L'éolien offshore mise sur Dunkerque pour éviter la noyade

Les premiers parcs ne sont pas en construction mais le prochain va être attribué en mer du Nord. La filière espère convaincre le gouvernement de rehausser des ambitions aujourd'hui bien modestes.
(Crédits : Reuters)

« Un potentiel qui se renie. » C'est de cette façon que Yara Chakhtoura, directrice générale pour la France de Vattenfall Éolien, y décrit la situation de l'éolien maritime. Le suédois appartient à l'un des dix groupements candidats présélectionnés pour participer au troisième appel d'offres hexagonal, sur une zone située au large de Dunkerque. Comme les six premiers projets d'éolien posé, attribués dans le cadre des rounds I et II de 2011 et 2012, ce sera un parc de 500 mégawatts (MW). Mais c'est là leur seul point commun. Pour l'heure, la France fait piètre figure dans ce secteur. Aucun des parcs des premiers rounds n'est en construction, ni même purgé de tout recours. Rien d'étonnant si les tarifs accordés à l'époque (entre 180 et 200 euros le mégawattheure - MWh) semblent totalement hors sol, alors que l'on voit apparaître en mer du Nord les premiers projets sans subvention.

Car entre-temps, la technologie a évolué. Beaucoup. Les performances des éoliennes, de plus en plus hautes et aux pales toujours plus longues, sont sans commune mesure avec ce qu'elles étaient à l'époque. General Electric (qui a racheté Alstom en 2015) planche aujourd'hui sur une turbine de 12 MW, quand le modèle Haliade d'Alstom (qui doit équiper les trois parcs du premier round) n'affichait que 5 MW. Il en fallait donc deux fois plus pour construire un parc de puissance équivalente. Mais jusqu'à récemment, la réglementation française ne prévoyait pas que les caractéristiques d'un projet puissent évoluer après obtention des différents permis. Ces retards subis par les parcs de Saint-Nazaire, Fécamp, Courseulles-sur-Mer, Saint-Brieuc, Le Tréport et Yeu/Noirmoutier « sont essentiellement dus à la multiplication des recours », affirme François Brottes. Le président du directoire du réseau de transport RTE a répété lors du colloque annuel du Syndicat des énergies renouvelables (SER), le 6 février, qu'il serait regrettable de se priver d'une technologie offrant un facteur de charge de 40 à 45 %, deux fois plus que pour l'éolien terrestre.

« Comme chaque année, et comme je ne manquerai pas de vous le redire l'année prochaine, j'espère que nous pourrons entamer la construction de certains de nos parcs en 2019 », a ironisé à cette même occasion Jean-Bernard Lévy, PDG d'EDF, lauréat des parcs du premier round, qui n'en a toutefois jamais été aussi proche. Autre facteur d'explication de ces coûts élevés : le raccordement électrique. À l'inverse des pratiques en vigueur dans de nombreux pays, et en France pour les autres énergies, il était jusqu'à peu à la charge du développeur. Entre autres évolutions récentes destinées à simplifier, alléger et, in fine, accélérer les procédures, il est désormais du ressort de RTE.

Des tarifs « deux en un »

C'est d'ailleurs, à en croire les lauréats des premiers parcs, ce qui leur aurait permis de consentir des baisses de 30 % en moyenne sur les tarifs initialement accordés. En effet, à l'issue de renégociations menées avec chacun des lauréats au printemps 2018, le gouvernement est parvenu à ramener le coût global des six parcs de 40 à 25 milliards. Une baisse obtenue après avoir menacé de supprimer purement et simplement ces projets... donnant au passage aux investisseurs, notamment étrangers, un piètre exemple de la stabilité réglementaire que tous appellent de leurs voeux. « Je ne dirais pas que cette situation n'a pas posé de questions en interne », reconnaît Yara Chakhtoura. Mais après dix-huit ans passés en France dans d'autres activités énergétiques, le suédois ne s'est pas découragé. « Le cadre réglementaire actuel est de nature à attirer la concurrence », estime même la DG.

Car les nouveautés ne se limitent pas au transfert du raccordement à RTE. Les mesures de simplification récentes comprennent une autorisation unique, une juridiction administrative unique (la cour administrative d'appel de Nantes) et un délai d'instruction des recours limité à douze mois. Le « permis enveloppe », qui détermine dans quelles limites (hauteur des mâts, emprise maritime, etc.) un projet pourra être amené à évoluer après délivrance de l'autorisation, « permet de bénéficier des meilleures technologies disponibles au moment clé », souligne Yara Chakhtoura.

