Les difficultés techniques sur l'EPR "sont liées à la perte d'expérience" (Pierre-Franck Chevet, ASN)

Pierre-Franck Chevet, qui préside l'Autorité de sûreté nucléaire jusqu'en novembre prochain, commente la situation de la filière nucléaire française et détaille le rôle de l'ASN pour l'avenir du parc existant.
Pierre-Franck Chevet, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) jusqu'en novembre 2018.
Pierre-Franck Chevet, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) jusqu'en novembre 2018. (Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE - Comment qualifieriez-vous la situation actuelle du nucléaire français sous l'angle de la sûreté ?

PIERRE-FRANCK CHEVET - Nous sommes entrés dans une période d'enjeux sans précédent, si l'on exclut la phase de construction intensive des années 1970-1980. Toutes les centrales, mais aussi les installations du cycle ou de recherche atteignent quarante ans dans les prochaines années. Cela ne signifie pas forcément la fin de vie, mais la question de la suite se pose nécessairement : sur le plan industriel, ces équipements connaissent-ils des problèmes de vieillissement ? Sont-ils et seront-ils bien gérés ? Que faire pour se rapprocher au maximum des niveaux de sûreté de l'EPR ?

Après Fukushima, l'ambition française en matière de sûreté a été particulièrement élevée. De nombreuses mesures sont effectives depuis fin 2015, mais nous avons demandé d'autres mesures complémentaires. Des moyens mobiles ou légers (diesels, tuyaux) sont déjà en place, mais des moyens similaires en dur restent à déployer.

Comment expliquez-vous les difficultés rencontrées sur le chantier de l'EPR de Flamanville ?

Il n'y a pas eu de construction de nouvelles installations depuis longtemps et la reprise de la fabrication s'accompagne de pas mal de problèmes en matière de délais, de qualité, de sûreté... Les difficultés techniques sont réelles, et liées à la perte d'expérience. Sur l'EPR, certes il y en a plusieurs en construction dans le monde, mais pendant longtemps il y a eu très peu d'échanges entre les équipes des différents chantiers. C'est très différent de ce qui s'était passé en France à l'époque où le parc était en construction. Pour ne rien arranger, ces difficultés opérationnelles se produisent alors que les exploitants rencontrent des difficultés financières, même si la situation s'est améliorée depuis la recapitalisation.

Comment allez-vous procéder pour établir les avis concernant la prolongation ou l'arrêt des centrales qui atteignent les quarante ans ?

Nous rendrons en 2020 notre avis générique qui synthétisera ce que l'on demande à EDF pour qu'il soit envisageable de prolonger la durée de vie des réacteurs. Cette date a été repoussée car nous avons demandé plus de choses à l'exploitant, ce qui lui a pris plus de temps pour nous les fournir et ce qui nous prend plus de temps à instruire. Avant même de penser à rehausser le niveau de sûreté, il faut déjà vérifier que le niveau d'origine est conforme au cahier des charges. Ainsi, le problème constaté sur la digue de Tricastin qui sépare le canal du site présente des anomalies par rapport au cahier des charges initial. Même chose pour certains diesels qui ne résistaient pas à un séisme. À partir de 2021, nous pourrons fixer nos prescriptions concernant la prolongation de chaque centrale en fonction des conditions du site.

Du point de vue de la sûreté, que pensez-vous de la perspective de nouveaux réacteurs de petite taille ?

Des réacteurs de plus petite taille [d'une puissance d'environ 100 MW, à comparer avec les 1 650 MW de l'EPR, ndlr] permettent une circulation naturelle des fluides et donc un refroidissement naturel. Plus petits, les coeurs des réacteurs sont aussi plus faciles à refroidir. Nous sommes prêts à regarder un dossier industriel avancé, mais pour le moment nous ne l'avons pas...

Propos recueillis par Dominique Pialot

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Commentaires 12
à écrit le 06/07/2018 à 14:06
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Ils est claire que notre pays est en perte de savoir faire industriel , ils faut dire que depuis 30 ans l'on ne fait rien pour maintenir le savoir ... Les formations ( scolaire et professionnelle ) ne sont vraiment pas tres efficase... L'apprentissag...

à écrit le 05/07/2018 à 14:23
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C'est bien de proposer la prolongation de la vie des vieilles centrales, mais n'a-t-on pas aussi perdu l'expérience pour le faire ?

à écrit le 05/07/2018 à 14:10
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P.F. Chevet indique qu'eDF rencontre des difficultés financières mais il ne dit pas pourquoi ? En fait, la Réglementation institue un dispositif permettant aux concurrents d’eDF de bénéficier d’une partie de la « rente nucléaire », sans qu' eDF puiss...

à écrit le 05/07/2018 à 13:24
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C'est sur nous sommes au pied du mur si pour autant les souhaits exprimés de lutter contre le réchauffement climatique sont réels et sincères. On sait aujourd'hui que l'on ne sait pas baisser la consommation d'énergie qui a même augmenté en France. L...

à écrit le 05/07/2018 à 13:10
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Flamanville est l'EPR n°4 apres le finlandais et les 2 chinois, à cette taille industrielle, ca n'est pas recevable de parler de prototype, ni concernant la cuve ni concernant les tuyauteries. Ce qui est à mettre en cause c'est la recherche du moind...

le 05/07/2018 à 13:51
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C’est faux et vous le savez bien puisqu’on en a déjà parlé 100 fois et que vous n’avez jamais rien eu à y répondre : FLA3 et Ol3 ont été menés en parallèle par des équipes différentes. Il y a donc eu aucun (ou très peu) de REX utilisable de l’un su...

à écrit le 05/07/2018 à 12:32
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La perte d'expérience, mon oeil. La centrale de Saint Laurent des Eaux a été construite en seulement 6 ans dans les années 60. Et les compétences, à l'époque, elles n'existaient pas du tout. Il n'y avait même aucune expérience dans le domaine. Et ...

le 06/07/2018 à 8:35
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Pour avoir vécu (un peu) de l'intérieur l'aventure Nuc. des années 70 tant civile que militaire je dirais qu'à l'époque il existait de très grosses compétences industrielles nationales que contrôlaient des directions techniques puissantes qui aujourd...

à écrit le 05/07/2018 à 10:33
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C'est très clair : plus de 10 ans entre la fin de la construction de Civaux et le lancement du chantier de l'EPR de Flamanville-3. Et l'erreur a été reproduite puisque le gouvernement Ayrault a abandonné la construction de l'EPR de Penly 3. Il faut m...

à écrit le 05/07/2018 à 10:32
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Ca fait des decennies que les savoirs s'echappent de l'hexagone. La faute a ces industriels francais qui ont delocalises specifiquement en Chine Il ne reste plus qu'a demander l'aide de ces derniers. Ils savent faire, ils viennent de le demontrer ...

le 05/07/2018 à 13:43
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@coréen, merci pour votre commentaire. On a compris depuis longtemps que vous avez un problème avec la France.

à écrit le 05/07/2018 à 9:46
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A chaque fois que nous cessons une activité industrielle nous perdons définitivement des compétences souvent de base, ce fut le cas des cuves des méthaniers. Il faut aussi comprendre que les réalisations complexes s'enrichissent mutuellement du savoi...

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