Pourquoi le gouvernement veut accélérer l'essor du biogaz en France

Par Giulietta Gamberini  |   |  1232  mots
L'objectif du gouvernement est surtout d'accélérer l'installation d'unités de méthanisation, a expliqué Sébastien Lecornu. (Crédits : DR)
Un groupe de travail lancé par Sébastien Lecornu se penche depuis le 1er février sur cette énergie renouvelable, qui pourrait contribuer positivement à la transition énergétique, à la gestion des déchets comme à la crise agricole. Emmanuel Macron a annoncé jeudi la mise en place d'un fonds de prêts de 100 millions d'euros, ainsi que d'un plan de réforme de la réglementation dont les contours pourraient être précisés samedi.

Des ressources pouvant aller "de quelques milliers d'euros de réduction de la facture énergétique à plus de 15.000 euros de revenus complémentaires". Telle est la promesse aux agriculteurs recelée par la production d'énergies renouvelables, relève une étude de l'Ademe publiée jeudi 22 février. Sans compter la contribution à la transition énergétique, puisque 15% des exploitations professionnelles ont produit en 2015, 20% des énergies renouvelables françaises, relève le même rapport.

Parmi ces énergies, l'Ademe cite la méthanisation, technologie basée sur la dégradation par des micro-organismes de la matière organique afin de produire du biogaz, lequel peut ensuite soit être brûlé pour produire de l'énergie électrique et de la chaleur (cogénération), soit, après épuration, être injecté dans le réseau de gaz sous forme de biométhane. Elle figure également en tête d'affiche des politiques publiques: le secrétaire d'État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, Sébastien Lecornu, y a consacré le 1er février un groupe de travail, censé préciser comment atteindre l'objectif déjà fixé en 2015 par la loi de transition énergétique pour la croissance verte: 10% de gaz renouvelable dans la consommation française à horizon 2030, soit une production annuelle de 30 TWh. Et le président de la République, Emmanuel Macron, vient tout juste d'annoncer, devant 1.000 jeunes agriculteurs reçus à l'Elysée jeudi 22 février, qu'un fond de prêts de 100 millions d'euros créé avec BPI France y sera consacré, accompagné d'un plan de réforme de la réglementation.

Un mode efficace de traitement des bio-déchets

Le gouvernement semble ainsi reconnaître plusieurs des atouts du biogaz soulignés par les professionnels. Forme d'énergie renouvelable non intermittente, il peut contribuer à sécuriser la transition énergétique ainsi que, sous la forme de biométhane, à verdir l'offre de gaz -laissé pour compte par le développement du photovoltaïque et de l'éolien. Et en même temps, "la méthanisation accroît l'offre de traitement vertueux des bio-déchets. De quatre tonnes de matière organique on produit 1 mégawattheure d'énergie ainsi que 3,4 tonnes d'engrais et de digestat, dont les agriculteurs peuvent se servir gratuitement afin d'enrichir leurs sols", ajoute Frédéric Flipo, directeur général délégué d'Evergaz, entreprise qui installe des unités de production de biogaz depuis 2008.

Ce sont en effet les agriculteurs qui, grâce aux bio-déchets qu'ils produisent, détiennent aujourd'hui 80% du potentiel méthanogène français -le reste venant des stations d'épuration de l'eau et des déchets ménagers. Ils peuvent soit installer leur propre unité, soit être associés à une installation collective territoriale. Or, le recours gratuit au digestat implique pour eux aussi une économie en intrants chimiques, qui selon Frédéric Flipo peut se chiffrer en centaines d'euros par hectare. A laquelle s'ajoute la possibilité de disposer de revenus moins aléatoires que ceux tirés de leur activité directe: selon l'étude de l'Ademe, les ventes du biogaz en 2015 ont atteint les 88 millions d'euros.

