
La France va-t-elle devenir une puissance minière ? L'annonce ce lundi d'un projet d'exploitation de lithium à Beauvoir (Allier) en Auvergne par l'entreprise française Imerys, premier producteur mondial de minéraux industriels, pourrait en être une première étape. « C'est un projet stratégique non seulement pour la France mais pour l'Europe. C'est un élément clé pour notre avenir industriel », affirme à la Tribune, Alessandro Dazza, le directeur exécutif d'Imerys.
Un gisement prometteur
Le site prévoit de produire annuellement 34.000 tonnes d'hydroxyde de carbone de lithium durant 25 ans à partir du kaolin. Un volume qui devrait permettre d'équiper en moyenne 700.000 véhicules électriques chaque année, à raison de 50 à 60 kg par batterie. « Nous nous sommes basés sur les études géologiques réalisées dans les années 1960 et 1980 par le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) pour l'évaluation des ressources de lithium aujourd'hui estimées à 1 million de tonnes. Mais le gisement qui s'enfonce en profondeur vers le sud contient beaucoup plus de lithium d'après les opérations de sondages en cours », assure Alessandro Dazza.
L'investissement prévu est de l'ordre de 1 milliard d'euros. A terme, il devrait générer dans la région Auvergne Rhône-Alpes près de 1.000 emplois directs et indirects. « La découverte géologique d'Imerys prouve que nous avons des gisements de métaux stratégiques en France commercialement viables. D'autres, identifiés dans le sous-sol hexagonal, n'attendent que l'exploration de géologues, notamment dans le titane, le tungstène, l'étain, l'antimoine, le cuivre... », plaide Didier Julienne, expert en marché des métaux, ancien responsable chez Norilsk Nickel.
Plusieurs municipalités intéressées
Le site de Beauvoir doit entrer en production en 2028, le temps de mener à bien les études techniques pour affiner les choix des processus d'extraction et de transformation du lithium qui devra répondre à des critères techniques, environnementaux et économiques exigeants. La construction d'une usine pour la dernière phase de transformation du métal est prévue dans le département. Plusieurs municipalités sont intéressées pour accueillir le site industriel, les discussions en cours devraient permettre de finaliser le choix dans les prochains mois.
Le défi du développement d'un secteur minier en France réside aussi dans son acceptabilité, les activités extractives étant critiquées par les mouvements écologistes pour leur impact négatif sur l'environnement. C'est d'ailleurs en raison de l'opposition de la population au projet du géant australo-britannique Rio Tinto que l'ouverture d'une mine de lithium en Serbie a été abandonnée par le gouvernement. « Localement, nous avons associé toutes les parties prenantes depuis le début du projet, notamment les élus. Nous avons conçu le projet pour qu'il ait le moins d'impact environnemental. Il faut s'engager à être transparents avec les gens, expliquer et montrer ce que l'on fait. C'est la clé pour que le projet aboutisse », explique Alessandro Dazza.
Une mine déjà existante
Imerys met en avant plusieurs arguments. Le premier est que la mine existe déjà sur un site d'une surface de 75 hectares. La majorité des opérations seront souterraines. La flotte d'engins fonctionnera à l'électricité et non au diesel. Le concentré issu de la mine sera acheminé mélangé à de l'eau (qui sera recyclée) par canalisation puis transporté par voie ferroviaire jusqu'à son site de transformation finale, situé dans le département. Une opération qui élimine le transport par voie routière. « L'empreinte carbone de notre production sera réduite de moitié par rapport à celle des producteurs australiens et chinois », se réjouit le directeur exécutif d'Imerys.
Ce projet répond également à la volonté du gouvernement de relancer une activité minière en France pour réduire la dépendance aux importations de métaux stratégiques, composant les batteries qui équipent les véhicules électriques, dont le marché va exploser avec la décarbonation des activités économiques. Le président Emmanuel Macron qui soutient fermement le développement d'une filière de véhicules électriques locale, pour relancer l'industrie et créer des emplois d'avenir, a récemment rappelé la nécessité d'une filière intégrée. « Nous avons des mines de lithium en France et nous allons les développer grâce au nouveau code minier ; c'est clé pour notre souveraineté », assurait-il dans un entretien au journal Les Echos, le 16 octobre, en référence au projet d'Imerys qui a reçu un coup de pouce des pouvoirs publics. « Mis à part un peu plus d'1 million d'euros pour les recherches de prospections, attribué dans le cadre de l'éligibilité du projet au Plan France 2030 du gouvernement, nous avons financé cette première phase sur nos fonds propres soit entre 20 et 30 millions d'euros », précise toutefois Alessandro Dazza.
Étape clé dans cette stratégie, le rapport Varin avait défini les critères d'une mine responsable dans le pays. L'une des recommandations était l'établissement d'une certification visant à devenir une référence à l'échelle internationale. Pour sa part, Imerys a déjà inscrit sa démarche dans «l'Initiative for responsible mining assurance» (IRMA), qui réunit au niveau mondial groupes miniers, entreprises consommatrices et ONG. Il sera le premier groupe européen à l'adopter. « C'est un projet exceptionnel à l'échelle européenne, qui démontre que la France peut être un pays producteur minier », renchérit Alessandro Dazza, le directeur exécutif d'Imerys
De la dépendance aux hydrocarbures à celle des métaux
Car avec la transition énergétique, le risque est de passer d'une dépendance aux hydrocarbures à celle de métaux comme le cuivre, le nickel, le cobalt ou le lithium, ou des terres rares. Aujourd'hui, la production minière est concentrée dans quelques pays, et sa transformation dépend fortement des capacités de raffinerie de la Chine.
Le marché le plus tendu est celui du lithium. Il se négocie aujourd'hui autour de 75 euros le kilo. Le rééquilibrage entre l'offre et la demande est prévu pour 2030, avec un retour à un cours de 20 euros le kilo. Un niveau qui restera rentable pour Imerys qui évalue son coût de production entre 7 et 9 euros le kg. Or, cet optimisme n'est pas partagé par tous les experts. Dans un rapport publié en septembre, le BCG estimait qu'« au moins 24 % de la demande sera non pourvue à l'horizon 2035 ».
« En Europe, la demande de lithium pour les batteries à l'horizon 2030 sera de 600.000 tonnes. Tous les projets européens, s'ils arrivent à être mis en production, devraient atteindre 250.000 à 300.000 tonnes au maximum. Avec notre production de 34.000 tonnes et si le projet Rio Tinto n'aboutit pas, Imerys sera le premier producteur de lithium minier en Europe », explique Alessandro Dazza.
Quant aux clients potentiels, « je m'attends à ce que mon téléphone se mette à beaucoup sonner dans les prochains jours. Tous les constructeurs automobiles et les producteurs de batteries devraient être intéressés », prévoit le directeur exécutif d'Imerys.
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