Surtout, les tarifs des premiers appels d'offres étaient « du deux en un, destiné à financer à la fois des parcs énergétiques et la constitution d'une filière industrielle », rappelle Pauline Le Bertre, déléguée générale de France Energie Eolienne (FEE). Cette stratégie a remporté un succès très mitigé. Certes, le SER table toujours sur 15000 emplois créés par les six premiers parcs. Mais GE, qui a hérité des usines Alstom et emploie quelque 500 personnes sur trois sites, a annoncé le 5 février envisager de supprimer 80 postes sur 246 à Nantes, en raison du « retard de notification de commande pour les projets éoliens français en mer ». Quant à l'autre fabricant français de turbines, Areva, il a cessé toute activité dans le secteur après que sa coentreprise avec Gamesa a disparu suite à la fusion Gamesa-Siemens.

De Rugy prêt à évoluer

Il n'est plus question désormais que de financer le projet éolien, et lui seul. Le projet de Dunkerque est donc le premier d'une nouvelle ère et suscite à ce titre beaucoup d'espoirs. Il attire pas moins de dix groupements, dont les français EDF (associé à l'allemand Innogy et au canadien Enbridge), Engie (avec l'espagnol EDPR), Quadran (aujourd'hui filiale de Total), associé au belge DEME et à Shell dans Moulins de Flandre ; le suédois Vattenfall (avec WPD et CDC) ; l'espagnol Iberdrola avec RES ; le norvégien Equinor (ex-Statoil) ; le canadien Boralex, chef de file de Vents de Dunkerque... Cette vive concurrence, sur fond de prix en forte baisse ces dernières années, devrait permettre à la technologie de l'éolien en mer posé d'apporter la preuve de sa compétitivité, « survenue bien plus rapidement encore qu'escompté », comme en témoigne Marion Lettry, déléguée générale adjointe du SER. Vattenfall a remporté le premier appel d'offres sous les 50 euros/MWh en 2016 et le premier sans subvention en 2018. « Une performance en partie directement réplicable à Dunkerque », affirme Yara Chakhtoura.

C'est bien ce que semble espérer le gouvernement. Le projet de programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), actuellement soumis à consultation, indique un prix cible de 70 euros/MWh, mais François de Rugy multiplie les signaux laissant entendre qu'il s'attend à des offres plus proches du prix de marché (fixé à 56 euros dans ce même document.) L'ensemble de la filière partage cet espoir, et mise sur cette preuve de compétitivité pour inciter le gouvernement à revoir ses ambitions à la hausse dans la PPE définitive. « En général, les gouvernements les plus exigeants à notre égard affichent aussi une visibilité de long terme et des volumes importants », indique Yara Chakhtoura, évoquant les 30 GW en 2030 visés par le Royaume-Uni.

La version actuelle ne prévoit qu'un maximum de 5,2 GW à l'horizon 2028, avec un objectif intermédiaire de 2,4 GW en 2023. Impossible de développer une filière compétitive avec un volume inférieur à 1000 MW/an et une irrégularité des appels d'offres, se désole le SER. Pour son président Jean-Louis Bal, maintenir ces volumes reviendrait à « rester au milieu du gué » sans récolter le fruit des progrès accomplis récemment, notamment la modernisation du cadre réglementaire.

Pour Claude Turmes, ancien député vert au Parlement européen, aujourd'hui ministre luxembourgeois de l'Énergie et de l'Aménagement du territoire, « la PPE condamne la France à ne pas être un acteur de l'éolien offshore ». Interpellé lors de son allocution au colloque du SER, le ministre de la Transition écologique, François de Rugy, s'est dit « prêt à évoluer si la preuve de la compétitivité est apportée ». Réponse en principe en milieu d'année, après le dépôt des candidatures d'ici au 15 mars. « Comme chaque année, et je vous le redirai l'année prochaine, j'espère que nous pourrons entamer la construction de certains de nos parcs en 2019 »

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Commentaires 4
à écrit le 23/02/2019 à 23:37
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Il y a une centaine d'entreprises et parfois non des moindres (Shell, EON, Schlumberger etc) qui développent des éoliennes "aéroportées" dont certaines font plus de 5 MW par unité. elles coûtent moitié moins cher que l'éolien et en plus utilisent 90%...

à écrit le 22/02/2019 à 20:20
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Un projet d'éoliennes offshore en mer á étaient develloper par Alstom , mais cette entreprise à étaient vendu lors d'une OPA hostiles ... ( îls ne faut pas le dire ) Donc maintenant cela reveindra a envoyer des capitaux hors du pays , alors que nou...

à écrit le 22/02/2019 à 17:31
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c'est dommage pour la Vendée et la loire atlantique qui ont des tas d'atouts, sauf un minima d'indépendance énergétique, surtout que le lieu choisi ne gène personne, c'est face à des marais salants ou il y a pas grand monde. Et l'avantage il y a tou...

à écrit le 22/02/2019 à 8:49
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C'est là que l'on voit l'approché économique moyen ageuse de nos LREM. L'éolien offshore et l'énergie marée motrice sont des énergies renouvelables et perpétuelles, on comprend que les actionnaires milliardaires qui ont pris beaucoup de risque à ...

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