Transition énergétique : le débat tué dans l'oeuf ?

Par Dominique Pialot  |   |  1430  mots
le gouvernement élimine d'entrée les scénarios prévoyant de nombreuses fermetures de réacteurs
Un projet de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) pour la période 2023-2028 doit être soumis à consultation à compter de la mi-février, sur la base d’une note de cadrage élaborée par le gouvernement à l’issue d’ateliers qui viennent de s’achever. Ces derniers ont privilégié les seuls scénarios qui laissent la part belle au nucléaire et misent sur de fortes augmentations des exportations, une démarche dénoncée par les associations environnementales.

Le secrétaire d'Etat Sébastien Lecornu est pour trois jours en opération déminage à Fessenheim pour préparer la fermeture de cette centrale nucléaire emblématique. Mais le gouvernement ne semble pas envisager d'autre fermeture lors de ce quinquennat, ni même de fermeture massive au-delà. C'est ce qui ressort de l'atelier sur la PPE électrique qui s'est tenu le 16 janvier et s'est conclu sans détailler aucune perspective de fermeture.

Nicolas Hulot a rappelé en début de réunion que les fermetures seraient fondées sur trois critères: la sûreté, après avis de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le rendement économique, et le volet social. Comme l'a rappelé Emmanuel Macron à plusieurs reprises, une grande partie du parc nucléaire français étant atteint par la limite des quarante ans entre 2019 et 2025, l'Autorité de sûreté devra déterminer à quelles conditions ces centrales pourront être prolongées sans danger. Un avis générique, initialement prévu pour 2018, a été repoussé à 2021.

De 9 à 16 réacteurs fermés à l'horizon 2035

Pour l'heure, la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) aurait demandé à l'opérateur de transport RTE, sans que cette décision ait été soumise aux participants du groupe de travail ni discutée avec eux, de ne présenter lors de l'atelier du 16 janvier que deux des quatre scénarios de mix énergétique à l'horizon 2035 élaborés et présentés par RTE en novembre dernier. Ampère et Volt, les deux qui maintiennent la part du nucléaire à son niveau le plus élevé, au détriment de Watt et Hertz, plus ambitieux en termes de réduction du parc nucléaire.

Ampère repose sur une réduction de la part du nucléaire qui se ferait au rythme du développement des renouvelables. En 2035, les capacités de production renouvelable tripleraient pour atteindre 149 GW, 16 réacteurs nucléaires seraient fermés (en plus des deux de Fessenheim) et le nucléaire représenterait 46% du mix électrique. « Ce scénario est honnête vis-à-vis de la loi de transition énergétique, reconnaît Yves Marignac », directeur de Wise-Paris et membre de l'association NégaWatt. Il permet bien d'atteindre l'objectif de réduire la part du nucléaire à 50 % du mix énergétique, mais en 2030 au lieu de 2025. À condition de développer des capacités de stockage des énergies renouvelables, il permet également de diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre. « En revanche, ensuite, on s'arrête là et on ne poursuit pas la baisse », regrette-t-il.

Volt propose de développer les moyens de production au rythme des débouchés économiques. Neuf réacteurs nucléaires seraient fermés d'ici 2035 (en plus de Fessenheim).  L'éolien représenterait 50 GW, le photovoltaïque 36 GW, et le nucléaire représenterait encore 56% du mix électrique en 2035. La capacité en énergies renouvelables serait multipliée par 2,5 et la consommation baisserait, tout comme les émissions de GES, en diminution de 60% par rapport à 2016.

Des scénarios ignorés, car plus émetteurs de gaz à effet de serre

Watt et Hertz, dédaignés par le gouvernement, proposaient des perspectives plus ambitieuses de diminution du parc nucléaire, mais contreviendraient, selon RTE, aux objectifs français en matière de climat.

Selon le scénario Watt, les réacteurs nucléaires fermeraient dès leur quarantième anniversaire (54 réacteurs fermés en 2035) et les capacités en énergies renouvelables seraient multipliées par trois. Mais, selon RTE, et malgré une consommation électrique en baisse, ce déploiement ne permettrait pas de compenser la perte de l'énergie nucléaire et imposerait donc d'ouvrir de nouvelles centrales thermiques au gaz, entraînant une hausse de 45 % des émissions des émissions de gaz à effet de serre en 2035 par rapport à 2016.

Hertz, qui prévoit de ramener à 50% la part du nucléaire en 2030 (27 réacteurs fermés en 2035) et une capacité de production renouvelable multipliée par 2,5, imposerait également la mise en service de capacités de production thermiques qui aboutirait à un maintien du niveau d'émissions de GES.

