Transition énergétique : un enjeu majeur pour les acteurs historiques

Une étude publiée par un institut américain met en évidence un lien entre la santé financière des entreprises de l’énergie et la façon dont elles abordent la transition vers un monde décarboné. Ses auteurs ont étudié 11 entreprises dans le monde, dont l'énergéticien français Engie.
Dominique Pialot
Les énergéticiens qui se sont convertis le plus tôt aux énergies propres sont en meilleure santé financière que les autres. (Photo : la centrale à charbon de Niederaussem de l'énergéticien allemand RWE, en 2016)

Comme en témoigne le dernier rapport de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) paru ce 4 octobre, il faut désormais compter avec les énergies renouvelables. Et ce, d'autant plus, souligne une étude de l'institut américain IEEFA (Institute for Energy Economics and Financial Analysis) parue ce même jour, que leur potentiel de désorganisation des marchés de l'électricité est sans commune mesure avec leur part dans la capacité de production installée. De plus en plus compétitives, elles bénéficient d'un coût marginal nul qui leur permet de grignoter petit à petit le taux d'utilisation des centrales thermiques, au point de menacer leur rentabilité, surtout sur les marchés où la demande en électricité stagne ou décline.

Quand les renouvelables menacent le royaume des énergies fossiles

Les auteurs de l'étude citent le cas du Texas. Au royaume des énergies fossiles, qui est en outre l'un des principaux marchés électriques du continent, le développement rapide du solaire et de l'éolien met peu à peu les centrales à charbon au chômage technique.

En Europe, les mêmes causes ont conduit à une baisse des prix sur les marchés de gros de l'électricité qui, de 80 euros le mégawhattheure (MWh) en 2008, évoluent aujourd'hui entre 30 et 50 euros/MWh.

Pour illustrer la violence des conséquences sur les marchés de l'électricité de l'effondrement des coûts des renouvelables, les auteurs se réfèrent aux exemples allemands, E.ON et RWE, qui ont tous deux choisi de se scinder en deux, afin de séparer les énergies nouvelles des énergies conventionnelles.

Les fruits d'une conversion précoce aux énergies vertes

Citant Standard & Poor's, l'étude rappelle les avantages dont bénéficient les opérateurs d'énergies renouvelables, notamment accroître leur capacité de production en les agrandissant ou en les rénovant, et jouer sur la complémentarité de leur portefeuille, le plus souvent composé de plusieurs technologies. Celles qui se sont positionnées le plus tôt ont pu en outre bénéficier de mesures particulièrement incitatives, telles que les tarifs de rachat particulièrement avantageux des premières années. Enfin, toujours d'après S&P, les entreprises ayant entrepris de mettre plus de vert dans leur portefeuille bénéficieraient de conditions de prêt plus intéressantes.

Pourtant, même si l'on a observé récemment une multiplication des acquisitions dans le secteur, les énergéticiens conventionnels ont longtemps considéré les renouvelables avec condescendance. A en croire l'IEFFA, ils ont de quoi le regretter. L'institut met en effet en évidence le lien entre la santé financière de ces entreprises et le sérieux et la précocité avec lesquels ils ont pris la mesure de la révolution qui se préparait.

150 milliards d'actifs dépréciés en Europe entre 2010 et 2016

IEEFA distingue deux excellents élèves : l'Italien Enel, dont 50% de la capacité de production est d'ores et déjà composée d'énergies renouvelables, vise une production totalement décarbonée. L'Américain NextEra est le plus gros producteur éolien du pays et possède également des fermes solaires en Floride et en Arizona. A l'inverse, le sud Africain Eskom est à leurs yeux coupable d'avoir raté le virage de la transition énergétique mais aussi de ne satisfaire ni ses clients ni ses actionnaires.

En Asie, la situation de Tepco, englué dans les retombées de la catastrophe nucléaire de Fukushima, s'oppose à cette d'AGL, un Australien initialement positionné exclusivement sur le charbon mais qui a pris le virage des renouvelables.

Les auteurs rappellent que l'Agence internationale de l'énergie a estimé à 150 milliards de dollars les dépréciations d'actifs enregistrées par les énergéticiens européens entre 2010 et 2016.

