Éolien offshore : veillée d’armes à Dunkerque

Par Dominique Pialot  |   |  1335  mots
La décision du gouvernement, qui pourrait intervenir ce vendredi 15 juin, est très attendue par les grands acteurs de l’éolien offshore européen. (Crédits : DR)
François de Rugy pourrait annoncer vendredi 15 juin lors d'un déplacement à Saint-Nazaire les résultats d’un appel d’offres qui doit faire entrer le marché français dans une nouvelle ère, tandis que le Premier ministre a confirmé mercredi lors de son discours de politique générale la révision à la hausse des objectifs de Programmation pluriannuelle de l'énergie espérée par la filière et les territoires.

Certains avaient espéré que le lauréat de l'appel d'offres éolien offshore pour 500 mégawatts (MW) au large de Dunkerque, qui s'est clos le 15 mars dernier, serait désigné lors des Assises des énergies marines organisées le 4 juin dans la ville. Finalement, ce devrait être ce vendredi 15 juin lors d'un déplacement du ministre de la Transition écologique sur le site de General Electric à Saint-Nazaire, où sont fabriquées les turbines pour certains parcs français. Le délai supplémentaire que se sont octroyé la Commission de régulation de l'énergie (CRE) et le gouvernement pour étudier les dossiers de candidature pourrait être lié au nombre de prétendants. Si la liste des candidats ayant réellement déposé une offre n'est pas publique, on sait qu'une petite dizaine de consortiums sont sur les rangs. Car cet appel d'offres, le premier lancé en France - il y a deux ans - depuis celui de 2014, a suscité un engouement sans précédent auprès de tous les grands acteurs de l'éolien offshore européen.

EDF Renouvelables, dont le Conseil d'État vient de valider l'autorisation d'exploiter le projet de parc éolien en mer de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), l'un des trois parcs remportés lors du premier appel d'offres de 2012, sera le premier énergéticien à pouvoir construire un parc au large des côtes françaises. Cette décision conforte probablement l'opérateur dans son choix de concourir à Dunkerque avec son partenaire des premiers parcs, le canadien Enbridge et l'allemand Innogy.

« Pour nous, Dunkerque est un projet très important, affirme Béatrice Buffon, directrice Énergies marines renouvelables EDF Renouvelables. Ce serait un relais de croissance après l'achèvement de nos premiers parcs, une contribution importante à la stratégie Cap 2030 du groupe EDF, qui prévoit le doublement de nos capacités renouvelables dans le monde entre 2015 et 2030. Ce projet permettrait un renforcement de notre lien avec le Dunkerquois où le groupe est déjà très présent. »

Et la jeune femme de mettre en avant l'expérience acquise sur ces premiers projets, notamment dans les relations avec les pêcheurs et, plus largement, l'intégration locale, ainsi qu'une étude approfondie du site depuis deux ans.

Même stratégie pour Engie. Après avoir remporté ensemble les parcs de Dieppe-Le Tréport (Seine-Maritime), des îles d'Yeu et Noirmoutier (Vendée) et de la ferme pilote flottante de Leucate (Aude), le français et le portugais EDPR ont annoncé, en mai, une coentreprise à l'échelle mondiale pour l'éolien en mer. Pour Dunkerque, ils ont été rejoints par l'allemand E.ON. L'espagnol Iberdrola, lauréat de l'appel d'offres de Saint-Brieuc (Côtes-d'Armor), est également dans la course aux côtés du britannique RES.

 Shell et Total sur les rangs

Le suédois Vattenfall fait équipe avec WPD France et la Caisse des dépôts. « Nous sommes implantés en France depuis près de vingt ans, d'abord dans la fourniture d'électricité aux entreprises, et depuis octobre 2018 aux particuliers », rappelle Yara Chakhtoura, directrice générale de l'activité pour la France.

