Danger pour la transition énergétique : indispensable, le lithium pourrait manquer

En raison de l'augmentation de la production de véhicules électriques à travers le monde, la demande de lithium, composant essentiel du modèle de batterie le plus répandu : lithium-ion, explose. Or la production de ce métal peine à suivre. Le risque est qu'il devienne un enjeu de plus en plus politique dans la concurrence que se livrent les pays pour produire localement les batteries pour les véhicules électriques, une opportunité pour eux de se réindustrialiser tout en menant leur transition énergétique.
Robert Jules
Vue aérienne du site d'exploitation de lithium de Soquimich dans le désert d'Atacama au Chili.
Vue aérienne du site d'exploitation de lithium de Soquimich dans le désert d'Atacama au Chili. (Crédits : Reuters)

Et si la crise énergétique que traverse aujourd'hui l'Europe n'était qu'un avant-goût de ce que va être la transition énergétique ? Passer de la dépendance aux hydrocarbures à celle des métaux stratégiques pourrait en effet s'avérer plus difficile que prévu. Ainsi, l'offre de lithium, utilisé principalement dans la composition des batteries (lithium-ion) pour véhicules électriques, « devrait être inférieure d'environ 4 % à la demande projetée en 2030 et de 24% en 2035 », soit respectivement de 100.000 tonnes et 1,1 million de tonnes (voir graphique), « même en supposant que tous les nouveaux projets d'extraction de lithium que l'industrie considère actuellement comme probables ou possibles entrent en service, ainsi qu'une expansion significative des projets de recyclage du lithium », préviennent les experts du Boston Consulting Group (BCG), dans leur rapport intitulé  « The Lithium Supply Crunch Doesn't Have to Stall Electric Cars ».

Lithium

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Les situations de pénuries exacerbent les compétitions plutôt que la coopération, comme on a pu le voir avec les masques ou les vaccins durant la pandémie du Covid-19 ou encore avec le gaz russe, dans un premier temps, entre pays européens.

« Cette pénurie imminente d'approvisionnement, si elle n'est pas résolue par une action coordonnée, pourrait retarder considérablement la transition des combustibles fossiles vers les énergies renouvelables et la lutte mondiale contre le changement climatique », mettent en garde les experts du BCG.

Comme le lithium est devenu aujourd'hui un métal stratégique, « cela va conduire aux interventions des gouvernements dans sa production et son approvisionnement », considère un rapport récent sur le métal publié par le cabinet d'analyse des marchés Fitch Solutions. Il prévoit pour sa part que la production va être multipliée par trois d'ici 2031, soit une hausse moyenne annuelle de 13,6%. L'Australie, le premier producteur mondial, devrait tripler sa production sur cette période, et devrait représenter une part de 35% du marché mondial. Le Chili et la Chine devraient chacun doubler leur production sur ces 10 années tandis que le Brésil va tripler la sienne, beaucoup plus modeste aujourd'hui. Quant à l'Argentine, elle devrait sextupler sa production actuelle.

129 nouveaux projets d'exploitation minière

Pas moins de 129 projets de sites exploitant du lithium ont été identifiés par Fitch Solutions dont 25 pour le seul Canada (voir graphique). Sur ces 129 opérations, 105 relèvent plutôt de sociétés minières « juniors ». « C'est problématique car la faible présence de grands acteurs miniers pose des risques pour l'exécution des projets actuellement prévus et jette un doute sur la capacité à mener ces projets à long terme pour le lithium », estime Fitch Solutions.

projets lithium

Parallèlement, la demande mondiale va tripler d'ici 2031, principalement par l'envol des ventes de véhicules électriques qui devraient passer de 11,4 millions à 30,3 millions d'unités. Les batteries qui équipent les véhicules électriques représenteront à elles seules 80% de la demande de lithium contre 40 à 45 % aujourd'hui. Ce développement bénéficie du soutien public. En Europe, outre les dispositifs décidés par chaque Etat-membre, le plan NextGenerationEU visait déjà à favoriser la transition énergétique avant la crise énergétique accentuée par la fin de la dépendance aux hydrocarbures russes depuis le conflit en Ukraine. Les Etats-Unis veulent réduire leur dépendance à certaines chaînes d'approvisionnement largement dominées par la Chine. Au-delà, il s'agit des deux côtés de l'Atlantique de capter les bénéfices de la transition énergétique en décarbonant les économies tout en créant de nouvelles filières industrielles pourvoyeuses d'emplois.

La Chine, leader de la production de batteries

Cette compétition va réorganiser les chaînes d'approvisionnement. « Le lieu de production de batteries influencera la demande géographique du lithium », souligne ainsi le rapport de Fitch Solutions. Si la Chine va rester le premier fabricant mondial de batteries sur les 10 prochaines années, avec 80% des capacités de production, d'autres pays producteurs vont monter en puissance comme le Japon, la Corée du sud, les Etats-Unis ou encore la Hongrie. De nouveaux entrants devraient percer rapidement sur ce marché, comme l'Allemagne, la Pologne, la Suède, la France, le Royaume Uni, la Thaïlande et l'Indonésie. Pour sécuriser les besoins en lithium de ces pays,  « l'Australie et le Canada seront probablement les principaux bénéficiaires en raison de leurs liens avec les Etats-Unis, leur capacité à produire des volumes importants de lithium, un environnement favorable à l'activité minière et des efforts politiques concertés pour renforcer les liens dans la production de batteries avec des partenaires sur les marchés hors de Chine », juge le rapport de Fitch Solutions.

