Eolien : les coûts de construction explosent, le modèle européen ne tient plus face à la concurrence chinoise

A l’heure où Bruxelles compte mettre les bouchées doubles sur le déploiement des énergies renouvelables, afin de permettre aux Vingt-Sept de s'affranchir des hydrocarbures russes et de sécuriser leurs approvisionnements, les constructeurs européens d’éoliennes tirent la sonnette d’alarme : face aux bouleversements sur la chaîne logistique et à l'explosion des coûts des matières premières, leur modèle ne tient plus. De quoi faire planer le risque de prises stratégiques par leurs concurrents étrangers, et même menacer l’avenir des sites de production sur le continent. Analyse.
Marine Godelier
(Crédits : Volta)

Chez les fabricants d'éoliennes, l'histoire reste dans toutes les têtes : à force de prix tirés vers le bas et d'une concurrence internationale extrême, l'industrie européenne de conception des panneaux photovoltaïques fut tuée dans l'œuf au début du 21ème siècle, supplantée par la compétitivité imbattable de la Chine, désormais largement dominante sur le marché mondial. Une bataille perdue pour le Vieux continent, et un schéma qui pourrait bien se répéter, cette fois dans le secteur des géants à pales, alertent aujourd'hui les turbiniers européens.

Et pour cause, entre ventes à perte et destruction d'emplois, tous se montrent en grande difficulté. Le numéro 1 du secteur, le géant danois Vestas, a ainsi perdu 765 millions d'euros au premier trimestre 2022, et annoncé son intention de fermer trois usines et supprimer 275 postes. De son côté, Siemens Energy a dû lancer en mai une offre publique d'achat pour sauver de l'hémorragie financière sa filiale espagnole Gamesa, spécialisée dans la fabrication d'éoliennes.

Autant de déboires qui risquent de mettre à mal les objectifs ambitieux de l'UE en la matière : afin de réduire sa dépendance à la Russie, la Commission entend faire passer la capacité éolienne installée chez les Vingt-Sept de 190 GW à 480 GW d'ici à 2030. Un quasi-triplement que l'industrie déficitaire européenne pourrait ne pas assumer...au profit de fabricants étrangers qui cherchent à se développer en dehors de leur marché domestique. Et ce, malgré la volonté affichée par Bruxelles d'accroître sa souveraineté énergétique.

Flambée des coûts des matières premières

Car la hausse des prix de l'acier (utilisé pour les tours et les pales) et d'autres matériaux critiques, comme le cuivre, ont fait grimper en flèche le coût des infrastructures, s'alarment les constructeurs européens. Sans compter les bouleversements liés à la chaîne logistique, parmi lesquels le manque de porte-conteneurs, avec des goulots d'étranglement encore accentués par l'explosion de la demande mondiale liée à la guerre en Ukraine et à la course vers les alternatives « propres » au charbon, pétrole et gaz.

« L'état de la chaîne d'approvisionnement est malsain à l'heure actuelle [...] parce que nous avons un marché inflationniste qui dépasse ce que quiconque avait prévu même l'année dernière. Le prix de l'acier est multiplié par trois ! [...] Si le gouvernement pense qu'en un clin d'œil, cette chaîne d'approvisionnement va pouvoir se retourner et répondre à deux ou trois fois la demande, ce n'est pas raisonnable », avait ainsi souligné en avril Sheri Hickok, directrice générale du groupe français GE Renewable Energy pour l'éolien terrestre.

Par ailleurs, les mesures sanitaires drastiques en vigueur dans certains pays, notamment en Chine avec sa politique « zéro Covid » qui paralyse de nombreuses usines, aggravent un peu plus le phénomène. Et pour cause, « quelque 85% des composants de l'industrie proviennent de la Chine », a alerté il y a quelques jours José Luis Blanco, directeur général du mastodonte allemand de fabrication d'éoliennes Nordex. Une dépendance qui entraîne un « risque énorme », selon le dirigeant, tant elle fragilise les constructeurs européens, plus que jamais en manque de visibilité.

