Nantes lance le Jules Verne 2, la première navette fluviale à hydrogène

Avec le lancement de la première navette fluviale à propulsion à hydrogène, la régie des transports publics nantais Semitan fait émerger la filière hydrogène en Pays de la Loire, mollement soutenue par les collectivités.
Le Jules Verne 2, de type catamaran, alimenté par de l'hydrogène gazeux stocké à bord dans des réservoirs sous pression (350 bars), dispose de deux piles à combustible (2 piles à 5 kW) qui convertissent l'hydrogène en électricité. Celles-ci alimentent alors les moteurs et les batteries électrochimiques utilisées pour les appels de puissance.
Le Jules Verne 2, de type catamaran, alimenté par de l'hydrogène gazeux stocké à bord dans des réservoirs sous pression (350 bars), dispose de deux piles à combustible (2 piles à 5 kW) qui convertissent l'hydrogène en électricité. Celles-ci alimentent alors les moteurs et les batteries électrochimiques utilisées pour les appels de puissance. (Crédits : Frédéric Thual)

« Ce n'est encore qu'une expérimentation. Mais elle fonctionne ! » souligne Pierre-François Gérard, chargé de mission "Hydrogène" à la Semitan, la régie des transports publics nantais. Dix ans après les premières esquisses, le Jules Verne 2, première navette fluviale à propulsion à hydrogène en France, a officiellement été mis en service, le 23 avril dernier, à Nantes. Pour une fois, sans tambour ni trompette.

Modestement, le navire assure la traversée de l'Erdre, entre les stations de Port Boyer et Petit-Port Facultés. Un transport à la demande, organisé sept jours sur sept, accessible pour le prix d'un ticket de bus. Jusque-là assurée par La Mouette, un navibus électrique lancé en 2005, la liaison est empruntée par 80.000 passagers chaque année, au rythme d'une cinquantaine de rotations quotidiennes. Une goutte d'eau au regard des 134 millions de voyages comptabilisés sur les transports publics nantais. « C'est très symbolique, mais nous sommes dans un écrin de verdure où l'environnement doit être protégé et qui s'inscrit totalement dans les objectifs de transition énergétique », reconnait Henri Mora, président de l'association nantaise MH2 (Mission Hydrogène), fondée en 2005 pour promouvoir ce type d'énergie.

« C'est une technologie propre par excellence. Les émissions sont nulles. On ne rejette que de l'eau. Et le rendement d'un moteur électrique associé à la pile à combustible peut-être presque deux fois supérieurs à celui d'un moteur thermique », ajoute Pierre-François Gérard.

Les bases d'une nouvelle filière

Le projet "hydrogène" est finalement sorti de sa léthargie à la faveur d'un appel à projets lancé en 2012 par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Adem). « Ce qui nous a intéressé, c'est que le projet peut ensuite être décliné sur la Loire », justifie Franck Dumaitre, directeur régional de l'Ademe Pays de la Loire.

Porteur du projet du Navibus H2, la Semitan a constitué un consortium de sept partenaires (MH2, Bureau Veritas, Polytech Nantes, Matis Technologies, Ship-ST, Navalu), qui a reçu le soutien financier de la Région et de la Métropole. Le budget global s'élève à près de 1,6 millions d'euros dont près de 597.000 euros pour le seul navire. « C'est le prix de l'expérimentation », justifient les protagonistes. « Car il a fallu tout faire. Innover, tester, se planter et recommencer ! » résume Pierre-François Gérard.

Cinq ans de labeur pendant lesquels MH2 a mis à disposition son expertise et son réseau. La Semitan a dressé le cahier des charges et les contraintes d'exploitation de la navette. Le Bureau Véritas a planché sur les homologations et les bases réglementaires d'une activité future. Le cabinet conseil en ingénierie Matis Technologies a creusé le dimensionnement du système énergétique. Le bureau d'études Ship-ST s'est plongé dans les études du bateau. Symbio a livré les piles à combustible et certifié l'intégration du système. Le chantier naval Navalu a construit, agencé, mis à l'eau et testé la navette tandis que l'école Polytech Nantes menait des études sociétales pour connaître la représentation et le degré d'acceptation de la technologie par les passagers, les riverains de l'Erdre et de la Loire...

« On a bâti la législation avec les services de l'État et le SDIS44 pour appréhender la sécurité. Globalement, on a formé 86 personnes aux conditions d'utilisation de l'hydrogène. Bref, on a jeté les bases d'une nouvelle filière », résume le chargé de mission "Hydrogène" de la Semitan.

