Nucléaire : l’exécutif « découvre » que l’objectif arrêté pour 2025 est irréaliste

Par Dominique Pialot  |   |  1344  mots
Pour Nicolas Hulot, l'objectif de 50% de nucléaire dans l'électricité en 2025 est un objectif "difficile à tenir".
Sur fond de COP23 et sur la base du bilan prévisionnel présenté par le gestionnaire de réseau RTE ce même jour, Nicolas Hulot a reconnu la difficulté d’abaisser la part du nucléaire dans le mix électrique à 50% d’ici à 2025 sans accroître les émissions de CO2 de la production d’électricité française. Comme le souligne RTE dans son rapport, un pilotage de la transition énergétique est plus nécessaire que jamais.

Nicolas Hulot ne pouvait rêver meilleur timing pour faire cette annonce que tout le monde pressentait depuis un moment. Ce 7 novembre, en présentant son Bilan prévisionnel pour l'année et ses projections d'ici à 2035, RTE a montré qu'il était impossible de faire passer de 75 à 50% la part du nucléaire dans le mix électrique à l'horizon 2025 tout en respectant la baisse des émissions de CO2 exigée par les engagements français sur le climat et la sécurité d'approvisionnement. Et alors que la COP23 a ouvert lundi 6 novembre à Bonn, tout renoncement au nom de la lutte contre le changement climatique devient plus recevable qu'à l'accoutumée.

« Si on veut maintenir la date de 2025 pour ramener dans le mix énergétique le nucléaire à 50 %, ça se fera au détriment de nos objectifs climatiques et ça se fera au détriment de la fermeture des centrales à charbon », a expliqué le ministre de la Transition écologique et solidaire à l'issue du Conseil des ministres de ce 7 novembre.

« L'objectif de baisse de part du nucléaire 2025 me semblait quelque peu brutal ou irréaliste », a -t-il déclaré, avant de poursuivre : « Nous prendrons le temps de décider d'une date réaliste, dans un délai le plus rapide possible. »

A court terme, choisir entre charbon et nucléaire

Selon les calculs de RTE dans son bilan prévisionnel, un « oracle énergétique » d'après son directeur général François Brotte, il faudrait, pour atteindre 50% d'électricité nucléaire en 2025, fermer 24 réacteurs sur les 58 que compte le parc français. Même dans un contexte de consommation électrique stable voire en légère baisse -une première depuis que RTE se livre à cet exercice- et en dépit d'un développement accéléré des énergies renouvelables, cela impliquerait d'après l'opérateur de réseau de doubler la capacité de production à partir de gaz et les émissions de CO2 avec. Impensable pour le pays champion de la lutte contre le changement climatique, qui surfe depuis 2015 sur le succès de la COP21.

Pourtant, les émissions liées à la production électrique française ne pèsent aujourd'hui que 22 millions de tonnes de CO2 sur un total de 700 millions de tonnes au niveau national et un tel doublement permettrait à la France de conserver un excellent bilan carbone de sa production électrique. Sans compter qu'il pourrait être compensé par des progrès en matière d'efficacité énergétique réalisés dans d'autres secteurs.

Etant donné les difficultés rencontrées pour fermer la seule centrale de Fessenheim (dont Nicolas Hulot assure qu'elle sera fermée « au cours du quinquennat ») et le manque d'anticipation sur le plan de la reconversion des compétences et des sites concernés, cette échéance de 2025 apparaissait en effet de plus en plus irréaliste.

A plus court terme, il n'est même pas possible au regard de la sécurité d'approvisionnement de fermer les quatre centrales à charbon encore actives en France d'ici à 2022, comme le prévoit le plan climat présenté par Nicolas Hulot en juillet, et les quatre réacteurs nucléaires qui auront atteint 40 ans d'ici là.

De 9 à 52 réacteurs fermés d'ici à 2035

A partir de 2030, cet objectif, annoncé d'abord par François Hollande en novembre 2012 avant d'être inscrit par Ségolène Royal dans la loi de transition énergétique de 2015 puis endossé comme promesse de campagne du candidat Macron au printemps 2017, devient plus atteignable. Mais, comme l'illustrent les différents scenarii élaborés par RTE à l'horizon 2035, à certaines conditions seulement, qui exigent un pilotage précis de la part des pouvoirs publics.