« Si vous achetez maintenant des matériaux en vue de l'installation d'un parc éolien, vous ne les obtiendrez pas avant des mois, ou à un prix très fort », illustre John Plassard, directeur chez Mirabaud & Cie et expert en macroéconomie.

Pression sur les prix via le mécanisme des enchères

Mais ce n'est pas tout : selon le DG de Nordex, le problème s'avère bien antérieur à la guerre en Ukraine ou à la crise sanitaire de la Covid-19. Car d'après lui, l'économie de l'industrie éolienne se trouve également très affectée par des pressions sur les prix des enchères, via les mécanismes d'appels d'offres concurrentiels mis en place par les pays européens pour sélectionner les opérateurs.

De fait, lorsqu'un appel d'offres pour un futur parc est lancé, les fabricants ignorent qui va remporter les enchères. « Il y a une incertitude sur le vainqueur et sur le niveau de prix exigé, donc sur l'ensemble des commandes », note Jacques Percebois, économiste et directeur du CREDEN. D'autant que le système fonctionne selon la logique du « moins disant », précise le chercheur. Autrement dit, « l'Etat sélectionne le moins gourmand, c'est-à-dire celui qui propose un tarif au MWh le moins élevé à spécification donnée », poursuit-il. Ce qui, mécaniquement, tire les prix à la baisse, malgré les difficultés des constructeurs face aux tensions inflationnistes sur la chaîne d'approvisionnement. Or, l'augmentation des coûts des composants, qui représentent jusqu'à 80% du prix final de l'électricité générée, entraîne une pression très forte sur les marges de l'ensemble de l'industrie.

« Ce système d'appel d'offres est aujourd'hui à bout de souffle. Il oblige à pratiquer des prix inférieurs à 60 ou 70 euros le MWh, alors que les cours de l'électricité explosent aujourd'hui jusqu'à 500 euros du MWh. Il y a un vrai décalage, qui ne permet pas aux turbiniers européens de sécuriser leur offre industrielle sur le territoire », s'inquiète Michel Gioria, délégué général de France Energie Eolienne.

D'autant que l'industrie reste confrontée à un portefeuille de projets instable pour les travaux futurs, ce qui aggrave le phénomène de stop and go dans certaines usines de composants, fait régulièrement valoir WindEurope, le lobby européen de l'éolien. Et pour cause, la construction de nouveaux parcs s'avère bien en-deçà des prévisions et des objectifs de l'Union européenne, notamment en France, à cause de résistances locales et de recours administratifs à répétition.

« Nous investissons dans les volumes en faisant confiance à la dynamique du marché, puis le volume ne vient pas, alors une usine est vide [...] Le secteur entre dans une boucle autodestructrice », a ainsi récemment souligné le DG de Nordex.

Effet ricochet sur les prix de l'électricité

De quoi enrayer la baisse des coûts de l'électricité éolienne observée depuis près d'une décennie, malgré la flambée des cours des hydrocarbures dont « profite » la filière. « On observe un réel changement au niveau de la dynamique des prix, qui sont repartis à la hausse après avoir diminué de près de 40% par rapport à 2010 », note John Plassard.

Au niveau mondial, « des batteries aux panneaux solaires et aux éoliennes, les tendances rapides de réduction des coûts observées au cours de la dernière décennie se sont pour la plupart inversées en 2021, avec des prix des éoliennes en hausse de 9% », soulignait de son côté l'Agence internationale de l'énergie (AIE) le 18 mai dans une note intitulée « Les minéraux critiques menacent une tendance de plusieurs décennies à la baisse des coûts des technologies énergétiques propres ».

AIE éoliennes

Or, « au cours des huit dernières années, le coût a été le seul moteur de développement, les faibles coûts nivelés de l'énergie et les prix bas des turbines ayant stimulé l'ensemble de l'activité », a récemment fait valoir Jürgen Zeschky, directeur général du géant allemand de fabrication d'éoliennes Enercon. Résultat : les industriels européens se replient, affirment qu'ils seront en concurrence pour moins de projets sur moins de marchés, qu'ils augmenteront les prix, rationaliseront leurs gammes de produits et réduiront les coûts de fabrication.

