Comment Engie veut booster le gaz vert

Par Dominique Pialot  |   |  1063  mots
Envie souhaite que l'unité de méthanisation Beauce Gâtinais Biogaz inaugurée le 9 novembre soit la première d'une longue série. (Crédits : DR)
Le groupe inaugure dans le Loiret une unité de méthanisation de grande taille qui préfigure sa volonté de changer de braquet et de contribuer à emmener la filière vers la compétitivité, notamment en mobilisant avec des partenaires 800 millions d’euros dans les 5 prochaines années.

Le timing ne pouvait pas mieux tomber. A quelques semaines de la publication de la programmation pluriannuelle de l'énergie (promise par le ministre François de Rugy « d'ici la fin de l'année »), voilà pour Engie une occasion de montrer une réalisation concrète de ses ambitions en matière de gaz renouvelable. L'unité de méthanisation inaugurée ce 9 novembre à Escrennes (Loiret) en présence d'Isabelle Kocher, sa directrice générale, et du ministre de la transition écologique et solidaire François de Rugy, produira à compter de janvier prochain 23 GWh de biométhane utilisé pour le chauffage et l'eau chaude de près de 1800 ménages. Alimentée en co-produits agricoles ou issus des industries agro-alimentaires locales, mais également en fumier récupéré à Paris dans les écuries de la Garde républicaine selon un procédé dit « en voie sèche », c'est un premier pas dans la démarche d'industrialisation et de massification de la filière qu'Engie a décidé d'impulser.

La filière vise la parité des prix avec le gaz naturel

Isabelle Kocher a en effet annoncé à cette occasion que le groupe contribuerait à mobiliser, avec ses partenaires, 800 millions d'euros d'ici à 2023, l'objectif à l'horizon 2030 s'élevant à 2 milliards. Comme dans la société de projet Beauce Gâtinais Biogaz (BGB), dont elle finance l'investissement de 10 millions d'euros à hauteur de 32% - 34% pour la coopérative AgroPhitiviers (380 agriculteurs produisant quelque 200.000 tonnes de céréales par an) et 34% pour la SICAP, le distributeur local d'électricité, l'entreprise devrait investir directement environ un tiers de cette somme. « L'enjeu c'est la standardisation et la massification, précise Isabelle Kocher. La filière doit être compétitive, sinon la transition ne pourra pas se produire à la bonne vitesse. » L'objectif est donc d'amener le biogaz à parité avec le gaz naturel à l'horizon 2030, un objectif qui tient compte de la contribution climat énergie appliquée à ce dernier. Soit un coût de production abaissé de 30 à 40% en comparaison des 95 €/MWh pour cette installation. « Dans notre installation aux Pays-Bas ce coût est déjà de 67€/MWh », précise Didier Holleaux, directeur général adjoint d'Engie.

« Soit on veut réellement changer d'échelle, soit on se contente de petits projets symboliques », approuve le ministre de la Transition écologique et solidaire, qui observe que 1500 méthaniseurs (trois fois plus qu'aujourd'hui) suffiraient à remplacer par du biométhane le fioul actuellement utilisé par trois millions de Français pour se chauffer.

La PPE actuelle vise 10% de gaz renouvelable à l'horizon 2030. Certains représentants de la filière (GRDF en tête), appuyés par l'Ademe, affirment même que les 30% seraient à portée. « Techniquement, c'est faisable », confirme Didier Holleaux. Mais face aux réticences du gouvernement devant le coût d'un développement aussi rapide, Engie, pour sa part, se contente de fixer cet objectif en 2028 plutôt que 2030.

Plus de cultures dédiées comme en Allemagne

Mais pour l'heure, l'aide de l'Etat reste indispensable. Outre le tarif d'injection du biogaz (attendu d'environ 100€/MWh pour cette installation lorsqu'elle entrera en production en janvier), plusieurs évolutions réglementaires sont destinées à favoriser le développement d'une filière qui a connu quelques retards à l'allumage. Notamment en raison de la décision française de ne pas recourir à des cultures spécifiques afin de ne pas faire concurrence aux terres agricoles, contrairement à ce qui se pratique en Allemagne, où l'on compte déjà environ 5000 unités de méthanisation (contre 550 en France, dont seulement une soixantaine raccordées au réseau). La diversité des intrants qui en résulte engendre des difficultés techniques supplémentaires et un renchérissement des coûts de production. Face à des banquiers, échaudés par les déboires de certains pionniers, l'arrivée d'acteurs tels qu'Engie ne peut que rassurer. Isabelle Kocher évoque également une plateforme mutualisée d'achat d'équipement, ainsi qu'une plateforme de financement facilement accessible aux porteurs de projets. Engie, dont les projets se comptaient encore sur les doigts d'une main il y a 18 mois, en affiche aujourd'hui plus d'une trentaine, et en vise une centaine en 2023.

Vers une fiscalité plus favorable

Plusieurs mesures de simplification administratives, destinées à simplifier et raccourcir les délais d'élaboration des projets - celui d'Escrennes aura mis 10 ans à voir le jour depuis le premier recensement en 2009 des matières fermentescibles - ont été prises ou annoncées ces derniers mois, notamment à l'issue du groupe de travail lancé par l'ancien secrétaire d'Etat à la transition écologique Sébastien Lecornu. Ce 9 novembre, le ministre François de Rugy a ouvert d'autres portes. Concernant les intrants, il a reconnu qu'une part de cultures dédiées supérieure au plafond de 15% aujourd'hui admis serait envisageable si cela permettait d'accélérer la baisse des coûts. Il a également reconnu que le biogaz (non émetteur de gaz à effet de serre) ne pourrait devenir compétitif s'il était, comme c'est actuellement le cas, taxé autant que le gaz naturel. Une annonce qui répond à une forte attente de la filière.

Autre nouveauté réglementaire, contenue dans la loi sur l'alimentation, les digestats issus de la méthanisation, aux propriétés reconnues en matière d'engrais, ne sont plus considérés comme des déchets. En d'autres termes, ils pourront désormais être vendus à des agriculteurs en lieu et place des produits le plus souvent d'origine fossile qu'ils achètent aujourd'hui. En plus des 23 GWh de biométhane, l'unité de BGB en produira 20.000 tonnes par an, qui devront avant de pouvoir être distribuées passer par la case "normalisation".

Complément indispensable aux énergies électriques

La présentation d'une installation qui préfigure des méthaniseurs de grande taille, réalisés en partenariat avec les agriculteurs et les collectivités, seuls à même selon elle de faire changer la filière d'échelle et de la rendre compétitive, a permis à Isabelle Kocher de rappeler la position d'Engie en matière de mix énergétique. Aux tenants du tout électrique, qui se font entendre de plus en plus fort à l'approche de la PPE, elle oppose la complémentarité indispensable des énergies électriques avec ce gaz décarboné, une énergie renouvelable mais non intermittente, flexible, créatrice d'emplois et de valeur ajoutée dans les territoires. Et réaffirme qu'un système décarboné exclusivement électrique, trop coûteux et dangereux pour les réseaux, est impossible.