L'extraction de lithium : une technique gourmande en énergie et en eau

Par latribune.fr  |   |  1234  mots
Bien que des alternatives apparaissent, le lithium est actuellement obtenu soit à partir de mines de roche, soit par évaporation de saumure. (Crédits : Reuters)
D'ici à cinq ans, la France va mettre en exploitation sur son sol, dans l'Allier, une des plus grandes mines de lithium européennes. Sa production permettra d'équiper les batteries de 700.000 véhicules électriques par an. L'exploitant Imerys a annoncé que le gisement adopterait comme procédé d'extraction le standard international IRMA, en cours d'élaboration, qui vise à réduire les rejets toxiques et à minimiser la consommation d'eau. Car les méthodes actuellement utilisées dans le monde, très énergivores et grandes consommatrices d'eau, sont vivement dénoncées par les ONG environnementales.

Il est surnommé « le pétrole du 21e siècle ». Le lithium est un élément clé dans la fabrication des batteries des voitures électriques, censées être les seuls véhicules neufs à pouvoir être vendus dans l'Union européenne à partir de 2035.

L'annonce, hier lundi 24 octobre, du groupe de minéraux industriels Imerys de mettre en exploitation en France un des plus grands gisements européens de ce métal sur le site de Beauvoir, dans l'Allier, d'ici 2027 a fait grand bruit. Car le lithium, métal alcalin inflammable et même explosif lorsqu'il est exposé à l'air et à l'eau, n'existe pas à l'état natif dans la nature. On le retrouve dispersé aussi bien dans des roches, des terrains argileux que dans des saumures (mélange d'eau et de sels). Il faut donc passer par l'extraction et divers traitements chimiques pour obtenir le produit fini. Un procédé qui se révèle lent, énergivore et qui nécessite de très grandes quantités d'eau, ressource de plus en plus rare.

Imerys se veut rassurant sur la méthode choisie. Selon l'entreprise, la mine adopterait un standard international en cours d'élaboration, IRMA (Initiative for Responsible Mining Assurance), qui vise à réduire les rejets toxiques et à minimiser la consommation d'eau. En outre, l'exploitation se fera en souterrain, ce qui minimisera les rejets de poussières. Le transport du minerai brut extrait se fera par canalisation et voie ferrée pour éviter les camions entre la mine et le site de transformation industrielle. Quant aux émissions générées par l'exploitation, le groupe les estime à 8 kilos de C02 par tonne de lithium, contre 16 à 20 kilos en Australie et Chine, selon lui. Des arguments qui ne font pas l'unanimité.

« Il faut arrêter avec le mythe de la mine propre ! Tout ça c'est de la communication et du flan. On ne sait pas extraire de la matière du sous-sol de façon propre car, une mine, ça implique toujours à côté une grosse usine chimique de transformation, ce qui entraîne une exploitation, et à terme une pollution, de l'eau et des quantités importantes de déchets qu'on ne sait pas gérer », s'est insurgé Antoine Gatet, vice-président de France nature environnement (FNE).

Mines gourmandes en eau

Actuellement, bien que des alternatives apparaissent, le lithium est obtenu uniquement dans des mines de roche ou par évaporation de saumure. Extraire le lithium des roches est la technique utilisée, notamment en Australie, premier producteur au monde, et en Chine. Pour cela, il est nécessaire dans un premier temps de les broyer. De l'eau est ensuite ajoutée pour former une pâte qui sera placée dans un réservoir où de l'air insufflé permet de séparer le lithium de la roche.

Après filtration, la poudre de lithium obtenue est encore raffinée. Elle est ainsi chauffée à une température pouvant atteindre jusqu'à 1.000 degrés. Des produits chimiques et de l'eau sont ensuite ajoutés avant filtrage, peut-on lire dans un article de 2020 de la revue spécialisée Minerals Engineering.

Le processus, qui prend entre un et deux mois, est coûteux du fait de sa forte consommation énergétique. En outre, l'utilisation d'eau et de produits chimiques la rend peu respectueuse de l'environnement.

... et piscines dans le désert

Dans le "triangle du lithium", constitué par les déserts de sel d'Argentine, de Bolivie et du Chili qui abritent les plus grands gisements de lithium identifiés au monde, le métal se trouve dans la saumure, un mélange d'eau et de sels.

Pour l'extraire, il faut pomper la saumure des profondeurs puis la placer dans des bassins géants afin que l'eau s'évapore. Une fois les sels solidifiés, ils vont tomber au fond des piscines après « 12, 14 ou 16 mois » en fonction des conditions climatiques, explique à l'AFP Corrado Tore, hydrogéologue de l'entreprise chilienne de lithium SQM.

La solution aqueuse obtenue est ensuite transférée vers une autre usine, d'où sortira, après filtration et ajout de produits chimiques, du carbonate de lithium et, dans certains cas, de l'hydroxyde. Bien que moins onéreuse, cette méthode d'extraction est également lente et surtout consommatrice de grandes quantités d'eau.

Des méthodes d'exploitation plus écologiques en test

Des alternatives à l'extraction dans des mines ou par évaporation de saumure apparaissent néanmoins. Connues sous le nom d' « extraction directe », ces techniques, en cours de développement, pourraient accélérer la production de lithium et réduire son empreinte environnementale.

Parmi celles-ci, l'une envisage l'utilisation de procédés permettant d'extraire le métal de la saumure comme le ferait un « aimant ». Cela éviterait « une possible contamination et une consommation élevée d'eau », selon une étude de 2021 du laboratoire national des énergies renouvelables du ministère américain de l'Énergie. Affaire à suivre.

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ZOOM

En Amérique du Sud, l'extraction du lithium, entre espoirs et désillusions

Les piscines à ciel ouvert des mines de lithium d'Amérique du Sud contrastent avec les paysages arides environnants. Dans cette région aride du continent américain, aux confins du Chili, de l'Argentine et de la Bolivie (le « triangle du lithium »), le sous-sol recèle pas moins de 56% des 89 millions de tonnes de lithium identifiées au monde, selon un rapport de 2022 du Service géologique des États-Unis (USGS).

Différentes mines sont déjà exploitées et des dizaines de projets sont en cours, à différents stades de maturation avec la participation d'entreprises locales, mais aussi américaines, chinoises, françaises et sud-coréennes.

Mais l'extraction de lithium n'est pas sans conséquences pour l'environnement et, bien que les sociétés minières sont contraintes de verser des dédommagements conséquents aux communautés locales, ces dernières craignent pour leurs moyens de subsistance dans une région régulièrement frappée par la sécheresse.

Au Chili, SQM (une des deux entreprises autorisées à exploiter le désert d'Atacama d'où sont extraits 26% de la production mondiale) dit ainsi puiser en 2022 près de 400.000 litres d'eau par heure pour les besoins de son usine. Une inspection sur son site en 2013 avait révélé qu'un tiers des caroubiers, arbre rustique en raison de ses racines profondes, étaient morts, à cause du manque d'eau, a révélé ensuite une étude.

« Nous voulons savoir avec exactitude quel est l'impact réel du pompage d'eau des nappes phréatiques », demande Claudia Pérez, une habitante de la vallée de San Pedro, toute proche du site, disant ne pas être « contre » le lithium, mais souhaiter que « les effets négatifs » de son exploitation pour les populations locales soient « minimisés ».

 (Avec AFP)