Prix de l’électricité : pourquoi l’écart se creuse entre la France et l’Allemagne

En avril, les prix de gros de l’électricité en Allemagne étaient supérieurs de 30 euros par mégawattheure (MWh) en moyenne à ceux enregistrés en France. Un écart significatif, qui s’explique entre autres par une situation « extrêmement tendue » au niveau des interconnexions entre l'Est de l'Hexagone et les pays limitrophes, selon RTE. Mais pas que : alors même que ce problème technique devrait être rapidement résolu, le marché anticipe d’importantes disparités dans les prochaines années. Preuve que le marché européen de l’électricité n’est pas un bloc unique. Décryptage.
Marine Godelier
(Crédits : Reuters)

C'est un poncif de cette nouvelle campagne des élections européennes : sur le Vieux continent, il n'existerait qu'un marché « unique » de l'électricité, qui fonctionnerait de la même manière pour l'intégralité des Etats membres. En raison d'une « indexation aux cours du gaz », les prix convergeraient donc partout, quel que soit le mix énergétique de chacun des pays. Une « règle » imposée par Bruxelles qui ferait monter les enchères en France, forcée de subir les choix de son voisin allemand, lequel a décidé de sortir du nucléaire et de s'appuyer davantage sur le gaz fossile pour générer son courant.

Pourtant, la réalité ne colle pas totalement avec ce récit : depuis plusieurs semaines, les prix de l'électricité sur le marché de gros européens révèlent d'importantes disparités. En avril, les prix allemands étaient même supérieurs de 30 euros par mégawattheure (MWh) en moyenne à ceux enregistrés en France. Et ce n'est pas tout : « L'an prochain, le marché anticipe un gros écart de prix entre les deux pays, d'au moins 10 euros par MWh », note un trader de l'énergie ayant requis l'anonymat. Par exemple, le 7 mai, un MWh acheté pour une livraison en 2026 se vendait 79 euros par MWh outre-Rhin...contre 61 euros/MWh dans l'Hexagone.

A court terme, une situation « extrêmement tendue » aux frontières

Car dans les faits, il subsiste des marchés distincts entre pays. « Il existe bien des interconnexions entre Etats membres qui favorisent une convergence des cours, mais elles ne sont pas sans limites. Il arrive régulièrement qu'elles soient saturées, et le marché l'anticipe en raisonnant par zones de prix », souligne Nicolas Goldberg, senior manager Energie chez Colombus Consulting.

Or, depuis le mois de mars, on observe d'importantes congestions aux frontières entre l'Est de la France et les pays limitrophes, provoquées par des restrictions sur le réseau français. Une « situation exceptionnelle » et « extrêmement tendue », selon une note envoyée fin avril par le gestionnaire français du réseau de transport d'électricité RTE, lequel a dû « appliquer des réductions de capacités aux frontières afin de garantir la sûreté du système électrique ». Ce qui expliquerait, en partie, ces divergences.

« RTE ne communique pas beaucoup là-dessus, en-dehors de ce communiqué très sibyllin », commente l'économiste spécialiste du marché de l'énergie Jacques Percebois.

A la suite de cette note de marché, le régulateur de l'énergie belge, la Creg, a d'ailleurs demandé à son homologue français une « évaluation conjointe » à propos des restrictions « massives » des capacités d'exportation d'électricité de la France vers ses voisins européens, regrettant que « trop peu d'informations sont actuellement connues sur les raisons sous-jacentes de ces réductions de capacité ». Et ce, alors que ces échanges sont « cruciaux » pour les prix de l'électricité de gros dans un marché « couplé et intégré » comme en Europe.

La France en surcapacité électrique

Mais concrètement, en quoi cela tire-t-il les prix de l'Hexagone à la baisse, et ceux de l'Allemagne et de la Belgique à la hausse ? D'abord, malgré la crise subie ces dernières années, la France traverse en ce moment une période de surproduction électrique. La raison : des barrages remplis, un socle renouvelable au rendez-vous et une disponibilité du parc nucléaire en hausse. Si bien que le pays est exportateur net, et qu'il n'a pas besoin de faire appel à des centrales à gaz, souvent coûteuses, pour répondre à l'équilibre offre-demande. « Le système est actuellement surcapacitaire, donc beaucoup moins adossé au prix marginal du gaz puisque la production de base décarbonée est plus abondante », précise Nicolas Goldberg.

