Europe : les prix du pétrole et du gaz s'envolent, celui du carbone s’effondre

Depuis l’offensive russe en Ukraine le 24 février dernier, le prix des quotas de carbone échangés dans l’Union européenne a chuté de manière drastique, réduisant par là-même le coût d’émission des gaz à effet de serre malgré les prix records des combustibles fossiles. Un phénomène lié, entre autres, aux comportements spéculatifs de certains acteurs, et qui pourrait, sur le court terme, favoriser la compétitivité des sources d’énergie les plus polluantes. Analyse.
Marine Godelier
(Crédits : Leon Kuegeler)

La guerre en Ukraine va-t-elle aussi chambouler la stratégie de l'Union européenne en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre ? De fait, alors que la tarification du carbone, ce mécanisme qui impose aux entreprises énergo-intensives de couvrir leurs émissions par l'achat de « droits à polluer » (ETS), reste la pierre angulaire de la politique climatique menée par Bruxelles, les variations du prix de ces quotas depuis l'offensive russe interpellent. Elles pourraient rendre le charbon, un combustible si polluant qu'une grande partie de son tarif dépend de ces prix du carbone, un peu plus compétitif que le gaz.

Et pour cause, après être monté en flèche ces derniers mois (jusqu'à flirter avec 100 euros la tonne début février), la valeur d'une tonne de CO2 s'est effondrée depuis le début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie le 24 février, passant hier sous la barre des 60 euros, soit la plus forte baisse depuis 2014.

Un phénomène paradoxal puisque son prix était habituellement corrélé à celui des combustibles fossiles lesquels, dans le même temps, ont continué d'exploser. Et notamment ceux du gaz naturel, qui ont atteint 267 euros le mégawattheure (MWh) ce mardi, après être temporairement montés jusqu'à un sommet historique de 345 euros/MWh du fait de la menace russe de freiner son approvisionnement. Pour rappel, ils ne dépassaient pas les 45 euros/MWh à l'été dernier.

Comportements spéculatifs

A priori, les raisons de ce découplage sont directement liées au conflit en cours. Car beaucoup d'industriels « anticipent peut-être une baisse des activités économiques, donc par là-même des émissions de CO2, et vendent donc leurs quotas », explique Emmanuel Fages, associé chez Roland Berger et expert des sujets climatiques.

Mais « il est difficile de dire si c'est cet effet fondamental qui est à l'œuvre aujourd'hui ou si les ventes suivent une logique différente, par exemple pour récupérer des liquidités, de la part d'acteurs d'origine variée », poursuit-il. Car la flambée des prix des matières premières a nui aux flux de trésorerie de certains producteurs, qui se débarrassent désormais d'une partie de ces permis à polluer pour générer du cash. Et ce phénomène conjoncturel a pu être accentué par les comportements spéculatifs de certains acteurs, qui avaient acheté des tonnes de CO2 en avance, afin de les revendre au moment où leur prix serait au plus haut. Accentuant par là-même la baisse du prix, dans un effet boule de neige, en gonflant l'offre.

« Comme pour tout marché, une grosse partie des volumes échangés sont purement financiers, et ne correspondent pas forcément à la contrainte physique d'énergo-intensifs. Mais dans ces trades de spéculation, il faut distinguer la partie qui correspond à la gestion rationnelle des acteurs industriels, qui attendent ou anticipent le meilleur moment pour acheter, de celle des traders, qui considèrent les quotas de CO2 comme un produit financier comme un autre », développe Frederik Jobert, directeur associé au BCG et spécialiste des sujets énergie.

Un avantage comparatif au charbon

Toujours est-il que, dans ces conditions, l'écart de compétitivité devrait bien se réduire entre l'électricité produite avec du charbon et celle générée à partir de gaz, qui émet, en moyenne, deux fois moins de gaz à effet de serre par unité de production d'électricité.

« Au bout d'un moment, si le prix du gaz augmente plus vite que celui du charbon, il pourrait y avoir une inversion dans l'ordre d'appel des centrales, surtout lorsque le prix du CO2 baisse. Et le charbon pourrait tourner en premier, puisque le gaz serait devenu trop cher », précise Emmanuel Fages.

Un changement pourrait notamment s'opérer dans certaines industries où les fours à verres ont été historiquement construits pour fonctionner à la fois au pétrole, au gaz et au fioul, selon le prix de chacune de ces sources d'énergie. D'autant que la volonté de l'Europe de couper le cordon avec Moscou pour son approvisionnement en hydrocarbures promet de favoriser le recours au lignite, le charbon le plus émetteur de tous mais extrait dans certains pays d'Europe.