RTE a élaboré quatre trajectoires à l'horizon 2035 aboutissant à des mix énergétiques, des coûts économiques (allant de de 8 à 15 milliards d'euros par an) et des impacts climatiques assez différents. Baptisés Ampère, Hertz, Volt et Watt, ils correspondent à la fermeture de 9 à 52 réacteurs -dans l'hypothèse où la prolongation au-delà des 40 ans serait refusée pour tous- des émissions de CO2 en baisse de 60% ou au contraire en hausse de 45%, et une part du nucléaire dans le mix électrique allant de 11% à 56%. Différentes hypothèses de prix du CO2, de capacités d'interconnexions et d'exportations sont également prises en compte. Ainsi, dans le scénario Volt, un doublement des interconnexions permet à un nucléaire encore haut (56% du mix) de trouver des débouchés à l'export.

Tous les scénarios se fondent néanmoins sur un certain nombre d'hypothèses communes : une consommation stable ou en baisse malgré un fort développement du véhicule électrique (jusqu'à 15 millions en 2035) et d'autres transferts d'usage, grâce aux progrès de l'efficacité énergétique ; une progression de l'autoconsommation ; une diversification du mix électrique impliquant un déploiement accéléré des énergies renouvelables, la fermeture des centrales à charbon françaises et celle de réacteurs nucléaires.

50% de nucléaire et 50% d'émissions de CO2 en moins en 2030

Fort attentif à ne pas indiquer de hiérarchie ou de préférence entre ces différents scénarii et à rappeler que l'élaboration de ce bilan prévisionnel correspond à la mission qui lui est confiée dans le cadre du Code de l'énergie, le gestionnaire de réseau a néanmoins élaboré un scénario qui semble plus que les autres concilier un grand nombre des objectifs aujourd'hui fixés. Ampère, c'est son nom, permettrait en effet d'aboutir à une part de nucléaire de 50% en 2030 - seulement cinq ans plus tard que prévu par la loi de transition énergétique - et de diviser les émissions de CO2 par deux en évitant l'ajout de capacités de production thermique, dont la part tomberait à 4% seulement du mix électrique. Un triplement du rythme d'installation des énergies renouvelables serait nécessaire, ainsi qu'un développement important des mécanismes de flexibilité : effacement électrique, stockage, pilotage de la recharge de véhicules électriques, etc. Concernant les énergies renouvelables, l'objectif peut sembler d'autant plus ambitieux qu'il concerne uniquement le solaire et l'éolien, les capacités de développement de l'hydraulique (qui représente aujourd'hui la plus grande partie du parc renouvelable français) étant limitées. Mais c'est un rythme qui correspond à la fourchette haute de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et au rythme de croisière de certains de nos voisins européens.

Ce scénario prend par ailleurs comme hypothèse une croissance annuelle de 2%, qui permet de financer ce développement des énergies renouvelables ainsi que des actions d'efficacité énergétique notamment dans la rénovation thermique des bâtiments. Difficile de savoir précisément comment il évoluerait si cette hypothèse optimiste ne se concrétisait pas...

Un pilotage plus nécessaire que jamais

RTE insiste sur la nécessité de piloter au plus près l'évolution du parc nucléaire, quels que soient les choix effectués. Le gestionnaire de réseau souligne notamment l'impact potentiel de la durée de fermeture des centrales pour la quatrième visite décennale. Limitée à six mois, comme cela a été le cas pour les visites décennales précédentes, cela n'interférerait pas avec la pointe hivernale et ne poserait donc pas de problème particulier. En revanche, si cette durée atteignait douze mois, cela les rendrait indisponibles durant l'hiver, ce qui pourrait menacer l'équilibre du système électrique.

« L'ampleur et la durée des travaux sont des éléments d'incertitude, souligne RTE dans son rapport. Les analyses de sensibilité renforcent ainsi le message de vigilance sur la période 2018-2022 et sur la nécessité de réaliser des choix séquencés de manière cohérente pour maintenir le niveau de sécurité d'approvisionnement, en parallèle aux actions qui seront menées sur l'évolution du parc de production d'électricité. »

En actant le report de l'échéance de 2025, et alors que débutent les travaux concernant la PPE pour la période 2019-2023, Nicolas Hulot n'en a pas fini pour autant avec l'évolution du parc nucléaire.