Le gisement d'économies d'énergie sous-estimé ?

Les associations environnementales dénoncent la méthode employée par le gouvernement. Certes, elles approuvent la méthodologie de RTE, qui a largement consulté pour élaborer ses scénarios et organisé des journées d'échange avec les associations.

Mais elles lui reprochent globalement de sous-estimer le potentiel d'économies d'énergie et de baisse de la consommation d'électricité que permettraient des efforts en matière d'efficacité énergétique, de rénovation thermique ou encore de développement de la mobilité électrique. Celle-ci est pourtant systématiquement évaluée en baisse de 20% par rapport à celle de 2016 (trajectoire basse) ou égale à celle de 2010 (trajectoire haute) à l'horizon 2035, au grand dam de EDF, qui souhaite que soit étudiée l'hypothèse d'une reprise de la consommation.

Pour ces raisons, affirment-elles, Watt et Hertz, ne sont pas nécessairement contraires à l'objectif de maîtrise des émissions de gaz à effet de serre. En 2035, celles liées à la production d'électricité atteindraient selon ces scénarios entre 19 et 35 millions de tonnes de CO2, contre 22 millions de tonnes aujourd'hui, sur un total de quelque 300 millions de tonnes de CO2 produites par  l'ensemble de l'économie française.

La transformation du système retardée

En outre,

« Chacun des scénarios de RTE comporte des milliers de variantes, souligne Anne Bringault, responsable de la coordination transition énergétique au CLER (réseau, pour la transition énergétique) ; l'intérêt, c'est précisément d'étudier les hypothèses, notamment sur l'évolution de la consommation, le développement des énergies renouvelables, les exportations, etc. »

En outre, les deux scénarios privilégiés reposent sur des hypothèses de prolongation du parc nucléaire que les associations jugent optimistes. Le scénario Ampère prévoit de prolonger 36 des 52 réacteurs qui atteindront 40 ans d'ici à 2035 et le scénario Volt, 43. Un point en particulier inquiète les associations environnementales : que les visites décennales, aujourd'hui prévues pour une durée de six mois n'interférant pas avec la période hivernale, soient sous-estimées dans la mesure où elles concerneront des équipements théoriquement parvenus à la fin de leur durée d'exploitation initialement prévue (40 ans). Plus longues, elles risqueraient de chevaucher la période hivernale et imposer de recourir à des moyens thermiques pour garantir la sécurité d'approvisionnement.

« Surtout, martèle Yves Marignac, la question n'est pas l'évolution des émissions à 10 ans, mais l'élaboration d'une trajectoire de neutralité carbone. Et le choix de ces scénarios retarde la mise en œuvre d'une transformation du système.»

Des hypothèses d'exportations risquées

Mais l'aspect le plus sujet à caution aux yeux des associations concerne le poids des exportations. En effet, les deux scénarios privilégiés par le gouvernement tablent sur une multiplication par 2,5 des exportations d'électricité vers les pays voisins, jusqu'à des niveaux compris entre 134 à 159 térawattheures. Aujourd'hui, la consommation annuelle en électricité des Français est à peine supérieure à 450 térawattheures et au cours des dernières décennies, la France a exporté en moyenne quelque 60 TWh par an (39 TWh en 2016).

Surtout, un tel niveau d'exportations suppose que la France produise une énergie moins chère que celle de ses voisins et que ces derniers aient envie de la lui acheter. Ce dont doute fort Yves Marignac:

« Cette hausse des exportations n'est pas compatible avec les objectifs et les stratégies affichés par nos voisins. Aucun d'entre eux ne se projette dans un scénario où il dépend du bon fonctionnement du parc français pour son approvisionnement électrique ! »

Au lieu d'envisager le remplacement du nucléaire par les énergies renouvelables, les acteurs de la filière proposent d'additionner les deuxMais si les prévisions d'exportations ne se réalisent pas et si les moyens manquent pour investir dans les deux secteurs, les ONG redoutent que la priorité soit donnée au prolongement du parc nucléaire au détriment des énergies renouvelables.

Un débat public se déroulera de mi-février à mi-avril environ, pour déboucher sur un rapport en juin, suivi du dépôt d'un projet de PPE par la DGEC fin juin/début juillet. Celui-ci sera ensuite soumis à consultation auprès de diverses instances : CNTE (Comité national de la transition énergétique), CESE (Conseil économique, social et environnemental), Autorité environnementale, comité d'experts, etc. La publication du décret final de la PPE est prévue en janvier 2019 au plus tard.