Aux États-Unis, un volet du plan Biden sur la réduction de l'inflation (Inflation Reduction Act) d'un montant de 370 milliards de dollars est consacré au développement de la filière d'un production des batteries et à la sécurisation de la chaîne d'approvisionnement. Parallèlement, l'Etat fédéral prévoit des incitations financières allant jusqu'à 7.500 dollars pour l'achat d'un véhicule électrique s'il contient une batterie assemblée aux États-Unis, au Canada ou au Mexique, avec une part de métaux critiques en provenance de pays qui ont des accords de libre-échange avec les États-Unis.

Vers une filière de plus en plus intégrée

De ce côté-ci de l'Atlantique, l'Union européenne a constitué l'Alliance européenne des batteries, financée par la Commission européenne, qui comprend des mesures pour sécuriser le lithium et d'autres métaux essentiels à la transition énergétique. Ce type de soutien est aussi adopté par les économies émergentes. L'Inde, également, a décidé de n'approuver et de n'accorder des incitations financières qu'aux projets de production de batteries qui intègrent une part de composants produits localement.

Cette concurrence est également exacerbée par les pays producteurs de métaux. Disposant des mines, ils veulent développer des filières intégrées avec des segments de transformation à plus forte valeur ajoutée. Dans la répartition de la chaîne de valeur des batteries lithium-ion, l'extraction, le traitement primaire et le raffinage du lithium représentent 25 à 30 %, la fabrication d'anodes, de cathodes et d'électrolytes 20% à 25 %, et la production de piles et de batteries assemblées 45 à 50 %, selon le BCG.

Par exemple, en Indonésie, un consortium d'entreprises d'État, dont une société minière qui dispose d'une part importante des réserves de nickel du pays, a signé un protocole d'accord avec le géant de la fabrication de batteries, le sud-coréen LG Energy Solution, pour investir 9 milliards de dollars pour raffiner le métal et fabriquer des cathodes et des piles. Jakarta a également signé un protocole d'entente avec la société chinoise Contemporary Amperex Technology (CATL) qui, avec deux entreprises locales, vont développer un projet intégré de production de batteries pour un montant de 6 milliards de dollars. Pour sa part, en mars, LG Energy Solution a signé avec Stellantis un accord de production de batteries au Canada pour plus de 4 milliards de dollars.

Cette concurrence se retrouve également chez les industriels, en particulier des équipementiers automobiles, pour sécuriser leurs approvisionnements. L'américain Tesla a signé un accord de trois ans avec le chinois Ganfeng, l'un des premiers producteurs mondiaux de composés de lithium. Volkswagen cherche à créer un véritable écosystème de fournisseurs, de l'extraction du lithium à l'assemblage des batteries en Espagne. Le constructeur allemand a aussi signé un accord avec l'entreprise germano-australienne Vulcan Energy Resources pour extraire du lithium dans la vallée du Haut-Rhin en Allemagne. Renault et Stellantis vont également être approvisionnés en lithium par Vulcan. L'américain Ford va acheter annuellement 25.000 tonnes de lithium extraites d'une site en Argentine, exploité par la compagnie minière australienne Lake Resources.

Le secteur du raffinage encore plus concentré

L'activité de raffinage est encore plus concentrée. Le dernier Chili exporte 66 % de l'approvisionnement mondial en carbonate de lithium, qu'il extrait de la saumure d'eau salée évaporée. La Chine produit la majeure partie du reste en utilisant une méthode différente : le raffinage du carbonate de lithium à partir de minerai de spodumène, provenant principalement d'Australie. La Chine représente plus de la moitié des exportations mondiales d'hydroxyde de lithium.

L'application de normes environnementales plus restrictives va également aiguiser la  concurrence entre pays pour aller vers une production décarbonée tout au long de la chaîne. « L'exploitation minière conventionnelle du lithium peut poser un certain nombre de risques environnementaux, tels que la contamination du sol et des eaux souterraines. Les technologies et procédés actuellement utilisés dans l'extraction du lithium nécessitent de grandes quantités d'eau, un sérieux inconvénient dans les régions arides », souligne le BCG. Plusieurs projets miniers se sont heurtés à une opposition de la population au Portugal, en Serbie et aux États-Unis, et l'exploitation est très contestée, par exemple en Espagne. De son côté, la Commission européenne pourrait classer le lithium comme un produit toxique, rendant le développement d'une activité minière en Europe plus délicat. Cette "green premium" pourrait réduire l'offre. Et même si d'autres modèles de batteries qui n'utilisent pas de lithium sont en train d'être élaborés et pourraient demain devenir des produits de substitution, « à court terme, aucun de ces modèles ne peut offrir la combinaison de coût, de poids et de densité d'énergie des batteries lithium-ion », indique le BCG.