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Cependant, à moyen terme, la situation devrait s'équilibrer. « Si l'on brûle relativement plus de charbon que de gaz, cela va, in fine, accroître fortement la demande de quotas carbone sur le marché », développe Frederik Jobert. Et cette hausse de la demande tirera à son tour les prix de la tonne de CO2 à la hausse.

La réforme du système ETS toujours dans les tuyaux

Reste que ces fluctuations soulèvent la question de la valeur réelle des quotas. Car celles-ci montrent que la montée en flèche observée ces derniers mois, avant la récente chute liée à l'offensive en Ukraine, « n'était finalement peut-être qu'en partie liée à des facteurs fondamentaux », note Emmanuel Fages.

« On n'a pas de visibilité aujourd'hui sur le prix fondamental du CO2. Doit-il être à 60 euros, à 100, 200 ? On sait que pour décarboner les processus industriels très rigides, il faut souvent investir énormément. Et tant que le prix du quota reste en-dessous du prix du changement, qui atteint l'équivalent plusieurs centaines d'euros par tonne, ces acteurs préfèrent acheter sur le marché. A mesure qu'ils vont le faire, la demande augmentera en même temps qu'un resserrement de l'offre, donc les prix vont monter », poursuit-il.

Surtout, Bruxelles entend renforcer davantage le marché du carbone, et l'étendre notamment au système routier et au secteur du bâtiment, tout en faisant progressivement disparaître les quotas gratuits attribués à certaines entreprises européennes pour les protéger de la concurrence internationale déloyale. Mais alors que le texte est toujours en discussion au Parlement européen, « le volume d'émissions annuelles est tellement difficile à prévoir en ce moment que les incertitudes se multiplient sur les contours de cette réforme », fait valoir Frederik Jobert. D'autant que celle-ci pourrait renchérir un peu plus le carburant et le chauffage, à l'heure où les ménages subissent de plein fouet la flambée des prix de l'énergie, qui promet d'ailleurs de durer.

A cet égard, la stratégie de l'Union Européenne visant à réduire la dépendance à l'égard du gaz importé de Russie et à accroître la résilience des pays devrait apporter de précieux éclaircissements. Et permettre, la tâche est immense, de ne pas sacrifier la transition écologique de l'Europe sur l'autel de son indépendance énergétique et du pouvoir d'achat des ménages.

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Marine Godelier
Commentaires 9
à écrit le 09/03/2022 à 8:20
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les ecolos gauchistes sont ravis, ca sera aussi bien que les taxes de segolene pour sauver la planete ( et le budget de la france) ; les memes gauchistes vont quand meme aller manifester, car c'est pas normal que les petites gens ( censees voter a ga...

le 12/03/2022 à 10:21
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Ils devraient commencer plutôt a s'inquiéter, Les loyers en ville sont trop cher, donc comme beaucoup de travailleur on se délocalise en campagne, maintenant si remplir le réservoir de ma voiture me coute plus cher que ce que mon emploi me rapporte, ...

à écrit le 09/03/2022 à 8:15
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Incongru même ce cours du carbone.

à écrit le 08/03/2022 à 21:06
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Heureusement que Marco Mouly et les petits gars du sentiers ont pu escamoter la dizaine de milliards de la taxe carbone avant ce conflit !

à écrit le 08/03/2022 à 21:00
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Si l'Europe s'était opposée fermement à l'entrée de l'Ukraine dans l'OTAN il n'y aurait pas eu de guerre en Ukraine. En effet l'entrée de l'Ukraine dans l'OTAN aurait permis d'installer des troupes et des missiles nucléaires à la frontière russe ! ...

à écrit le 08/03/2022 à 19:58
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Tres bien, cette augmentation du prix des combustibles. Elle devait aoir lieu tot ou tard avec l epuisement des reserves fossiles. Cela ne fera qu accelerer l implantation massive des energies renouvelables (biogaz,eolien et solaire) . Pour le nuclea...

à écrit le 08/03/2022 à 19:36
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Le suicide romantique du monde occidental continue avec entrain... Jusqu'à ce que les sacrifiés commencent à dire à leurs dirigeants qu'il faut qu'ils se reprennent sérieusement ! Cela ne tardera plus... Et pendant ce temps là, la Chine se frotte ...

à écrit le 08/03/2022 à 19:32
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Comme quoi! Le "droit de polluer" ne rapporte plus rien, les financiers vont nous y "pousser" afin d'augmenter l'émission carbone! Bienvenue dans le monde virtuel!

à écrit le 08/03/2022 à 18:01
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il faut envoyer d'urgence greta thunberg, duflot, di rupo, et tous leurs amis pour manifester, se plaindre, et donner des bonnes lecons de morale contre tout ce rechauffement climatique qui n'a rien d'ecolo de gauche

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