Les turbiniers chinois lorgnent sur l'Europe

Alors que, dans le même temps, la concurrence chinoise parvient à maintenir ses systèmes à des prix nettement inférieurs, « le vrai risque est de voir partir toute l'industrie éolienne européenne dans des pays à bas coûts », alerte Michel Gioria. De fait, la Chine voit de précieuses opportunités sur le marché européen, et nombre de ses entreprises prévoient d'y investir, de Goldwind à Envision Group, en passant par Ming Yang. Cette dernière fournit notamment les éoliennes du premier parc offshore en Méditerranée, au large des côtes italiennes, financé par une branche de la banque d'investissement française Natixis. Quant à Goldwind, la société a gagné des marchés en Grèce et au Kazakhstan, en mettant en avant des « offres globales à bas prix ».

Dans ces conditions, France Energie Eolienne milite pour que soient retenus d'autres critères que le prix dans les appels d'offres. « Il faut au moins prendre en compte l'inflation des matériaux et l'évolution du coût de la main-d'œuvre, afin de sécuriser une base de production sur le territoire européen et français », défend Michel Gioria. Sans quoi, affirme-t-il, la filière ne pourra tenir ses objectifs, et subira le même sort que celle du photovoltaïque, entre délocalisations massives et dépendances extrêmes à l'Asie.

Marine Godelier

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Commentaires 27
à écrit le 05/06/2022 à 11:42
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Oui, les appels d'offres pour les parcs éoliens (en mer) permettent de descendre sous 60 MWh dans certaines situations. MAIS : - le coût du raccordement par câbles sous-marins a été subrepticement mis à la charge des consommateurs via la taxe TURPE...

à écrit le 01/06/2022 à 9:47
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il est temps de construire une armée européenne pour s'affranchir de la tutelle us, des serveurs basés en Europe pour s affranchir de la tutelle us, chinoise, des secteurs et filières européennes pour l 'indépendance énergétique et d 'hydrocarbure po...

à écrit le 01/06/2022 à 9:43
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Il n'y a qu'en Europe que l'acier, le cuivre, et autres métaux coûte de plus en plus cher ? Pas ailleurs ? Et notamment pas en. Chine ? Il va falloir trouver autre chose pour justifier qu'on repique au nucléaire malgré les preuvent de sa faillite qu...

à écrit le 01/06/2022 à 9:41
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Il n'y a qu'en Europe que l'acier, le cuivre, et autres métaux coûte de plus en plus cher ? Pas ailleurs ? Et notamment pas en. Chine ? Il va falloir trouver autre chose pour justifier qu'on repique au nucléaire malgré les preuvent de sa faillite qu...

le 01/06/2022 à 13:20
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avez vous oublier que l'europe doit payer a vie la dette des etats unis c'est le prix de la soumission de la corruption de nos dirigeants y compris l'abandon de notre culture pour adopter le wokisme voir quand il nous impose l'integration de l'uk...

à écrit le 01/06/2022 à 0:04
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Faisons ce que nous faisons de mieux : Des contraintes ,des lois ,des impôts ,des licornes et parler pour ne rien dire de manière suffisante .

le 01/06/2022 à 6:11
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Soyez plus precis : à cause de chaque ponctionnaire, la France s effondre

à écrit le 31/05/2022 à 19:54
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Bonjour je Dans nos économies de marché nous ne devons prendre en compte les matières premières... Mais comme et l'on ne fabriquer plus rien en Europe, les importations nous coûte chère....

à écrit le 31/05/2022 à 19:35
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Rendez-vous dans un an quand, apres un hiver à faire porter des pulls à leurs peuples, les responsables politiques européens se feront dégager par des révoltes populaires, et qu'un vaste consensus pro-nucléaire aura été trouvé.

le 01/06/2022 à 6:13
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Cela n arrivera pas : les ponctionnaires flics vous en empecheront !!!

le 01/06/2022 à 14:00
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Comme c'est le nucléaire qui va mettre la France au congélateur, ce qui aurait été le cas cette année si nos voisins ne nous avaient pas sorti du pétrin dans lequel nous a mis notre nucleaire défaillant à 50% et qui le sera à 80% l'année prochaine, c...