« Mais la France est le seul des pays dans lesquels nous sommes présents sans disposer de notre production d'électricité en propre. »

Le consortium met en avant les atouts cumulés par les différents partenaires. « Nous sommes l'alliance la plus qualifiée de l'appel d'offres, avec une expérience exhaustive : treize parcs en exploitation, trois parcs déjà démantelés, nous sommes présents sur cinq des six parcs des rounds 1 et 2 français... »

« Vents de Dunkerque » regroupe le néerlandais Eneco, présent depuis dix ans dans le développement de parcs en mer en Europe de l'Ouest, DGE, filiale à 100% de Mitsubishi Corporation, et le constructeur de parcs offshore néerlandais Van Oord, qui ont déjà développé plusieurs projets ensemble. Le canadien Boralex, tout en continuant de participer au développement du projet, a annoncé qu'il céderait sa part à ses partenaires si le consortium l'emportait, le projet ne satisfaisant plus ses critères d'investissement. La présidente du consortium Lydia Schot, détachée d'Eneco, insiste sur l'habitude des partenaires de travailler dès la conception d'un projet avec les acteurs locaux et d'éviter les recours, limitant ainsi le temps et le coût de construction d'un parc. En plus de l'écosystème local, le consortium a pris langue avec Technip, géant de l'offshore pour l'oil & gaz, mais encore absent de l'éolien.

« Moulins de Flandre », constitué du groupe belge Deme, de l'énergéticien Shell et de la PME française Quadran Énergies Marines (une activité qui n'a pas été cédée à Direct Energie, repris à son tour par Total), s'est monté en six mois.

« On a été très tôt conscients qu'il y aurait un avant et un après Dunkerque sur le marché français », explique Stéphane Cicolella, directeur de la transition énergétique chez Shell.

L'autre pétrolier candidat, Total, a rallié en février seulement le belge Elicio, qui participe déjà à plusieurs projets en Flandre, avant de convaincre le danois Ørsted, leader mondial avec près de 30% du marché, de les rejoindre. Depuis une tentative avortée de partenariat avec EDF EN en 2012 lors du premier appel d'offres français alors qu'il s'appelait encore Dong, Ørsted a l'habitude de développer ses projets en solo. « Mais pour la France, deuxième potentiel en Europe après le Royaume-Uni, nous n'avions pas de réseau », reconnaît-on chez Ørsted. Or, comme EDF, Total est un acteur de longue date du bassin dunkerquois.

Soupçons de dumping

Ce consortium fait partie des acteurs suspectés d'avoir proposé des prix anormalement bas, ce qui expliquerait que l'étude des offres ait duré un peu plus que les deux mois annoncés. Jean-François Carenco, président de la CRE, a déclaré, le 5 juin, que certains candidats seraient soumis à des questions complémentaires visant à éliminer tout soupçon de dumping ou de prix d'éviction qui seraient pratiqués pour s'assurer une part de marché mais menaceraient la viabilité de toute la chaîne de valeur.

D'après le président de la CRE, le prix moyen serait de 51 euros le mégawattheure (MWh), un tarif en dessous des prix de marché actuels. Mais des rumeurs ont pu faire  état de plus bas autour de 35 euros. Or, si plusieurs candidats en lice ont pu proposer récemment des prix de 65 euros, seul Vattenfall est parvenu à passer sous les 50 euros par MWh pour un parc remporté au Danemark en 2016, avant de gagner le premier appel d'offres sans subvention pour un projet aux Pays-Bas en mars 2018. Le cahier des charges attribue au critère prix un poids de 70%, mais s'il peut prouver que le tarif proposé n'offre pas toutes les garanties de robustesse, le régulateur est en droit d'éliminer les consortiums en question.

Aussi, dans la mesure où le projet devrait dans tous les cas s'avérer neutre pour les finances publiques, les candidats ont mis en avant d'autres critères : implantation d'une équipe sur place, projets pédagogiques divers, lettres d'intention signées avec les acteurs locaux, engagements vis-à-vis des pêcheurs, financement participatif, etc.

Cinq ans après l'attribution de cinq des six premiers parcs à des énergéticiens français, la décision du gouvernement, qui devrait être annoncée vendredi 15 juin, est très attendue par les autres acteurs, qui guettent un signe d'ouverture du marché français à la concurrence européenne.

Seule certitude à ce stade, confirmée par le Premier ministre lors de son discours de politique générale, l'augmentation des objectifs de la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PEE), réclamée autant par les professionnels de la filière que par les régions littorales concernées. Des appels d'offres portant sur un volume annuel moyen de 1.000 MW minimum - au lieu des 600 MW initialement prévus - doivent permettre d'atteindre 10 GW à l'horizon 2028.