Conversion tardive mais résolue d'Engie

Concernant Engie, dont l'étude rappelle l'endettement, les auteurs saluent son orientation, tardive mais résolue, vers les énergies vertes.

Certes, des investissements relativement récents dans les énergies fossiles (acquisition d'International Power en 2012) et des dépréciations d'actifs fossiles ou nucléaires pour un total de 33 milliards d'euros de 2010 à 2016 ont plombé ses comptes et fait dévisser le cours de Bourse.

Mais le plan de transformation sur trois ans annoncé début 2016 tranche avec les années précédentes. Il s'est d'ores et déjà traduit par la vente d'actifs fossiles aux Etats-Unis, en Inde et en Indonésie, la fermeture emblématique de la centrale australienne d'Hazelwood, la mise en vente des actifs d'Engie Brasil et l'abandon de ses projets en Afrique du Sud et en Turquie. Le groupe s'est également désengagé de ses projets nucléaires en Angleterre et de sa participation dans Westinghouse.

Dans le même temps, les projets éoliens, solaires et même géothermiques se multiplient un peu partout, notamment en Inde grâce au rachat en 2015 de Solaire Direct, bien implantée dans le sous-continent. La prise de participation de 30% dans le Chinois Unisun en avril dernier ou l'acquisition de EV-Box, leader européen des bornes des recharge pour véhicules électriques, sont d'autres signes démontrant que la transition est engagée.

Le cours de Bourse comme témoin

D'ailleurs, IEEFA ne manque pas de souligner que les résultats semestriels d'Engie reflètent l'avancement de son plan de transformation, avec un chiffre d'affaires et un bénéfice en hausse de respectivement 1,6% et 3,5%.

Sur la base des entreprises qu'ils ont étudiées, les chercheurs ont calculé que depuis 2007, la valeur boursière globale des principales entreprises de l'énergie avait fondu de 67%. Dans le même temps, celles cumulées de l'Italien Enel et l'Américain NextEra et de l'Australien AGL qui y est venu plus tardivement mais avec conviction, a bondi de près de 30%. De quoi rallier de nouveaux adeptes...

Dominique Pialot

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Commentaires 7
à écrit le 10/10/2017 à 14:55
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Les entreprises se jetent sur les ENR comme les réseaux parce que ce sont des actifs régulés, souvent subventionnés, dont les revenus sont réguliés et à peu près garantis. À l'inverse, dans les conditions de réglementations actuelles, les énergies...

à écrit le 08/10/2017 à 13:08
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Quand on veut, on peut. L'arrivée de nouveaux opérateurs d’énergie tels le groupe Total, va certainement changer la donne et motiver les groupes historiques. Non pas qu'il arrive avec des technologies révolutionnaires, mais vu ses capacités financiè...

à écrit le 08/10/2017 à 11:32
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Les opérateurs gagnent de moins en moins d'argent avec le gaz, le charbon et le nucléaire face aux renouvelables dont les prix ne cessent de baisser car ce sont des production en multi-séries dont en plus les rendements s'améliorent avec les progrès ...

à écrit le 05/10/2017 à 12:23
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Si certains acteurs de l’énergie réussissent mieux que d’autres dans la transition énergétique en faisant du profit tant mieux, mais avec cela beaucoup de problèmes ne seront toujours pas réglés. Qu’il y ait des dépréciations d’actifs dans le domai...

à écrit le 05/10/2017 à 9:58
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Une bulle alimentée par les subventions.

à écrit le 05/10/2017 à 9:07
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L'énergie canal historique a toujours été un enjeu majeur pour les actionnaires milliardaires qui se sont beaucoup battus pour se les accaparer, allant jusqu'à générer des conflits en afrique et en amérique du sud, ils ont investi des milliers de mil...

à écrit le 05/10/2017 à 8:48
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Pas d'accord avec l'auteur.Le monde et le marché de l'énergie est juste un peu plus complexe que la vision simpliste d'un marché qui puisse être satisfait par les énergies renouvelables. Par contre les entreprises doivent prendre en compte les souhai...

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