Le WWF a un plan pour sauver EDF

Par Dominique Pialot  |   |  1756  mots
Le WWF a un plan pour sauver EDF : fermer 23 réacteurs d'ici à 2030 (Crédits : Charles Platiau)
L’ONG publie ce 5 septembre un rapport démontrant, arguments économiques et financiers à l’appui, que la fermeture de 23 réacteurs d’ici à 2030 permettrait à l’opérateur national de sortir de l’impasse financière, tout en respectant les impératifs de la loi de transition énergétique.

Son directeur général Pascal Canfin n'a pas été nommé ministre de la Transition écologique, mais le WWF France espère bien peser dans le débat en cours sur la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Alors que le Premier ministre a évoqué il y a quelques jours la date de 2035 pour faire passer la part du nucléaire de 75% à 50% du mix électrique français - au lieu de 2025 tel qu'inscrit dans la loi et 2030 espéré par les ONG depuis le report annoncé par Hulot en novembre dernier-, et que le Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) ouvre aujourd'hui et pour six mois une consultation publique sur les conditions de sûreté de la poursuite de l'exploitation des réacteurs nucléaires de 900 mégawatts par EDF au-delà de 40 ans, l'ONG publie un rapport qui tranche avec ses publications habituelles.

Le WWF, qui avait par ailleurs versé sa contribution au débat public sur la PPE sous un angle exclusivement énergétique, recourt en effet ici à des arguments plus économiques et financiers qu'écologiques pour démontrer que la fermeture d'un tiers du parc nucléaire à l'horizon 2030 (23 réacteurs sur 58) permettrait à EDF de sortir de l'ornière financière.

Cash flow négatif depuis 11 ans

La situation de l'entreprise est bien connue : une dette de 33 milliards d'euros fin 2017 - après injection de 4 milliards d'argent public dans le courant de l'année-, et surtout, un cash flow négatif depuis 11 ans, d'où résulte une inquiétude certaine quant à la capacité de l'opérateur historique de revenir à l'équilibre. Cet endettement est notamment lié aux dépenses d'entretien, d'exploitation et de mise en conformité du parc avec les règles post-Fukushima, au développement de la technologie EPR, aux acquisitions effectuées ces dernières années et au déploiement d'un parc d'énergies renouvelables. La situation financière de l'entreprise est d'autant plus préoccupante que la baisse des prix de gros ne lui permet plus de couvrir des coûts de production (estimés par l'ancien directeur financier du goupe Thomas Piquemal, en 2015, à 55 euros le mégawattheure) qui ont augmenté ces dernières années en raison d'un moindre taux de charge des installations.

Mur d'investissements

C'est dans ce contexte qu'EDF, détenue par l'Etat à hauteur de 83,7%, doit faire face à de lourds investissements : construction d'Hinkley Point (22,4 milliards), travaux de remise en l'état des réacteurs vieillissants en vue de prolonger leur durée de vie, baptisés grand carénage (chiffrés par EDF à 1 milliard par réacteur), doublement au niveau mondial de ses capacités de production renouvelables à 50 gigawatts (GW) et plan de stockage évalué à 10 GW d'ici 2035. WWF a également pris en compte les frais engagés par les filiales Enedis (entretien du réseau + déploiement du compteur Linky) et RTE (réseaux) pour parvenir à un montant d'investissements de 140 à 150 milliards d'euros dans les 10 prochaines années. En revanche, ce calcul n'intègre pas les investissements nécessaires au démantèlement ni ceux liés à la gestion des déchets dont le projet d'enfouissement Cigeo à Bure (Meuse).

Cessions d'actifs et aides de l'Etat

Ainsi décrite, la situation n'a rien de réjouissant. Mais pour les équipes du WWF, qui ont travaillé depuis plusieurs mois avec des experts européens de l'énergie, dont l'IDDRI (Institut du développement durable et des relations internationales) et les Allemands d'Energiewende, des solutions existent. Certaines sont classiques et d'ailleurs déjà utilisées par le groupe dans un passé récent. A l'instar de ce qu'elle a fait en mars 2017 avec RTE, EDF pourrait ainsi céder tout ou partie de certaines filiales : l'opérateur du réseau de distribution Enedis, la filiale italienne Edison, les centrales nucléaires britanniques co-détenues avec Centrica, ou encore Dalkia ou EDF Trading. Le WWF évalue à environ 15 milliards d'euros le fruit de ces cessions. L'Etat serait également à nouveau sollicité, pour un montant de 10 à 15 milliards entre 2021 et 2030.

Mais il ne remettrait au pot (avec l'argent du contribuable) que sous conditions, notamment l'engagement de l'opérateur de réellement s'engager sur la voie de la transition énergétique telle qu'inscrite dans la loi votée en 2015.

Un prix de gros réhaussé de 40% en 2030

Ce que EDF aurait, selon l'ONG, plus qu'intérêt à faire. En effet, et c'est là le principal enseignement de ce rapport, c'est précisément la fermeture d'un tiers du parc, soit 23 réacteurs, à l'horizon 2030, qui contribuerait le plus à redresser les finances du groupe. D'abord en lui permettant d'économiser le grand carénage de ces installations (soit 23 milliards), mais aussi en faisant mécaniquement remonter les prix de gros. La baisse de ces dernières années est en effet liée à un développement important de capacités renouvelables en Europe sans fermeture massive de capacités fossiles ou nucléaires ayant généré une surcapacité, sur fond de consommation stagnante.

