Métaux rares (1/3) : doit-on craindre pour l’approvisionnement ?

Par Giulietta Gamberini  |   |  888  mots
Vingt-quatre des 36 matières étudiées par Alcimed "posent des problèmes de RSE modérés ou avérés", analyse le cabinet. (Crédits : Reuters)
[Série d'été 1/3] Indispensables à la transition énergétique et numérique, les métaux rares sont toutefois exposés à des risques géopolitiques, de responsabilité sociale et environnementale, voire d'épuisement des réserves qui font craindre d'importantes variations des prix.

Cobalt, tungstène, étain, mais aussi dysprosium, praséodyme, néodyme, etc.: lointains souvenirs des heures passées dans l'étude du tableau de Mendeleïev, parfois même complètement inconnus, ces noms sont pourtant ceux des matières premières indispensables au XXIe siècle. Utilisés dans la fabrication de véhicules électriques, batteries, panneaux solaires, éoliennes, mais aussi smartphones et appareils électroniques, quelques dizaines de métaux, dont une vingtaine de "terres rares", sont en effet à la transition énergétique et à celle numérique ce que le charbon et le pétrole étaient, respectivement, à la machine à vapeur et puis au moteur thermique. A l'échelle mondiale, leur demande croît, en entraînant une hausse exponentielle de leur production. Et même si les besoins futurs restent difficiles à mesurer, la courbe semble plutôt destinée à grimper en flèche tout au long des prochaines décennies.

Les experts inquiets

Depuis quelques années, plusieurs experts expriment donc des inquiétudes croissantes sur l'approvisionnement de ces matériaux. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) y a consacré deux rapports: un premier en 2011, relatif aux "tensions d'approvisionnement des terres rares",  suivi par un deuxième en 2016, portant sur "les enjeux des terres rares et des matières premières stratégiques et critiques". Le journaliste Guillaume Pitron, déjà auteur de documentaires sur le sujet en 2012, vient de publier quelque 250 pages d'enquête sur La Guerre des métaux rares. Le World Materials Forum a souligné à l'occasion de sa quatrième édition le "risque très élevé" pesant sur six métaux, qui selon une étude du cabinet de conseil Alcimed en concernerait même une dizaine. Et dans sa toute récente Stratégie d'utilisation des ressources du sous-sol pour la transition énergétique française, l'Académie des sciences insiste sur les importants besoins à venir pour la France, dont "le coût cumulé d'ici 2050 n'est pas très éloigné de celui des importations de pétrole qui seraient nécessaires si cette transition n'avait pas lieu".

Des métaux concentrés dans un nombre restreint de pays

Ces experts partagent globalement la même analyse. Une première préoccupation vient du risque d'épuisement des réserves existantes: pour certains métaux comme l'antimoine, l'étain et le chrome, au rythme de consommation actuel, elles seraient même inférieures à 17 ans, selon Alcimed. Si au niveau mondial l'exploitation d'autres gisements souterrains, voire sous-marins, semble théoriquement plus que possible, ses coûts potentiels pourraient néanmoins être élevés.

Un deuxième danger est de nature géopolitique. Les réserves exploitées de ces métaux stratégiques sont en effet concentrées dans un nombre restreint de pays, dont la Chine, qui contrôle notamment plus de 80% de l'extraction de terres rares, mais aussi le Congo, qui a le monopole du cobalt, et le Brésil, qui assure la quasi-totalité de niobium. Dans le cas de Pékin, cette situation monopolistique est même le résultat d'une véritable stratégie développée depuis les années 2000, explique Guillaume Pitron. La Chine a ainsi réussi, via la création de quotas d'exportation, qui ont contraint les industriels occidentaux à transférer leur production sur son territoire en joint-venture avec des entreprises locales, à remonter la chaîne de valeur de l'industrie utilisant ces matières. Afin de décourager le déploiement de projets miniers concurrents, elle a ensuite supprimé ces quotas, mène une politique des prix bas, constitue des stocks de matières et achète des mines de terres rares dans d'autres pays, dont elle retire la production du marché. Bien que la réussite de telles politiques demande l'existence d'infrastructures, d'une industrie locale et d'une main-d'oeuvre adaptée, les experts mettent en garde: rien n'exclut que d'autres pays tentent un jour d'imiter Pékin.

Des problèmes de RSE modérés ou avérés"

Le dernier risque pesant sur l'approvisionnement de métaux stratégiques concerne le coût environnemental et social de leur production. En raison de leur présence infinitésimale dans la roche, l'extraction des terres a un impact particulièrement lourd sur le paysage, mais aussi sur l'utilisation d'énergie. Les rejets toxiques et la radioactivité issus de leur raffinage polluent l'environnement et empoisonnent les populations locales, témoigne Guillaume Pitron. Au Congo, l'exploitation du cobalt, utilisé dans les batteries de smartphones, est associé au travail des enfants. Ainsi, vingt-quatre des 36 matières étudiées par Alcimed "posent des problèmes de RSE modérés ou avérés", analyse le cabinet.

L'opinion publique prend progressivement conscience de ces enjeux, obligeant des marques telles qu'Apple et Samsung, confrontées à la menace d'une aversion croissante pour leurs produits, à s'engager dans des démarches de traçabilité. Et le risque d'un durcissement soudain de la législation -tel que celui intervenu en 2017 en Chine à propos de l'importation des déchets- guette, y compris dans les pays aujourd'hui encore très permissifs, qui basculent progressivement vers une croissance qualitative. Or, la production limitée des métaux rares multiplie les effets potentiels de toute petite variation de l'offre ou de la demande sur les prix.

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