Des prix élevés

Les tensions sur le marché du lithium se reflètent dans les prix du minéral. « Nous prévoyons que les prix du carbonate et de l'hydroxyde resteront à des multiples de leur niveau d'avant Covid en termes réels jusqu'à 2025, où ils reflueront tout en restant élevés », prévient Fitch Solutions qui estime que « en Chine (le marché de référence), le prix du carbonate de lithium devrait s'élever à 68.000 dollars la tonne en moyenne en 2022 et 55.000 dollars en 2023. Celui de l'hydroxyde de lithium devrait s'afficher en moyenne à 67.000 dollars la tonne en 2022 et 56.000 dollars en 2023 ». Par rapport à avant la pandémie, les prix ont progressé de plus de 500%.

Robert Jules
Commentaires 15
à écrit le 09/09/2022 à 14:41
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Il faut lire "Terres rares" de Jean Tuan chez C.L.C. Éditions. L'auteur sous forme de fiction dévoile la réalité des coups tordus de la Chine qui en échange des minéraux rares dont elle dispose en quantité s'accapare les ressources essentielles d'un...

le 09/09/2022 à 15:56
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merci pour ce conseil de lecture

à écrit le 09/09/2022 à 10:36
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Dans les collines reculées de Barroso au nord du Portugal, Paulo Pires s'inquiète pour son troupeau et son travail. Ses pâturages sont menacés de disparaître pour laisser la place à une mine de lithium.Ces montagnes renferment l'une des solutions per...

à écrit le 09/09/2022 à 10:19
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Plutôt que d'imposer les voitures électriques, extrêmement polluantes à produire, il faudrait mieux promouvoir des voitures petites (type citadines Clio, 208, Polo) avec des petits moteurs et du biocarburant.

à écrit le 09/09/2022 à 7:40
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la transition écologique est morte, nulle et non avenue, vive la décroissance, seule solution responsable et pérenne.

le 09/09/2022 à 15:14
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Je ne suis pas en désaccord avec vous. Mais sommes nous prêt à accepter la décroissance ? La décroissance, c'est la croissance négative. Donc il faut que chaque année, les budgets diminuent. Par exemple, il faut que le budget de l'État diminue chaque...

à écrit le 08/09/2022 à 22:36
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La pénurie prévisible du lithium a été bien analysé dans mes deux rapports “The Trouble with Lithium” (Le trouble avec lithium) en 2007 et 2008. Ce qui a provoqué la colère de l'industrie minère bien sûr. Depuis, la production du lithium a augmenté p...

le 09/09/2022 à 9:57
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oui ou l' hydrogène...faut pas faire les mêmes erreurs que dans le passé ou on dépend d un seule ressource selon le secteur: pétrole, gaz etc...faut un mix qui permettent selon les aléas politiques et économiques une souplesse d action ...faute de qu...

à écrit le 08/09/2022 à 21:54
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Inutile de rédiger de longs articles sur le sujet du lithium, nous savons déjà depuis un colloque récent, 2 ou 3 mois tout au plus, qu'après avoir électrifié seulement 30% du parc automobile mondial (en supposant que l'on y parvienne) eh bien il ne r...

à écrit le 08/09/2022 à 20:01
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Pour les jeunes diplômés ,bien parler Anglais et partir de l'Europe . Je me trompe peut être mais à part payer les 40 ans de dépenses idiotes et injustifiées de vieux tromblons technocrates ,l'Europe n'a plus la capacité d'être un moteur .L'Europe ...

à écrit le 08/09/2022 à 18:22
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Il existe d'autres technologies sans lithium pour construire des batteries qui ne s'enflamment pas et de densité supérieure. Quoi qu'il en soit la voiture électrique ne sera qu'une transition en attendant (pour plus tard) l'hydrogène.

le 09/09/2022 à 20:59
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La physique-chimie c'est pas votre dada n'est il pas ? L'hydrogène est un non sens, ne pas le comprendre est grave. L'hydrogène il faut le fabriquer. Pour le fabriquer il faut de l'énergie. Ainsi pour produire un bol d'hydrogène, qui produira en rend...

à écrit le 08/09/2022 à 17:03
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Les économistes vous diront que si on en manque, c'est qu'on ne le paie pas assez cher.

à écrit le 08/09/2022 à 14:38
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C'est vraiment l'année des découvertes. On découvre que les métaux sont des matières premières précieuses, non remplaçables, et grossièrement sous-évaluées les années passées. En Europe c'est assez mal vu de travailler dans le secteur minier, c'est "...

le 08/09/2022 à 15:33
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Excellente analyse. Comme l'Europe ne dispose pas de Lithium elle être dépendante une fois de plus de producteurs étrangers, la voiture électrique made in Europe coûtera cher et sera contrainte de délocaliser. On va bientôt regretter ce choix débil...

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