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navette fluviale hydrogène à Nantes (2)

[Bien que, chaque jour, le Jules Verne 2 consomme l'équivalent de cinq litres de gas-oil, mais grâce à l'hydrogène, "c'est zéro émission de C02, zéro gaz à effet de serre". Cliquez sur la photo pour l'agrandir. Photo : Frédéric Thual]

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Une énergie propre et méconnue

De type catamaran, long de 10,40 m pour 3,80 m de large, le Jules Verne 2 dispose d'une capacité de 12 passagers et de dix vélos, pouvant être portée à 25 passagers au gré d'une dérogation. Alimenté par de l'hydrogène gazeux, stocké à bord dans des réservoirs sous pression (350 bars), le navire dispose de deux piles à combustible (2 piles à 5 kW) qui convertissent l'hydrogène en électricité. Celles-ci alimentent alors les moteurs et les batteries électrochimiques utilisées pour les appels de puissance.

« Le plein se fait en quelques minutes comparé à une charge électrique qui dure plusieurs heures, explique Henri Mora. La consommation journalière s'élève à près de 1,3 kilo d'hydrogène. C'est l'équivalent de cinq litres de gas-oil. Mais là, c'est zéro émission de C02, zéro gaz à effet de serre. »

À ce jour, le navire est ravitaillé par une solution mobile contractée avec la société Air Liquide. Une solution temporaire en attendant la finalisation d'un poste d'avitaillement dans l'espace du lycée maritime voisin, de la station d'embarquement de Port Boyer, où toutes les précautions de sécurité auraient été prises.

« Ce n'est pas plus dangereux que le gaz. Des précautions sont à prendre, certes, mais on a tiré les leçons du gaz naturel en milieu urbain dont la législation n'existait pas dans les années 1990. En cas de fuite, on laisse s'échapper l'hydrogène. L'air que nous respirons en contient. Ici, la différence, c'est qu'il est sous pression », explique Pierre-François Gérard.

Des stations-service d'hydrogène

Pour la Semitan, la démarche va bien au-delà de la simple expérimentation fluviale. Engagée dans l'utilisation de bus au gaz naturel, électriques et hybrides, la régie participe à la création d'un consortium visant à permettre une mutualisation des moyens de production d'hydrogène. À Nantes, au centre technique de bus du Bêle, elle a installé en 2016 une station d'hydrogène permettant d'expérimenter cette énergie sur trois véhicules Kangoo H2 et un véhicule des pompiers du SDIS44. L'autonomie actuelle d'une charge à 350 bars permettrait de parcourir 250 km. L'expérimentation doit se prolonger avec la mise en service, à la fin de l'année 2018, à Saint-Herblain, à la périphérie Nord-Est de l'agglomération, d'un site de production (80 kilos/24 heures) et de distribution.

Accessible aux flottes publiques ou privées, il pourra alimenter une trentaine de véhicules de collectivités, de services administratifs (EDF, La Poste, le Sdis, des transporteurs...) ou de camions de moins de 3,5 tonnes d'entreprises industrielles ou commerciales. Baptisé MuLT'Hy, ce projet (1,4 millions d'euros) est financé dans le cadre du programme européen MH2ME2 voulu pour développer l'hydrogène sur le territoire européen et soutenu à hauteur de 30% par Nantes Métropole.

« On entend beaucoup de blabla autour de l'hydrogène. Or, la vraie révolution, la Semitan l'a faite. Elle a monté une marche. Il faut maintenant travailler aux économies d'échelle. Car, si l'on veut faire naviguer une navette sur la Loire, ce n'est plus une motorisation de 2 x 5 kW qu'il faut, mais 2 x 250 kW ! Or, avec l'électrique, les batteries sont lourdes et consommatrices de métaux rares », précise Henri Mora pour qui les économies d'échelle ne pourront intervenir qu'avec la multiplication des véhicules.

Et d'ajouter :

« Or, pour avoir des automobiles, il faut des stations tous les 100 km. Soit dans toutes les préfectures de département, à Nantes, Angers, Laval, La Roche sur-Yon, Le Mans pour s'inscrire dans la route européenne de l'hydrogène. C'est le sens du projet MuLT'Hy++ sur lequel nous travaillons », indique Henri Mora.

Des pouvoirs publics peu engagés

De l'idéal à la réalité, les choses sont plus mesurées. « Nous avons obtenu de Bruxelles que la Communauté européenne soutienne un projet de station de production et distribution au Mans, qui permettrait d'offrir une source d'avitaillement vers les Pays de la Loire et la Bretagne. Mais une station représente un investissement d'un million d'euros. Pour avoir un maillage régional, il faudra aussi obtenir l'accord des collectivités concernées », soupèse Laurent Gérault, vice-président du Conseil régional des Pays de la Loire, en charge de l'environnement, de la transition énergétique et de la croissance verte. Pour le Conseil régional qui, dans sa feuille de route sur la transition énergétique ambitionne de devenir la première région de France en matière de mobilité durable, le chapitre "hydrogène" tient en trois mots : « Expérimenter la mobilité hydrogène ».

