4,5 milliards d'euros d'investissement pour mettre au point des plateformes électriques destinées à équiper de futurs parcs éoliens, notamment en mer. Voici l'accord « historique » qu'ont annoncé jeudi le gestionnaire du réseau de transport d'électricité en France, RTE, les Chantiers de l'Atlantique et l'industriel Hitachi Energy
« D'une ampleur inédite pour RTE », ce contrat portera sur la construction de plateformes en mer bien plus puissantes que celles construites actuellement, et destinées à équiper les parcs éoliens offshore de Normandie (Centre Manche 1 & 2) et d'Oléron, ont annoncé les trois partenaires à l'occasion d'un déplacement de Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, et de Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'Industrie et de l'Energie, aux Chantiers de l'Atlantique à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique).
Courant continu plutôt qu'alternatif
Concrètement, les plateformes en question, fonctionnant à courant continu, seront d'une plus forte puissance et d'une plus grande dimension que celles à courant alternatif qui équipent aujourd'hui les premiers parcs éoliens sur les côtes françaises. En effet, le courant continu permet de transporter le courant en mer sur de très longues distances, et s'avère par là même mieux adapté à la nouvelle génération de parcs offshore, plus puissante et parfois située plus loin du rivage (là où les vents sont plus importants et plus réguliers). Les plateformes serviront donc à stabiliser et élever la tension de l'énergie produite par les éoliennes, de réduire les pertes électriques potentielles et de limiter le nombre de câbles nécessaires pour transmettre l'électricité au réseau public de transport d'électricité.
Celles-ci seront fabriquées à Saint-Nazaire aux Chantiers de l'Atlantique, qui ont déjà mis sur pied une dizaine de plateformes offshore, bien que plus petites, pour la France et l'Europe. L'entreprise de construction maritime devra ainsi doubler sa capacité de production de plateformes, à travers près de 100 millions d'euros d'investissements dans une extension, pour s'équiper notamment de la plus grande alvéole de peinture d'Europe. Il pourra « capitaliser sur ses installations », dont sa cale pouvant soulever jusqu'à 1.400 tonnes, souligne le communiqué commun.
Tensions sur le raccordement
Pour rappel, RTE s'est vu confier il y a quelques années un monopole pour le raccordement des parcs éoliens offshore, le réseau en mer étant perçu comme un prolongement du réseau terrestre. Ces ouvrages de raccordement sont notamment encadrés dans le cadre des appels d'offres organisés par l'Etat, et également financés par le tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (Turpe).
Selon son Schéma décennal de développement du réseau publié en février, RTE consacrera pour la seule année 2024 un peu plus de 10% de son budget d'investissement à la réalisation des raccordements pour les parcs éoliens en mer, soit 258,3 millions d'euros sur les 2,28 milliards d'euros de l'enveloppe globale. En février cependant, la Commission de régulation de l'énergie avait pointé de « fortes tensions » sur le marché de l'éolien offshore qui devraient avoir une « incidence » sur les coûts prévisionnels des raccordements.
« Simplification » des procédures
Cet accord intervient alors que le gouvernement prévoit d'accélérer la cadence en la matière, afin d'atteindre son objectif de 18 gigawatt (GW) d'éolien en mer en 2035, puis « au moins » 45 GW en 2050 (soit une cinquantaine de parcs). A ce jour, la capacité installée en France atteint à ce jour environ 1,5 GW, le parc de Saint-Nazaire étant intégralement mis en service depuis 2022 (480 MW), suivi des parcs de Fécamp (497 MW) et de Saint-Brieuc (496 MW) qui injectent sur le réseau et devraient être intégralement mis en service en mai et en juin 2024. « Il y a une compétition, il faut la livrer vite et fort », a ainsi fait valoir jeudi Bruno Le Maire, regrettant « un sacré retard à l'allumage » dans l'Hexagone.
