Énergie : « le système décarboné sera plus cher », prévient Patrick Pouyanné (TotalEnergies)

Par Marine Godelier  |   |  822  mots
Alors que les sources d’électricité renouvelable intermittentes devront prendre de plus en plus de place dans le mix énergétique afin de se débarrasser des combustibles fossiles, un tel système coûtera « plus cher qu’aujourd’hui » aux consommateurs, a insisté samedi le patron de TotalEnergies, Patrick Pouyanné. En cause : des coûts importants pour assurer la flexibilité du réseau, aussi bien pour stocker le courant lorsque le vent ou le soleil manquent, que pour alimenter en énergie décarbonée des centrales à gaz pilotables, a-t-il fait valoir. Un ton alarmant qui tranchait avec l’optimisme affiché par son interlocutrice, la directrice générale d’Engie, Catherine MacGregor.

Lors des rencontres économiques d'Aix-en-Provence, ce samedi 8 juillet, le PDG de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, n'a pas uniquement alerté sur les risques d'approvisionnement en hydrocarbures de l'Europe à l'hiver prochain. Face à Luc Rémont (EDF) et Catherine MacGregor (Engie), celui-ci a également affirmé qu'un système énergétique bas carbone, rendu nécessaire par la lutte contre le réchauffement climatique, coûtera durablement « plus cher ».

« Quand on prend un système complet, à moins d'accepter de garder pas mal de fossiles, ça coûtera plus cher qu'aujourd'hui. [...] Il ne faut pas dire aux gens que parce que le soleil est gratuit, ça ne va pas être cher, ce n'est pas vrai ! [...] Le système sera de plus en plus complexe à manipuler », a-t-il fait valoir.

Et pour cause, l'électricité produite à partir de panneaux photovoltaïques, tout comme celle issue des éoliennes, restera « intermittente », c'est-à-dire dépendante des conditions météorologique, a-t-il rappelé. Autrement dit, dans un mix énergétique où ces sources deviendront majoritaires par rapport au pilotable (fossiles, nucléaire), il faudra mettre en place des « capacités de stockage » du courant, afin de restituer celui-ci lorsque les moyens de production s'avèrent insuffisants, par manque de soleil ou de vent. Or, « on en est loin », a rappelé Patrick Pouyanné, puisqu'aucune technologie compétitive ne permet aujourd'hui de stocker de l'électricité à grande échelle.

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LCOE ou coûts complets du système ?

Cela rejoint le fameux débat sur l'indicateur à retenir pour mesurer le coût de chaque énergie. Faut-il privilégier les coûts des sources d'énergie seules, calculés entre autres par le LCOE (« coût actualisé de l'énergie produite », un indicateur de la banque Lazard), ou bien les coûts complets du système qu'implique chaque nouvelle unité de production d'énergie ? Une chose est sûre : largement utilisé pour démontrer la compétivité du solaire et de l'éolien, le LCOE n'intègre en fait pas les coûts du système associés à chaque technologie, comme les batteries, le stockage hydraulique, ou encore la boucle hydrogène. Ni ceux induits par le réseau de transport et de distribution, qu'il faudra adapter si l'on change de modèle de production.

C'est d'ailleurs pour cette raison que, dans ses méthodes de calcul sur le mix énergétique en 2050, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité français RTE examine les coûts dans une analyse « bottom-up » incluant la chaîne de production, de flexibilité et de réseau, et en tenant compte des taux de charge, plutôt que le LCOE. Et estime que ces coûts additionnels seront « plus importants dans les scénarios avec une très forte part en énergies renouvelables ».

« On n'investit pas dans l'éolien offshore en Europe à 50 euros le MWh ! »

Samedi, la directrice générale d'Engie, Catherine MacGregor, s'est quant à elle montrée beaucoup moins pessimiste. « En Espagne [où les énergies renouvelables sont prégnantes dans le mix, ndlr], sur 135 jours du 1er semestre, les prix spot étaient inférieurs à ceux de la France », preuve qu'il est possible d'atteindre un « mix énergétique décarboné et bon marché pour le consommateur », a-t-elle assuré face à Patrick Pouyanné. Par ailleurs, même si les énergies renouvelables augmentent l'instabilité dans les réseaux électriques, « les centrales à gaz, fonctionnant au gaz décarboné, vont jouer rôle massif [pour y remédier, ndlr] », a-t-elle répondu au patron de TotalEnergies, qui n'a pas hésite à la qualifier de « madame Soleil ».

En effet, la promesse d'Engie serait de faire carburer les centrales électriques à cycle combiné gaz à l'hydrogène bas carbone afin de pallier l'intermittence des renouvelables, sans pour autant s'appuyer sur les fossiles.

Mais « si tu veux faire de l'électricité avec de l'hydrogène et du biogaz, ça coûte cher ! », lui a immédiatement opposé le patron de TotalEnergies. Lequel n'a pas non plus manqué de tacler les conditions dans lesquelles ont été remportés les derniers appels d'offre sur l'éolien offshore par EDF, à moins de 50 euros le mégawattheure (MWh). « Si tu fais un investissement, tu prends sans doute pas 50 euros le MWh comme hypothèse, mais sans doute beaucoup plus. On n'investit pas dans l'éolien offshore en Europe à 50 euros le MWh, ce n'est pas vrai ! », a-t-il assumé, sous les rires crispés de Catherine MacGregor, qui pointait du doigt le PDG d'EDF, Luc Rémont.

Depuis plusieurs mois, plusieurs acteurs du secteurs dénoncent en effet des prix tirés à la baisse, en raison notamment d'appels d'offres quasi uniquement basés sur ce critère, au moment-même où les constructeurs européens d'éoliennes font face à des pertes massives, et craignent la concurrence asiatique.

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