La chaleur renouvelable pourra-t-elle réconcilier environnement et pouvoir d'achat ?

Par Giulietta Gamberini  |   |  1497  mots
Les acteurs du secteur réclament depuis des années un "signal prix", incarné par une taxation carbone permettant de rendre leurs projets plus compétitifs et d'anticiper le futur. (Crédits : PIXABAY COM Zapan09)
Indispensable à la transition écologique de la France, la chaleur renouvelable permet également aux ménages de mieux maîtriser leur facture énergétique, soulignent les acteurs du secteur. Mais face aux prix bas du gaz, elle peine à s'affirmer. Le gel de ces prix, annoncé par le gouvernement, pourrait encore ralentir son évolution.

Bois énergie, solaire thermique, géothermie, énergie fatale, biométhane, incinération des déchets : la "chaleur verte" joue un rôle fondamental dans la transition énergétique. La chaleur nécessaire pour les logements, l'eau sanitaire ainsi que les activités économiques constitue en effet plus de la moitié de la consommation énergétique de la France. Or, cette chaleur est aujourd'hui en majorité encore générée par des sources fossiles, très émettrices de gaz à effet de serre : le gaz, qui en fournit 40% ; le pétrole qui, via le fioul, en génère plus de 15% ; et le charbon, qui en produit 5%.

La loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV), publiée en 2015, établit d'ailleurs qu'en 2030, 38% de la consommation finale de chaleur devra être de source renouvelable : un objectif que la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) présentée par le gouvernement le 27 novembre, anticipe même à 2028, en fixant des étapes intermédiaires de 22% en 2017 et de 33% en 2023.

Des logements affranchis de la volatilité des prix

En plein mouvement des "gilets jaunes" pour la défense du pouvoir d'achat, les acteurs du secteur, réunis depuis mardi autour de la première "semaine de la chaleur renouvelable", insistent aussi sur les avantages de cette énergie "pour les consommateurs comme pour la France". Intrinsèquement locaux, les projets de production de chaleur renouvelable permettent en effet la création d'emplois non délocalisables, insiste la Fédération des services énergie environnement (Fedene). Ils libèrent également le pays d'une partie de sa dépendance de l'importation d'énergie et réduisent le déficit de la balance commerciale, ajoute Nicolas Garnier, délégué général d'Amorce, association regroupant collectivités et entreprises.

Indépendante de l'évolution des cours mondiaux des matières fossiles, la chaleur verte permet également aux ménages de maîtriser leur facture énergétique. "Le développement de la chaleur renouvelable collective a permis depuis 2009 d'affranchir  l'équivalent de deux millions de logements de la volatilité des prix pour leur consommation d'eau sanitaire et de chauffage", affirme l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Selon les calculs d'Amorce, cette chaleur coûte même moins cher que celle fossile, dès lors que l'on tient compte de l'ensemble des frais (consommation, mais aussi achat et entretien des équipements) 1.150 euros par an par logement quand elle est délivrée par des réseaux de chaleur, contre 1.195 euros par an pour les chauffages collectifs au gaz naturel.

Une énergie renouvelable en retard par rapport aux objectifs

Or, malgré tous ses avantages, la chaleur renouvelable ne représente aujourd'hui que 19% de la consommation thermique de la France. Et elle est en retard par rapport à la trajectoire nécessaire afin d'atteindre les objectifs de la LTECV, qui nécessiteraient une production annuelle de 23 millions de tonnes équivalent pétrole, alors qu'on en est à 11,3 millions de tonnes.

Pour garder le cap, "il faudrait générer 850.000 nouvelles tonnes équivalent pétrole de chaleur renouvelable par an. Et ce si la consommation énergétique globale baisse, comme l'espère le gouvernement, sinon il en faudrait même un million de plus chaque année. Or, aujourd'hui, la production augmente annuellement de 240.000 tep pour le chauffage collectif et industriel, et de 250.000 tep pour celui individuel (chaudières et autres équipements, NDLR)", détaille Nicolas Garnier, qui conclut: "Il faut aller deux voire trois fois plus vite".

La difficile concurrence du gaz

La principale raison de ce retard est la concurrence du gaz, notamment depuis la chute des cours débutée en 2014. Les projets collectifs et industriels, qui demandent d'importants investissements de départ, bénéficient en effet depuis 2009 du soutien d'un Fonds chaleur dédié, géré par l'Ademe. Il octroie des aides à l'investissement visant justement à assurer aux projets financés un niveau de compétitivité et de rentabilité suffisants. Entre 2009 et 2017, 4.300 projets en ont bénéficié et 1,75 milliard d'euros a été engagé. Mais calculées en fonction du prix du gaz de l'année de l'engagement, ces aides ne peuvent pas assurer que les projets soient encore compétitifs lorsqu'ils entrent en production, à savoir 3-4 ans plus tard.