Ce qui n'est pas forcément le cas de certains de ses voisins, qui ne bénéficient, donc, pas pleinement de cette surproduction. « Si nous exportons moins vers l'Allemagne ou la Belgique, cela signifie que ce surplus est vendu sur le marché français », explique Jacques Percebois. Ce qui fait mécaniquement baisser le prix de gros dans le pays. Au point que début avril, la France a même connu un épisode de prix négatifs.

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Sur le long terme, des raisons avant tout physiques

Cependant, ces congestions exceptionnelles ne peuvent pas expliquer à elles seules les écarts, notamment sur l'achat d'électricité pour livraison en 2025, 2026 et 2027. « RTE annonce que la situation tendue devrait encore s'observer en août, septembre et octobre, mais que ce sera très passager », souligne Jacques Percebois. Pour les ventes à terme, la raison se trouve donc ailleurs.

Et plus précisément dans le mix énergétique de chaque Etat. Pour cause : en-dehors de cet épisode exceptionnel de restriction, les échanges aux frontières entre pays resteront toujours soumis à des limites techniques. Or, « les acteurs de marché anticipent plus de surcapacités en France qu'en Allemagne. Ce qui paraît cohérent, sur le papier, puisque l'Hexagone ne va pas fermer beaucoup de moyens de production. Contrairement à l'Allemagne qui est sortie de l'atome et veut faire de même pour le charbon », précise Nicolas Goldberg.

« A cet égard, ce sont les choix de chacun sur le nucléaire qui jouent beaucoup sur les cours : les opérateurs anticipent que cette source d'énergie remontera fortement en France, tandis qu'on ne peut plus compter sur ça outre-Rhin », ajoute Jacques Percebois.

Primes de risque

Or, en plus d'être décarboné, le nucléaire est en partie « pilotable », c'est-à-dire que sa production peut être modulée quelles que soient la météo (hors conditions extrêmes). Ce qui n'est pas le cas du photovoltaïque et de l'éolien, sur lesquels l'Allemagne compte massivement pour effectuer sa transition, puisque leur contribution varie en fonction du vent et du soleil. « Berlin ne dispose plus d'un socle pilotable et bas carbone. Le marché ajoute donc une prime de risque, car l'intermittence des renouvelables entraîne une forte volatilité des prix », complète Jacques Percebois.

Certes, le pays peut compter sur le gaz, dont il ne prévoit pas de sortir de sitôt. Mais voilà : avec la guerre en Ukraine et la chute des volumes livrés par gazoduc depuis la Russie, le marché du gaz restera, lui aussi, durablement volatil. « Il faut de plus en plus compter sur le gaz naturel liquéfié acheminé par navire des quatre coins du monde plutôt que celui transporté par tuyaux. Cela ajoute une autre prime de risque [liée à la géopolitique, entre autres, ndlr] », souligne Nicolas Goldberg.

Enfin, pour ne rien arranger, « il est possible que les marchés anticipent un renforcement des marchés carbone d'ici aux prochaines années », pointe le consultant. En effet, l'Union européenne prévoit de réformer son système d'allocation de droits à polluer, afin d'en durcir les contours. Dans ces conditions, le gaz, et donc par ricochet l'électricité issue de cette source d'énergie fossile, serait donc encore plus cher. Au risque de creuser durablement l'écart entre les prix français et allemands ? Une chose est sûre : alors que, selon une récente enquête d'EY, Berlin est durement touchée par la chute des investissements étrangers, les inquiétudes concernant sa sécurité énergétique n'y sont pas pour rien.

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Marine Godelier

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Commentaires 19
à écrit le 12/05/2024 à 7:25
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Un simple regard sur le site rte.fr avec les chiffres de production et de consommation d’électricité en France, nous exportons grandement vers les autres pays européens, nous sommes donc capables d’avoir une politique de prix indépendante et au lieu ...