A Saint-Nazaire, l'exécutif a ainsi mis en avant plusieurs pistes d'action pour passer la seconde, notamment la « simplification des procédures de déploiement » de l'éolien en mer. Mercredi 24 avril, celui-ci a ainsi déposé au Parlement un projet de loi de « simplification de la vie économique », comportant une mesure permettant de déroger à des règles de la commande publique. Le but : « simplifier » et « accélérer » la contractualisation par RTE des marchés nécessaires à la réalisation des ouvrages de raccordement des parcs éoliens en mer.
Autre mesure annoncée : l'exécutif publiera un décret permettant de « réduire » la durée de la procédure de mise en concurrence des futurs parcs éoliens, en « simplifiant drastiquement les modalités de pré-qualification » et en écourtant la phase de dialogue concurrentiel et d'instruction des offres par la Commission de régulation de l'énergie, a-t-il fait savoir jeudi. Ce qui devrait permettre de réduire la durée totale des procédures de mise en concurrence à environ 12 mois, contre 2,5 à 3 ans aujourd'hui (en incluant la réalisation des études en mer), promet-on à Bercy.
Par ailleurs, Bruno Le Maire et Roland Lescure se sont engagés à attribuer un giga appel d'offres de 10 GW d'ici à octobre 2026. En outre, une carte des « zones propices à l'éolien en mer » à horizon 10 ans et à horizon 2050 sera publiée en septembre, après les débats achevés fin avril entre collectivités, élus, ONG, pêcheurs et citoyens.
Une guerre des prix intenable ?
Enfin, le gouvernement a confirmé ce jour la désignation prochaine du lauréat de l'appel d'offres de 250 mégawatts (MW) pour un parc éolien flottant en Bretagne, à un prix « très très en-dessous » du prix plafond de 140 euros par mégawattheure (MWh).
« Le lauréat a été désigné. Je donnerai son nom dans les prochains jours, une fois que la garantie bancaire sera constituée », a précisé Bruno Le Maire.
Selon une information des Echos, le premier lauréat choisi début février par la Commission de régulation de l'énergie s'est désisté, n'ayant pas remis les garanties financières attendues pour être désigné lauréat dans les quinze jours impartis.
« A l'issue de l'instruction, une première société lauréate avait été désignée comme lauréat pressenti, mais cette dernière a par la suite décidé de ne pas remettre la garantie bancaire nécessaire. Conformément aux dispositions du cahier des charges et du code de l'énergie, cette société s'est vu retirer son statut de lauréat pressenti et une seconde entreprise a été désignée lauréate. Sa nomination interviendra au dépôt de garantie bancaire. En parallèle, le gouvernement va enclencher une procédure de sanction contre la première société », confirme à La Tribune une source ministérielle.
« Soit cette entreprise a visé un prix trop bas, finalement intenable, soit on lui a suggéré de ne pas constituer sa garantie », note un expert du secteur. Une chose est sûre : l'inflation des coûts de construction et des coûts de financement continue de peser sur les constructeurs et les énergéticiens, qui se livrent à une impitoyable guerre des prix.
Et pour cause : les appels d'offres lancés par l'Etat pour sélectionner un opérateur plutôt qu'un autre valorisent en premier lieu le critère prix, qui pèse aujourd'hui pour 70% dans l'équation ! Et ce, afin d'obtenir les coûts de production de l'énergie les moins élevés possibles. Pour remporter la mise, mieux vaut donc proposer un tarif extrêmement bas. Résultat : les turbiniers subissent une forte pression de leurs clients, les développeurs (EDF, TotalEnergies, Engie, Eolfi, Iberdrola, etc), qui sont à la recherche du prix le plus bas possible. Et ce, alors même qu'ils doivent composer avec la hausse des coûts des transports, des matériaux, mais aussi des métaux nécessaires à la construction des turbines...et par ricochet, de celle des taux d'emprunt, en raison de la crise du Covid-19 et de la guerre en Ukraine.
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