Océans : pour le Giec, "l’avenir est encore entre nos mains”

Par Giulietta Gamberini  |   |  1161  mots
"Les océans absorbent entre 20 et 30% des émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines ainsi que plus de 90% de l'excès de chaleur dû à leur augmentation", explique Jean-Pierre Gattuso, chercheur français qui a participé à l'élaboration du rapport. (Crédits : Pixabay / CC)
L'augmentation de la température océanique comme la montée des eaux s'accélèrent, avec des effets potentiellement catastrophiques sur l'environnement et sur l'humanité. Mais si l'Accord de Paris était respecté, les océans pourraient continuer à rendre leurs services à la planète, pointe un rapport publié aujourd'hui par les experts de l'ONU.

Le pire reste évitable et l'humanité peut encore choisir d'agir. Tel est le message essentiel du Giec, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat de l'ONU, qui publie mercredi 25 septembre un rapport spécial sur les conséquences du changement climatique sur l'océan et la cryosphère (l'ensemble des éléments gelés à la surface de la planète).

"Dans un scénario d'émissions de gaz à effet de serre compatibles avec l'Accord de Paris (qui vise à limiter le réchauffement à 2°C en 2050 par rapport à l'époque préindustrielle, NDLR), certains phénomènes comme l'augmentation de la température et l'acidification de l'eau pourraient être arrêtés", résume Jean-Pierre Gattuso, océanographe français du CNRS qui a participé à l'élaboration du rapport.

Il met en garde:

"L'avenir est encore entre nos mains".

"Les océans sont depuis toujours des acteurs essentiels du système climatique", explique le chercheur. "Ils absorbent entre 20 et 30% des émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines, ainsi que plus de 90% de l'excès de chaleur dû à leur augmentation. Ils reçoivent d'ailleurs aussi la quasi-totalité de l'eau de la fonte des glaces", précise-t-il. Le changement climatique soumet donc les mers à une nouvelle pression, qui vient s'ajouter à celles, déjà très importantes, découlant de la surpêche et de la pollution. Si des conséquences pour l'environnement et pour les humains sont dans tous les cas inévitables, plus le réchauffement sera élevé plus elles seront sensibles voire catastrophiques, prévient le rapport du Giec.

Un déplacement de la flore et de la faune

Une pluralité de mécanismes interdépendants sont en effet d'ores et déjà en marche. Le réchauffement de l'eau, dont la vitesse a plus que doublé depuis 1993, produit des effets puissants sur la biodiversité marine. Il provoque une redistribution géographique des plantes et des animaux qui, à la recherche de fraîcheur, migrent des tropiques vers les pôles. "Cela varie selon les groupes, mais en moyenne ils parcourent plusieurs dizaines de kilomètres par décennie", note le chercheur. Les ressources halieutiques des zones tropicales diminuent donc, alors que les récifs coralliens et certaines espèces nordiques ou qui ne peuvent pas migrer comme les plantes et poissons de Méditerranée risquent tout simplement de disparaître. De nouvelles espèces invasives, souvent voraces, se développent.

D'autres effets négatifs sur la biodiversité découlent de l'acidité croissante des mers qui, en raison de l'augmentation du CO2 absorbé, croît depuis 1980. "En rendant moins abondant les carbonates présents dans l'eau, elle affecte surtout les organismes qui fabriquent des squelettes ou des coquillages", explique Jean-Pierre Gattuso.

Des événements extrêmes plus intenses et fréquents

Quant à l'élévation du niveau des mers, jusqu'à présent due surtout à la dilatation de l'eau devenue plus chaude, mais qui découle de plus en plus de la fonte des glaces, elle accélère et endommage également les écosystèmes côtiers. Mais elle met aussi en péril les immeubles bâtis auprès des côtes.

Or, "le rapport aggrave encore les prévisions formulées jusqu'à présent, en estimant que l'augmentation du niveau des mers pourrait atteindre 1,1 mètre en 2100", voire plusieurs mètres dans les siècles suivants, observe le chercheur. Il note: "En France, la Camargue serait ainsi en très mauvais posture...". Sans compter que dans certaines régions la montée du niveau des mers aggraveraient la fréquence et l'intensité d'événements extrêmes tels que les inondations, souligne le rapport. Ceux qui avaient lieu une fois par siècle pourraient désormais se passer toutes les décennies voire tous les ans.

Les pays les plus pauvres particulièrement affectés

D'importantes migrations seraient ainsi la première conséquence de ce dérèglement.

"Alors que Londres et les Pays-Bas peuvent se permettre de construire des digues et des barrages, certains pays du Sud ou des petites îles disposent de beaucoup moins de moyens d'adaptation, et ce alors qu'ils ont beaucoup moins contribué à l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre", note Jean-Pierre Gattuso.

Leurs habitants n'auront alors d'autre choix que de se déplacer.

Partout dans le monde, en outre, l'alimentation humaine risque d'être affectée. La perte de biodiversité cause une baisse de la masse de poissons, qui pourrait atteindre jusqu'à 24%, calcule le Giec, tout en insistant sur les grandes différences géographiques. Les mutations de la cryosphère sont pour leur part susceptibles de perturber dans de nombreuses régions l'accès à l'eau.

Responsabiliser les décideurs

Mais si l'augmentation des températures était contenue dans la limite des 2°C, comme établi dans l'Accord de Paris, la baisse de la masse de poissons pourrait par exemple être entre trois à quatre fois inférieure qu'en cas d'absence de politiques pour limiter le réchauffement climatique, pointe le Giec. "L'augmentation de la température de l'eau pourrait se stabiliser 1,6°C en moyenne, alors qu'elle pourrait dépasser les 4°C dans le pire des scénarios du réchauffement", souligne Jean-Pierre Gattuso.

Le Giec s'est d'ailleurs aussi penché sur comment agir. "Parmi les mesures considérées comme efficaces, il y a tout d'abord le développement des énergies renouvelables marines", qui permettent d'intégrer les océans à la transition énergétique, résume l'expert. Il évoque également la reforestation des sols marins, afin d'améliorer leurs capacités de stockage du CO2. "Et en raison de leurs nombreux bénéfices, en termes de résilience des écosystèmes mais aussi d'impact sur la pêche et le tourisme, il est aussi essentiel de poursuivre dans la création de réserves protégées", ajoute Jean-Pierre Gattuso.

Un outil d'acculturation

"L'adaptation, notamment, n'est plus une option, le risque climatique doit être intégré aux décisions et la résilience demande des changements structurants", ont souligné lors d'une conférence de presse téléphonique Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue et coprésidente du Giec, et Helene Jacot des Combes, paléocéanographe et co-auteure du rapport.

"Les bonnes mesures peuvent être prises non seulement par les Etats, mais à divers niveaux, et doivent être adaptées au contexte géographique", ont-elles ajouté.

Mais ce seront aussi les politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre adoptées par les principales puissances du monde qui feront pencher la balance, notamment lors de la révision prévue en 2020 des engagements pris en 2015.

L'objectif des rapports du Giec, qui se limitent à passer à revue l'ensemble de la littérature scientifique déjà existante (7.000 publications en l'espèce) et à faire l'état des connaissances à un certain moment de l'histoire, est d'ailleurs surtout d'informer publiquement les décideurs et l'opinion publique, en engageant ainsi leur responsabilité. Ce sera aussi le principal apport de celui consacré aux océans.