Une progression lente

L'objectif du gouvernement est alors surtout d'accélérer l'installation d'unités de méthanisation, a expliqué Sébastien Lecornu. Entre 2006, date à laquelle un arrêté a fixé les conditions d'achat de l'électricité produite par la valorisation de biogaz, et 2016, quelque 550 unités de production ont vu le jour, selon le dernier panorama du gaz renouvelable réalisé par le Syndicat des énergies renouvelables (SER) et les gestionnaires de réseaux (Grdf, GRTgaz, TIGF). L'injection de biométhane dans les réseaux, réglementée seulement en 2011, ne concernait la même année que 5% de ces installations, 26 -qui seraient devenues 44 en 2017 selon le président du think tank France Biométhane Cédric de Saint-Jouan.

Malgré une progression de la production de biométhane pour les réseaux de gaz de 162% en une année, 215 gigawattheures (GWh) (soit l'équivalent de la consommation de près de 18.000 logements ou 1.000 bus) étaient produites en 2016, alors que l'objectif serait de 1,7 TWh en 2018 et 8 TWh en 2023, relève la même étude. Le biométhane représente encore moins de 1% du gaz consommé en France.

Procédures et contentieux

Les professionnels déplorent plusieurs obstacles, que la réforme réglementaire promise par Macron devrait justement contribuer à lever.

 "Aujourd'hui (la méthanisation, Ndlr.) c'est beaucoup trop compliqué, ça vous prend beaucoup trop de temps" a reconnu le chef de l'État face aux agriculteurs.

Cédric de Saint-Jouan met notamment l'accent sur "des régimes d'autorisations complexes, concernant tant les autorisations d'exploiter que des contraintes liées à la valorisation du digestat".

"Nous sommes au croisement entre trois activités, chacune très technique et réglementée: l'agriculture, les déchets et l'énergie", explique-t-il.

Associés à la multiplication des recours, ces contraintes ralentissent les projets. Des 241 consacrés à la production de biométhane qui étaient en phase de développement avancé fin 2016, la plupart ne devraient pas rentrer en service avant 2018, soulignait dans son Panorama le SER. France Biométhane demande ainsi une simplification des procédures, ainsi que des mesures afin de limiter les contentieux. Frédéric Flipo insiste pour sa part sur la nécessité de sortir le digestat du statut de déchet.

Le think tank insiste aussi sur la nécessité d'améliorer la visibilité dont peuvent disposer les investisseurs, notamment en renforçant le système de de tarifs d'achat, essentiel afin de soutenir le développement d'installations d'injection de biométhane. Il propose notamment d'annualiser la capacité maximale d'injection (au-delà de laquelle s'appliquent les tarifs de marché, quatre fois inférieurs), "afin de s'adapter à la saisonnalité de la consommation de gaz", du moins dans l'attente que l'approvisionnement des installations s'industrialise. La mise en place d'un fonds de garantie "piloté par la BPI avec la participation de la Caisse des dépôts", tel que celui annoncé par Macron, fait aussi partie des préconisations de France Biométhane afin de "rassurer les acteurs financiers".

Les cultures alimentaires limitées

Si de telles mesures étaient engagées, non seulement les objectifs pourraient être tenus, mais ils pourraient même être relevés, estime Cédric de Saint-Jouan, qui en 2030 pense pouvoir atteindre une production annuelle de 90 TWh. D'autant que, selon une étude de l'Ademe de 2017, 49% des agriculteurs envisagent des projets EnR. "La production de digestat pourrait d'ailleurs trouver de nouveaux marchés", souligne Frédéric Flipo, y compris auprès des actuels producteurs d'intrants chimiques, qui observent attentivement l'éclosion d'alternatives moins polluantes.

Le directeur général d'Evergaz insiste toutefois sur la nécessité de ne pas insérer en France de distorsions entre les installations qui utilisent le biogaz pour la cogénération et celles qui injectent du biométhane dans le réseau, en laissant le choix à chaque agriculteur en fonction des caractéristiques de son exploitation et de la proximité du réseau. Alors qu'une autre limite est surtout mise en avant par les associations de défense de l'environnement -présentes dans le groupe de travail de Lecornu-: celle de préserver le choix fait par la France de limiter -contrairement à son voisin allemand- l'utilisation de cultures alimentaires. Selon un décret publié en 2016, le plafond est fixé à "15% du tonnage brut total des intrants par année civile".