à écrit le 11/05/2024 à 8:33
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Ben elle doit commencer aussi à couter chère pour son pays la Ursula ! C'est qu'elle est gourmande hein...

le 11/05/2024 à 9:50
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stop la france n'est pas l'allemagne ils ont voulu saborder l'industrie francaise ils ont gagne alors qu'il paye leur electricite plus cher c'est leur vision

le 11/05/2024 à 22:13
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@Dossier51 Il n'y pas plus tard que 2 jours vous accusiez VDL de défendre les intérêts de l'Allemagne au détriment de la France ! Faudrait savoir :q

le 13/05/2024 à 8:18
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Ben elle ne peut que défendre les intérêts du pays qui lui permet de capter du fric du monde entier. Je dois sans arrêt toujours tout expliquer sans rire ?! Mais que c'est pénible.

à écrit le 10/05/2024 à 22:57
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Si ils ont besoin de notre énergie je ne suis pas contre qu'on leur vende mais à 10 fois plus cher pour qu'ils payent notre électricité et que ça baisse nos facture. De même comparer le prix en Allemagne et en France c'est débile les salaires en All...

le 11/05/2024 à 12:32
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"et que ça baisse nos facture" ?? on leur vend le surplus, et si on consommait moins on leur vendrait encore plus d'électricité, nous, on a le prix inscrit dans le contrat qu'on a avec notre fournisseur. Aucun risque que ça ait un effet. Au "mieux",...

le 11/05/2024 à 22:16
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1. Si on leur vend 10x plus cher ils ne l'achèteront pas et la produiront eux-mêmes via leurs centrales à gaz. Perdant-Perdant. 2. Le prix de l'électricité est très important pour les industriels, le coût du travail c'est une autre variable. Merci ...

à écrit le 10/05/2024 à 20:35
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Toute l'europe est déjà saturée en enr intermittentes. Les épisodes de prix négatifs sont quasiment quotidiens en Allemagne, Danemark et pays bas. La logique impose de stopper le développement de nouvelles installations enr.

à écrit le 10/05/2024 à 20:22
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Énergiewende... tout le monde savait ce que ca allait donner, alors maintenant faut donner les noms des ecologauchistes qui ont bien sème le bazar pour rigoler. Merkel et ses amis ont mis au ras rue et e.on, comme royal et mobtebourg ont coule edf, ...

à écrit le 10/05/2024 à 18:59
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Bref : le marché unique de l'électricité en Europe, ça ne marche pas. Avec entre autre le problème sans solution de la production d'électricité éolienne naturellement intermittente, et surtout assez peu, voire pas du tout, prévisible, n'en déplaise à...

le 11/05/2024 à 12:42
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"le marché unique de l'électricité" ça n'est pas "le même prix dans tous les pays", le marché, c'est le calcul, chez chacun, du prix de production d'appoint qui fera le prix de base (gaz pour nous = hausse forte = courant devenu cher) pour 'pénaliser...

à écrit le 10/05/2024 à 18:16
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Heureusement que le consommateur français bénéficie des nombreuses taxes qui alourdissent la facture. Faut payer le régime spécial de retraite des électriciens gaziers, renflouer le budget de l'Etat dispendieux...

le 10/05/2024 à 18:31
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En parlant de taxes : L’Allemagne est connue pour ses capacités solaires photovoltaïques hors normes : avec 3 millions d'installations photovoltaïques dans le pays, elle dispose de 70 GW installés (contre 19 GW en France) . Est-ce lié au fait que ...

à écrit le 10/05/2024 à 18:15
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La France a tous les handicaps, c'est le pays le moins compétittif du monde, si au niveau du prix de l'énergie elle a un petit avantage il faut se taire, ne rien faire et le garder.

à écrit le 10/05/2024 à 18:01
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L'Allemagne va payer encore longtemps les 2 grandes erreurs de Merkel : fermeture des centrales nucléaires et ouverture à une immigration massive.

à écrit le 10/05/2024 à 17:00
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En sachant qu'en plus les choix politiques allemands sur l'énergie ont été basé sur des rapports bidonnés par les écolos allemands. Bien fait pour leur choix unilatéral qui ne tenait pas compte de la situation de leur voisins et en particulier la Fra...

le 10/05/2024 à 18:01
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Pour rendre la monnaie de leur pièce aux Allemands, je suggère qu'on retarde autant que faire se peut le gazoduc Espagne - Allemagne et qu'on coule quelques méthaniers en Atlantique avec nos U-boats.

à écrit le 10/05/2024 à 16:55
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On a tout bon ! Merci Macron !

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