La fermeture de 23 réacteurs (soit un sur deux de ceux qui atteindront 40 ans d'ici à 2030 et nécessiteraient donc d'être carénés pour pouvoir être prolongés) réduirait de 63 à 40 GW les capacités de production françaises. Selon le modèle Artelys extrait du rapport IDDRI Agora Energiewende et en fonction du rythme de fermeture choisi, la baisse de production qui en résulterait, assortie d'une taxe carbone de 30 euros par tonne de CO2 actuellement en discussion entre la France et l'Allemagne, aurait pour conséquence de faire repasser le prix de gros moyen de l'électricité à 51,4 euros le mégawattheure (MWh) contre 36,7 euros en 2016. A l'inverse, le statu quo aboutirait à un prix de 20,6 euros, intenable pour l'entreprise.

Le WWF prend soin de préciser qu'étant donné le faible poids du prix de gros dans la facture du consommateur final, cette hausse ne se traduirait que par une augmentation annuelle de 0,2% du prix payé par le consommateur sur les 10 prochaines années.

Quant aux industries électro-intensives, elles pourraient bénéficier - comme c'est déjà le cas - de mesures d'accompagnement.

Hypothèses d'exportations  incompatibles avec les projets allemands

L'ONG en profite pour faire un point sur les exportations, dont l'estimation a justifié le maintien d'un niveau élevé de production dans certains scénarios préparés par RTE dans le cadre de la PPE. D'une part, selon le WWF, qui a intégré les derniers chiffres des pays voisins, notamment l'Allemagne et la péninsule ibérique, le développement futur outre-Rhin d'énergies renouvelables à faible coût de production réduirait les débouchés du nucléaire français. Selon le principe du « merit order », ce sont les énergies dont le coût marginal de production est le plus faible (quasiment nul pour les renouvelables) qui sont appelées en priorité pour répondre à la demande. Par ailleurs, l'ONG affirme qu'un parc nucléaire de 40 GW permettrait encore à la France d'exporter quelque 100 TWh nets. Mais surtout, elle souligne que les hypothèses d'exportations françaises sont incompatibles avec celles de nos voisins allemands, qui prévoient de leur côté de devenir exportateurs nets vers... la France.

Autre préconisation qui, elle, est régulièrement réclamée par l'entreprise, une suppression ou une révision de l'ARENH (accès régulé à l'électricité nucléaire historique). Ce dispositif, instauré en 2011 pour favoriser l'ouverture du marché à la concurrence de producteurs alternatifs en les faisant bénéficier de la rente nucléaire, a fixé le prix auquel EDF est contraint jusqu'en 2025 de vendre jusqu'à 100 térawattheures chaque année, à 42 euros le MWh, c'est-à-dire en-dessous du coût de production.

Concernant la fermeture des réacteurs, le WWF préconise de les choisir en fonction de leur âge et des recommandations de l'ASN, ainsi que de leur résilience face au changement climatique. Quant au rythme de fermeture, il serait de 2 à 3 par an entre 2022 et 2030, en plus d'une fermeture en 2021 en plus des deux réacteurs de Fessenheim.

EDF ayant déjà passé l'amortissement comptable de ses réacteurs de 40 à 50 ans, ces fermetures engendreraient un impact financier négatif d'environ 400 à 500 millions selon l'ONG.

Une enveloppe de 750 millions pour reclasser les sous-traitants

Le WWF ne passe pas non plus sous silence les impacts qu'auraient ces fermetures sur les emplois et sur la filière MOX. Globalement, les destructions d'emplois sont estimées de 9.000 à 10.000 sur 10 ans pour les salariés d'EDF, soit 900 à 1.000 par an, et pourraient être absorbées par l'évolution de la pyramide des âges et les mouvements naturels de personnel. Les fournisseurs de rang 1, essentiellement de grands groupes, devraient également pouvoir faire face. En revanche, pour les quelque 10.000 emplois concernés chez les fournisseurs de rang 2 et 3, le WWF estime - sur la base de ce qui se fait dans d'autre secteurs - que 75.000 euros par emploi suffisent à assurer un reclassement satisfaisant, ce qui reviendrait globalement à 750 millions à étaler sur 10 ans, soit 75.000 euros par an.

La filière MOX alimente aujourd'hui 24 réacteurs dans 6 centrales françaises mais aussi l'Allemagne, la Belgique, la Suisse et le Japon, or les trois premiers ont prévu de sortir du nucléaire en 2022, 2025 et 2034 respectivement. Ce qui signifie, souligne le rapport, que la filière sera amenée à se restructurer indépendamment des fermetures en France.

Dernière précision du rapport : la question des 50% de nucléaire restant dans le mix électrique français en 2030 n'a pas à être tranchée sous ce quinquennat.

Ecologie des preuves

Pourquoi ce rapport d'un nouveau genre pour l'ONG environnementale ? « On a beaucoup entendu parlé ces derniers jours d'écologie des petits pas et de pragmatisme écologique, observe Pierre Cannet, responsable du programme Climat, énergie et développement durable au WWF. Nous nous inscrivons dans l'écologie des preuves en démontrant que les enjeux de la PPE sont très connectés à l'avenir d'EDF. » Pour Pierre Cannet, qui constate que ce sujet ne semble pas traité dans les instances gouvernementales,

« le destin de l'entreprise publique, donc en grande partie l'indépendance énergétique française et l'avenir de dizaines de milliers de salariés, dépend largement de la planification de l'Etat actionnaire. »

La première mouture de la programmation pluriannuelle de l'énergie pour les périodes 2018-2023 et 2023-2028 a été promise par le gouvernement pour la fin du mois d'octobre. Ce qui laisse le temps au nouveau ministre de prendre connaissance de ce « plan de sauvetage », concocté de façon paradoxale par l'un des opposants les plus constants à sa politique énergétique.