Guerre en Ukraine : les Américains ont enfin eu la peau de Nord Stream 2

Par latribune.fr  |   |  658  mots
"Je pense que le gazoduc ne reviendra jamais", affirme la diplomatie américaine. (Crédits : Reuters)
Le gazoduc géant était dans le collimateur de Washington qui craignait de voir la dépendance de l'Europe à la Russie devenir irréversible, et de créer une "arme" géopolitique. Le projet devait en effet permettre d'exporter 110 milliards de m3 de gaz naturel par an, soit la moitié de ses livraisons.

"Je vous assure que nous y arriverons", avait déclaré, déterminé, Joe Biden en début d'année, au sujet de l'abandon du projet pharaonique Nord Stream 2, du nom du gazoduc géant reliant la Russie à l'Allemagne. Quinze jours après le début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, la promesse du président américain se réalise aujourd'hui. Déjà suspendu par l'Allemagne en guise de première mesure de rétorsion, le projet - d'une valeur estimée à 11 milliards d'euros - est "mort" et ne pourra pas être "ressuscité", a déclaré mardi une responsable américaine.

Un enterrement de première classe par Washington qui va dès lors poser la question de l'approvisionnement en gaz de l'Allemagne, dont près de 60% des importations proviennent de la Russie (contre près de 20% pour la France). Le géant russe Gazprom approvisionne aussi l'Italie, la Turquie, la Bulgarie, la Serbie, le Danemark, la Finlande et la Pologne... Et l'Autriche, où ce chiffre grimpe même à 100%. En d'autres termes, l'Europe, qui a recours à Nord Stream 1, est piégée.

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"Je pense que Nord Stream 2 est maintenant mort", "c'est un gros morceau de métal au fond de la mer, et je ne pense pas qu'il puisse être ressuscité", a dit la numéro trois de la diplomatie américaine, Victoria Nuland, lors d'une audition parlementaire.

"Je pense que le gazoduc ne reviendra jamais", a-t-elle insisté face à un sénateur républicain qui réclamait de rendre permanentes les sanctions américaines.

Les Etats-Unis, qui cherchent à accélérer sur les exportations de GNL (Gaz naturel liquéfié) en alternative, sont d'ailleurs cités dans les recommandations de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), au même titre que d'autres fournisseurs tels l'Algérie, le Qatar, ou l'Azerbaïdjan. Pour l'heure, le gaz naturel liquéfié (GNL), représente près de 20% des importations de gaz en Europe tous pays d'origine confondus (contre 80% pour les gazoducs).

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L'UE change de cap

Washington était aussi opposé de longue date à ce gazoduc cher à l'Allemagne et à la Russie, estimant qu'il renforçait la capacité de Moscou d'utiliser l'approvisionnement énergétique à l'Europe comme une "arme" géopolitique. Mais face à l'état d'avancement du projet, quasiment terminé, et pour éviter de se fâcher durablement avec Berlin, le président américain Joe Biden avait renoncé en 2021 à sanctionner ses opérateurs principaux.

Deux jours après l'invasion de l'Ukraine, l'Union européenne avait aussi changé sa position : « La Russie n'est plus un fournisseur fiable. Nous devons couper le cordon de la dépendance énergétique avec [...] et développer une stratégie qui nous rend complètement indépendants du gaz russe », a indiqué la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à l'issue du sommet qui a réuni en urgence les dirigeants européens.

En Allemagne, face à d'importantes manifestations contre la guerre en Ukraine, la pression monte également sur les dirigeants pour mettre fin à la dépendance du pays vis-à-vis de la Russie. Dans le cadre des sanctions, la banque du groupe Gazprom a d'ailleurs échappé à la coupure du système de messagerie interbancaire Swift imposée à sept banques russes.

Car pour l'heure, le gaz russe est essentiel pour l'Europe. Long de 1.230 kilomètresle gazoduc devait permettre à la Russie d'exporter 110 milliards de m3 de gaz naturel par an, soit la moitié de ses livraisons à l'Europe.

Le projet a été cofinancé par cinq groupes énergétiques européens, dont Engie (avec OMV, Wintershall Dea, Uniper, Shell). Pour le Français Engie, c'est d'ailleurs potentiellement une perte sèche de 1 milliard d'euros.

Depuis, l'opérateur du gazoduc germano-russe, basé en Suisse, a déposé le bilan et ses 106 employés ont été licenciés.

(Avec AFP)