Hydrogène : l’heure H a-t-elle sonné en France ?

Par Dominique Pialot  |   |  1307  mots
De plus en plus de constructeurs développent des modèles de voitures électriques fonctionnant à l'hydrogène.
Nicolas Hulot l’a martelé dans une réponse aux questions au gouvernement mercredi 30 mai : la France vise rien moins que le leadership mondial en matière d’hydrogène. C’est l’objectif que se fixe le ministre de la transition écologique et solidaire pour le plan hydrogène concocté par la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) et le CEA (Commissariat aux énergies atomique et alternatives) qu’il présente ce 1er juin.

« On observe un vrai engouement de toute la filière à la fois au niveau européen et français. Le nombre de projets (à des stades plus ou moins avancés) a doublé depuis la dernière étude sur le sujet que nous avions réalisée il y a quelques années », affirme ainsi Charlotte de Lorgeril, Associate Partner - Energy Utilities & Environment chez Sia Partners.

L'étude que publie le cabinet sur le sujet, à laquelle La Tribune a eu accès en exclusivité, reflète la vitalité de la filière française. « Avec 10 projets - et autant sur le point de voir le jour - sur les 70 que compte l'Europe, la France occupe une position loin d'être anecdotique, souligne encore la consultante. En outre, d'Air Liquide à EDF en passant par Engie ou Total, plusieurs groupes français de rang international sont positionnés sur ce créneau. »

À la tête de l'Afhypac (Association française pour l'hydrogène et les piles à combustibles), Philippe Boucly abonde dans le même sens. Il voit régulièrement gonfler le nombre de ses adhérents. Y compris des PME, trois fois plus nombreuses qu'il y a trois ans, et des collectivités, qui représentent la moitié des adhérents.

Mais cette filière doit encore se structurer pour donner sa pleine mesure sur un marché mondial évalué par McKinsey à 2.500 milliards de dollars en 2050. Pour ce faire, les acteurs demandent un cadre réglementaire et un soutien financier.

Verdir l'industrie et l'énergie

Aujourd'hui, le marché mondial de l'hydrogène pèse environ 50 millions de tonnes, dont 10 pour la France. 95% est fabriqué à partir d'hydrocarbures, ce qui émet 13 kilos de CO2 pour 1 kilo d'hydrogène fabriqué, soit 13 millions de tonnes sur les 460 millions émises par la France chaque année. Pour l'heure, cet hydrogène est essentiellement utilisé dans l'industrie, de la sidérurgie à la cimenterie en passant par le raffinage. L'Agence internationale de l'Énergie a détaillé dans un récent rapport les possibilités de décarbonation - partielle - de l'industrie à partir d'hydrogène vert. À ce jour, le cimentier Vicat est l'un des rares à prévoir d'introduire de l'hydrogène dans son process, et à envisager d'exporter sa technologie.

Cet hydrogène vert peut se fabriquer par électrolyse à partir d'électricité d'origine renouvelable. Le "power to gaz", auquel Sia Partners consacre son étude, permet d'absorber les surplus de production électrique des énergies intermittentes, notamment solaire et éolienne, pour les transformer en gaz par électrolyse.

« C'est vrai que la quantité d'énergies renouvelables aujourd'hui injectée dans le réseau électrique français ne nécessite pas de disposer de capacités de stockage importantes, reconnaît Lucien Mallet, fondateur de H2V, à la tête de projets ambitieux de production d'hydrogène vert. Mais si la France réalise ses objectifs en la matière, il faut anticiper ».

Surtout, comme le rappelle Charlotte de Lorgeril, on a besoin d'hydrogène vert, donc d'énergies renouvelables. Outre le stockage et l'équilibre des réseaux et des marchés (les situations de surcapacités liées au surplus ponctuel de production renouvelable entraînant des prix de l'électricité négatifs), cet hydrogène vert peut être retransformé en électricité dans les périodes de forte demande, ou être injecté dans le réseau de gaz après épuration, et donc contribuer à verdir le mix. Aujourd'hui, le taux d'injection dans le réseau français est plafonné à 6%. En Allemagne, il approche les 10%, mais au Royaume-Uni, il est quasi nul. « Une aberration alors qu'on parle de grand marché du gaz, observe Philippe Boucly, président de l'Afhypac. Nous demandons une homogénéisation et une hausse de ce taux. »

Un mix de carburants pour la mobilité très élargi

Mais l'hydrogène peut également être utilisé comme carburant pour véhicules, voitures individuelles mais surtout flottes captives d'entreprises et véhicules plus lourds, tels que des camions et même des trains.