Et si à ce moment des clients potentiels se retirent, tout l'équilibre économique du projet s'en ressent. Ce contexte décourage les investisseurs : depuis deux ans, les appels à projets baissent, et certains projets ont même été stoppés, constatent les acteurs du secteur. D'autres facteurs viennent aussi aggraver les difficultés de la chaleur renouvelable : le vieillissement de la population par exemple, qui semble jouer dans la baisse du nombre de logements individuels chauffés au bois, note le Syndicat des énergies renouvelables (Ser), ainsi que le manque de connaissances sur la chaleur verte des propriétaires ou des syndicats de copropriété. Ainsi, 98% des nouvelles constructions françaises fonctionnent au gaz ou à l'électricité.

L'électricité verte favorisée

Il faut donc remettre au centre de la transition énergétique "la plus méconnue des énergies renouvelables", plaide Amorce, qui reproche au gouvernement non pas tant de s'opposer à cet objectif, mais d'avoir tout misé sur l'électricité verte. Le niveau moyen du soutien du Fonds chaleur était en effet de 58 euros en 2016, à savoir 5 euros par MWh produit, contre 25 à 100 euros par MWh octroyés grâce au complément de rémunération ou à l'obligation d'achat pour l'électricité renouvelable, pointe l'association.

Certes, la dernière PPE prévoit de renforcer le Fonds chaleur, en lui attribuant un budget de 315 millions d'euros en 2019 (contre 245 millions d'euros en 2018), de 350 millions en 2020 et de 339 millions en 2021. Le gouvernement prévoit également de renforcer le crédit d'impôt transition énergétique (CITE) ou les primes spéciales aidant les ménages à s'équiper de chauffages alimentés par des énergies vertes. Mais cela reste très peu par rapport aux 5 milliards d'euros par an dépensés actuellement pour l'électricité renouvelable, que la prochaine PPE porterait même à plus de 7 milliards.

Le gel des prix du gaz, un nouveau danger

D'autant plus que l'annonce par le gouvernement d'une suspension de la hausse des tarifs du gaz risque de pénaliser davantage la chaleur renouvelable. Bien qu'il ne soit pas encore clair si ce gel passera par celui de la Taxe Intérieure de Consommation sur le Gaz Naturel (TICGN, fiscalité carbone du gaz), il renforcera dans tous les cas l'avantage du gaz fossile face aux sources vertes. En désavouant la promesse du gouvernement d'une trajectoire en hausse de ce prix, il décourage en outre les investisseurs potentiels, demandeurs de visibilité pour établir leurs business models. Les acteurs du secteur réclament en effet depuis des années un "signal prix", incarné par une taxation carbone permettant de rendre leurs projets plus compétitifs et d'anticiper sur le futur: "c'est le seul impôt créateur de valeur", à savoir d'investissements et d'emplois, souligne la Fedene.

Selon certaines projections, la trajectoire de la TICGN prévue jusqu'à la crise des "gilets jaunes" aurait notamment permis de rattraper en 3-5 ans la compétitivité perdue depuis la chute des cours du gaz en 2014. Seulement, si cette "suspension" s'accompagnait d'une "reconstruction du système et de la prévision d'un accompagnement des territoires", elle pourrait donc être "salvatrice", analyse Amorce, qui depuis des années plaide pour que les recettes de la fiscalité environnementale profitent à la transition énergétique, et qui reproche au gouvernement un manque de pédagogie vis-à-vis de l'ensemble des Français.

"Pas de zone blanche pour la transition écologique"

L'enjeu de la fracture sociale et territoriale est notamment au centre de la transition vers une chaleur davantage renouvelable, conviennent en effet les acteurs du secteur. Les sources de chaleur verte étant par nature décentralisées, les collectivités locales jouent un rôle essentiel dans leur développement et l'explication de leurs avantages à leurs administrés. Or, non seulement la production d'énergie est un sujet dont elles sont appelées à s'occuper seulement depuis des temps récents mais, également, le transfert de responsabilités n'est souvent pas accompagné d'un transferts de moyens, financiers et humains, analysent-ils. "La question de la décentralisation de la transition est donc clairement posée", souligne Bruno Leroy, le président de l'Ademe, qui explique travailler sur "un démarchage systématique des communes" afin d'étendre les aides du Fonds chaleur à de nouveaux territoires.

"Il ne peut pas y avoir de zone blanche pour la transition écologique dans notre pays", insiste-t-il.

"La chaleur renouvelable a sa place dans a stratégie territoriale de transition énergétique, qui nécessite d'être généralisée", ajoute Nicolas Garnier.

Jeudi, la troisième journée de la semaine nationale de la chaleur renouvelable aura ainsi lieu en régions : les acteurs du secteur entendent ainsi signaler que la main est bien tendue à tous ceux qui se sentent laissés pour compte.