Sur le terrain, labellisé "Territoire hydrogène" par la Nouvelle France Industrielle en 2016, la route est longue et l'engagement modeste. « Nous avons mis à l'étude la solution d'un catamaran à hydrogène pour le renouvellement dans 5 ans du navire assurant la liaison entre le continent et l'île d'Yeu et allons expérimenter un TER à l'hydrogène avec Alstom, là encore pour dans cinq ans», explique Laurent Gérault. Un programme qui laisse les acteurs régionaux de l'hydrogène sur leur faim. « Le portage est encore faible », s'agace le monsieur Hydrogène de la Semitan.

« Il faudrait des leaders politiques qui portent les projets "hydrogène" avec une vision plus globale. La France est très en retard par rapport à l'Allemagne. Et développer l'hydrogène n'a de sens que si l'on travaille avec une électricité verte fournie par les énergies renouvelables (éolien, solaire, hydrolien) ».

Car, pour être tout à fait en phase avec les objectifs de la transition énergétique et les enjeux climatiques, la filière hydrogène doit aussi s'affranchir de l'hydrogène "gris", issu de l'énergie fossile. « Nous avons accompagné deux projets pour montrer que l'hydrogène avait du sens, mais la filière est loin d'atteindre la généralisation et le degré de maturité escompté. Elle devrait être mieux accompagnée par les pouvoirs publics », estime, à son tour, le représentant de l'Ademe, qui soutient également la réalisation du démonstrateur Power-to-gas "Minerve", fondé par l'association AFUL Chantrerie, qui regroupe une quinzaine d'acteurs publics et privés. Celui-ci vise, à l'aide d'hydrogène, à transformer de l'électricité renouvelable, issue du solaire, de l'éolien ou du photovoltaïque en méthane de synthèse, facilement stockable. Il peut alors être utilisé comme carburant pour la mobilité pour les véhicules à gaz, voire comme combustible dans des chaudières de chaufferie. Une première française, là encore.

Par Frédéric Thual,
correspondant Pays de la Loire pour La Tribune

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Commentaires 10
à écrit le 20/05/2018 à 21:50
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L'électrolyse a des rendements de plus de 90% désormais est l'hydrogène à partir d'éolien et solaire notamment est non émissif. Le bilan "du puit à la roue" pour des transports lourds et donc navires est favorable par rapport à de lourdes batteries. ...

à écrit le 20/05/2018 à 10:14
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Le moteur a l'hydrogène fonctionne depuis bien longtemps, le probleme s'est le stockage du combustible dans les véhicule autonome ( tres dangeureux lors des incendie) ensuite s'est la réalisation de se combustible , qui demande beaucoups d'énergie et...

le 20/05/2018 à 22:01
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Beaucoup de véhicules dont des taxis à Paris, des véhicules de pompiers etc roulent à l'hydrogène depuis des années sans problème. Le cas échéant il s'échappe rapidement verticalement il est donc en pratique plutôt moins dangereux que le gaz. Et il n...

à écrit le 19/05/2018 à 14:36
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Du vent comme d’habitude: pas de co2 ? C’est faux si c’est Produit à partir d’hydrocarbures En plus, une station de recharge coûte la peau des fesses la ou un prise électrique suffirait et je ne vous parle pas’ de la fiabilité et de l’entretien de ...

le 20/05/2018 à 22:10
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@ Wiki : ce n'est pas si binaire, pour les camions et longues distances l'hydrogène retrouve tout son intérêt par rapport aux batteries forcément plus lourdes dont le bilan total "du puit à la roue" est moins bon par rapport à de l'hydrogène produit ...

à écrit le 18/05/2018 à 10:33
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0% de CO2 sur place mais combien pour la fabrication de l'hydrogène consommé ? Et oui pour produire cet hydrogène, il faut plus d’énergie que l'énergie restituée, le rendement d'un cycle thermodynamique est toujours inférieur à 1. Donc il est faux de...

le 19/05/2018 à 9:41
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Sauf si l'hydrogène est produite avec de l'énergie solaire ou éolienne,elle peut être ensuite stockée.Ce qui produit le plus de CO2 en Allemagne ce sont surtout les centrales a charbon qui ont été misent en service pour remplacer le nucléaire.Mais ou...

le 20/05/2018 à 22:20
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@ Delenda : le rendement de l'électrolyse est de plus de 90% et produit à partir d'éolien et de solaire l'hydrogène est très peu émissif. Quant à l'Allemagne elle avait comme la Pologne du charbon pas cher que nous n'avons plus qui était moins cher (...

à écrit le 18/05/2018 à 8:33
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Tant que nos politiciens seront trop faibles pour affronter le lobby pétrolier les bonnes idées seront toujours placées dans un coin. S'il y a vraiment un domaine dans lequel on voit bien que les politiciens sont totalement achetés c'est celui-ci...

le 18/05/2018 à 19:39
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Avant de faire comme M. Trump réagir sans connaître le sujet, on écrit dans l'erreur car pour l'instant la principale production de l'H2 vient des pétroliers.

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