à écrit le 31/05/2022 à 18:45
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Une occasion de plus de taxer les produits Chinois, ou les interdire à l'importation comme produits stratégiques. On l'a bien fait avec Huawei.

à écrit le 31/05/2022 à 18:25
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les bobos ecolos n'avaient pas prevu les augmentations des matieres premieres et oui des doux reveurs et ce n'est peut etre pas fini ! ceci dit ce materiel n'a rien d'ecologique il faqut des tonnes de ciment pour arimer le poteau au sol a minimu...

le 01/06/2022 à 14:05
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Sauf que rien que pour se débarrasser des déchets nucléaire on a construit CIGEO qui a utilisé presque trois fois plus de béton que pour ancrer les 8000 éoliennes de France... Consultez le site de L'ANDRA qui a créé CIGEO et vous direz moins de sott...

à écrit le 31/05/2022 à 16:52
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Je m'étonne que dans la construction neuve au minimum l'éolien thermique solaire ne soit pas un standard pour chauffer l'eau sanitaire voire les maisons (600 à 800 watts du m2 par panneau). En outre à quand le captage du Méthane? On peu également s'i...

le 31/05/2022 à 20:17
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Je comprend pour le solaire thermique qui a une bonne efficacité pour chauffer de l'eau mais que vient faire l'éolien la dedans?

le 31/05/2022 à 21:29
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Le probleme est moins le bâti neuf (qui est performant avec les RT récentes) que la renovation énergétiques de millions de logements anciens, logements qui valent souvent moins que le coût faramineux des travaux. En fait, compte tenu de la complexit...

le 01/06/2022 à 0:11
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Vous avez raison : propriétaire d’une BD maison de 90 m2 bien exposée ( s’use un coteau ensoleillé ) , il y a 2 ans j ai fait installer : une éolienne adaptée à mon jardin et ne gênant pas mes voisins ( hélicoïdale), des panneau photovoltaïque répon...

à écrit le 31/05/2022 à 16:18
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Il y a quelque temps vous aviez donné une tribune (sans jeu de mot) à une réprésentante du lobby eolien qui ventait des coûts au KW/h imbatables notamment face au nucléaire. J'en déduis donc que le modèle que GreedPeace veut nous vendre repose sur de...

le 01/06/2022 à 14:09
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Il n'y a aucune interdiction de fabriquer des ppv et des éoliennes ici. C'est beau l'incohérence !

à écrit le 31/05/2022 à 14:26
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Des droits de douane de 25% sur les importations chinoises, stables et perennes, ne seraient pas plus logiques et équitables pour favoriser la production locale?

le 31/05/2022 à 15:14
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Plus subtil et en ligne avec l'OMS, des " non tariff barriers" , specifications très dures sur la qualité et les normes, les Chinois ne se privent pas d'appliquer cela pour limiter leurs importations, aciers fait dans des usines respectant l'environn...

le 31/05/2022 à 15:17
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Au final, avec taxes ou sans taxes, c’est toujours le consommateur qui paye l’addition !! Et les poches du consommateur ont malheureusement un fond……

le 31/05/2022 à 16:55
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Remarque: si les Chinois par rétorsion nous privent de nos bidules habituels ça risque de tousser..

à écrit le 31/05/2022 à 13:56
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Les sources d'énergies renouvelables, panneaux solaires, éoliennes, sont faites avec du pétrole. Le zéro carbone, ça n'existe pas

le 31/05/2022 à 14:51
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L'électricité des barrages n'est pas carbonée mais y en a pas quantité. Les industriels de l'aluminium sont proche de barrages vu les quantités énormes de courant qu'il leur faut pour réduire la bauxite en alu. Le problème du matériel produisant de ...

le 01/06/2022 à 14:13
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Sottises! C'est avec des matériaux qui n'ont rien à voir avec le pétrole pour la plupart, et de l'énergie qui n'est pas non plus l'apanage du pétrole et précisément, plus on aura produit de dispositifs qui nous permettent de capter l'énergie du Sole...

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