ces émissions plus facilement, de manière moins coercitive, que celles de CO2, en encourageant aussi l'innovation et les emplois", estime Philippe Bousquet : méthaniseurs dans les fermes, modification des protocoles d'irrigation des rizières, chasse aux fuites sont autant de solutions pouvant être mises en place rapidement.

(Avec AFP)