Nucléaire : le rapport qui jette un pavé dans la mare

Par Dominique Pialot  |   |  986  mots
L'entrée en service de l'EPR de Flamanville, initialement prévue en 2012, a été à nouveau repoussée à 2020 courant juillet. (Crédits : Benoit Tessier)
Un rapport commandé par les ministres de la transition écologique et de l’économie dans le cadre des réflexions en cours sur la programmation pluriannuelle de l’énergie préconise la construction de six EPR à partir de 2025.

Nicolas Hulot avait-il connaissance du contenu de ce rapport lorsqu'il a annoncé sa démission du gouvernement mardi 28 août? C'est probable. D'après son entourage, il l'aurait brièvement parcouru. Or, s'il avait endossé la responsabilité du report à 2025 ou 2030 du passage de la part nucléaire à 50% du mix énergétique, son opposition à la construction de nouveaux réacteurs ne faisait pas mystère. Plus que la présence d'un lobbyiste à une réunion sur la chasse lundi soir, sa conclusion a peut-être pesé plus lourd dans sa décision. Une hypothèse corroborée par sa déclaration off à Libération début août, prédisant « 3 EPR dans quelques années » au cas où il quitterait le gouvernement.

Ce rapport révélé par Les Echos résulte d'une mission lancée par son ministère et celui de Bruno Le Maire à l'Economie, concernant « le maintien des capacités industrielles de la filière nucléaire en vue de potentielles nouvelles constructions de réacteurs »

Conclusion sur-mesure pour EDF

Sa rédaction a été confiée à deux experts, Yannick d'Escatha, ancien administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et actuel conseiller du président d'EDF pour le volet militaire (paradoxalement), et Laurent Collet-Billon, ex-délégué général à l'armement, pour le volet civil.

Et sa conclusion ressemble fort à la solution préconisée par EDF dans sa contribution au débat public sur la programmation pluriannuelle de l'énergie.

La construction d'un premier EPR démarrerait en 2025 pour une entrée en service en 2035, suivie par la construction d'un deuxième réacteur deux ans après le premier, et ainsi de suite pour construire les six premiers réacteurs. Cela correspond également au « carnet de commandes » virtuel réclamé par la Société française de n'énergie nucléaire (SFEN) en échange de la promesse d'abaisser de 30% le coût de construction des EPR.

C'est aussi une parfaite réponse à la métaphore employée par le PDG de EDF Jean-Bernard Lévy, qui déclarait en juin devant l'Assemblée Nationale que la filière était « comme un cycliste qui doit continuer à pédaler - en l'occurrence, à construire - pour ne pas tomber. »

Publication de la PPE à nouveau repoussée

Dans quelle mesure le gouvernement suivra-t-il ces préconisations ? Interrogé sur Radio Classique, le ministre de l'Economie a redit sa conviction « que le nucléaire est un atout pour la France, une énergie qui n'émet pas de CO2. »

"Le gouvernement a logiquement engagé plusieurs missions et expertises préparatoires à ses décisions. Ce sujet sera examiné dans le cadre de la préparation de la PPE au cours de l'automne", a indiqué à l'AFP le ministère de la Transition écologique et solidaire.

Sébastien Lecornu, secrétaire d'Etat auprès de Nicolas Hulot particulièrement actif sur le dossier nucléaire, annonce la publication d'une première mouture de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) dans le courant de l'automne. Initialement prévue pour juillet, celle-ci avait déjà été reportée à septembre.

Reconstruire de nouveaux EPR reviendrait à entériner le fait que la part de 50% du nucléaire dans le mix énergétique serait un plancher durablement établi, plutôt que la première étape d'un désengagement du nucléaire appelé de leurs vœux par les écologistes.

"Même si la mise en œuvre de ses recommandations n'était que partielle, elle signerait l'arrêt de mort de la transition énergétique, détournant des sommes colossales des alternatives énergétiques et imposant la perpétuation du risque nucléaire", a d'ailleurs déclaré l'ONG Sortir du nucléaire.

Et cela ne constituerait sans doute pas le meilleur signal adressé aux acteurs des énergies renouvelables pour susciter des investissements massifs.

"On nous dit qu'il faudrait faire des réacteurs nucléaires simplement pour garder de la technologie ou un savoir-faire, mais clairement, il n'y a pas d'argument énergétique", s'est indigné Yannick Rousselet de Greenpeace France, auprès de l'AFP. "Si on ne fait pas de place sur le réseau pour du renouvelable, il ne se fera jamais".

Quel avenir à l'export ?

Surtout, la question qui se pose est celle de l'opportunité de maintenir un savoir-faire français en matière de construction d'EPR, à l'heure où le marché mondial se rétracte. Dernière annonce en date : l'Afrique du Sud, qui renonce à un programme de six à huit EPR pour le remplacer par des énergies renouvelables. Certes, des pays en plein développement économique, notamment la Chine et l'Inde, représentent un marché significatif. Mais rien ne dit que l'EPR français soit le plus à même de répondre à leurs demandes, même s'il y a un projet de contrat portant sur six EPR français avec New Delhi. Après avoir beaucoup travaillé avec les Français, et fait démarrer en juin dernier le premier EPR au monde, les Chinois sont en effet en train de développer leur propre filière. S'ils s'y montrent aussi compétitifs et efficaces qu'ils l'ont été dans les énergies renouvelables, et notamment le solaire, les acteurs américains et européens ont du souci à se faire.

Enfin, avant d'entériner la construction de six nouveaux réacteurs, le gouvernement aura certainement à cœur de vérifier que la filière française est capable d'un mettre un premier en marche.

« Quant à la constructions de nouveaux EPR, c'est au président de décider et la sagesse recommande déjà que Flamanville soit achevé avant de prendre des décisions », a précisé Bruno Le Maire ce matin sur les ondes.

Ce qui n'est pas encore le cas, comme le montre la litanie des déboires survenus à Flamanville. Mais la perte d'expérience est précisément le principal argument invoqué par les acteurs de la filière pour expliquer ces difficultés...