« On change complètement d'environnement avec un mix de "carburants" de mobilité beaucoup plus large, incluant le gaz et l'électricité, avec à la fois des voitures à batteries et d'autres fonctionnant aux piles à combustible alimentées en hydrogène », décroit Charlotte de Lorgeril.

Ces deux technologies répondent à des usages différents. La voiture à batterie électrique est plus abordable - difficile aujourd'hui de trouver un modèle à hydrogène en dessous de 60.000 à 70.000 euros - mais son autonomie est plus faible, et cela prend plus de temps à recharger. Pour Lucien Mallet, l'hydrogène pourrait devenir l'unique carburant automobile dans les prochaines décennies.

«  La pénurie de matériaux et les problèmes de recyclage vont porter un coup fatal aux batteries, affirme-t-il. Par ailleurs, la moitié du marché pétrolier (90 millions de barils par jour aujourd'hui) aura disparu d'ici 2050. »

« Toyota et Hyundai, les premiers constructeurs positionnés sur ce créneau, bientôt rejoints par Honda, ont bien remarqué les signes de frémissements et s'intéressent au marché français », affirme Philippe Boucly, qui les compte parmi les adhérents de l'Afhypac. C'est aussi le cas du français PSA.

« Il s'agit à la fois de faire baisser le prix des véhicules, et de financer la construction d'un réseau de stations, observe Charlotte de Lorgeril. Dans certains pays qui pratiquent l'incitation plutôt que l'interdiction, les véhicules propres, dont ceux fonctionnant à hydrogène, coûtent moins cher à l'acheteur », ajoute-t-elle.

10 % du mix énergétique en 2023

L'Afhypac attend « des objectifs précis pour l'hydrogène dans le programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) », et la création d'un Fonds dédié, sur le modèle du Fonds chaleur géré par l'Ademe, qui fonctionne par appels à projets. En réponse à une question au gouvernement, Nicolas Hulot a précisé ces objectifs : 10% d'hydrogène dans le mix énergétique en 2023, et 40% en 2028.

D'autres, à l'instar de Lucien Mallet, plaident également pour un tarif de rachat. Il a monté trois projets destinés à massifier la production, situés en Normandie, dans les Hauts-de-France et à Fos-sur-Mer, dans des sites déjà consommateurs d'hydrogène "gris". Correspondant à un investissement total de 1,5 milliard d'euros, ils sont destinés à entrer en exploitation dès 2021, pour produire de l'hydrogène à partir d'électricité verte (achetée sur les marchés européens de garanties) à un coût de 3,5 euros le kilo, alors que l'hydrogène "gris" produit à partir d'hydrocarbures revient à 2,50 euros le kilo. Il demande donc une garantie de compensation de 1,5 euro par kilo. Et promet 7,5 milliards d'investissement et la création de 12.000 emplois d'ici à 2030.

Pas sûr pourtant qu'il obtienne gain de cause. Pour l'heure, le ministre n'a annoncé qu'une enveloppe de 100 millions d'euros, probablement dédié en partie au moins au financement de projets, via des appels à projets gérés par l'Ademe sur le modèle du fonds chaleur.

Les moyens de nos ambitions

« 100 millions d'euros, c'est un début, mais cela nous laisse loin des efforts financiers consentis par d'autres pays, alors qu'on se fixe l'objectif de devenir le leader de l'hydrogène », remarque Charlotte de Lorgeril.

En effet, la Chine, qui a démarré dès 2015, investit 8 milliards de dollars. Le Japon (où par ailleurs 250.000 logements sont équipés de pompes à chaleur à hydrogène) mise 100 millions d'euros sur les seuls véhicules, et 35 millions d'euros sur les stations de recharge. Plus près de nous, l'Allemagne a initié en 2016 un plan sur 10 ans, avec une première enveloppe de 250 millions d'euros, suivie d'investissements annuels de 25 millions d'euros pendant 10 ans.

La Chine, justement, se montre intéressée par les usines de H2V. « Mais ils aimeraient d'abord venir visiter notre projet de Dunkerque », remarque Lucien Mallet.

Comme dans d'autres énergies renouvelables, les industriels français risquent-ils une fois de plus de déplorer l'absence de vitrine domestique pour faire la promotion de leur savoir-faire à l'étranger ?