Alu, cuivre, lithium... les immenses besoins en métaux de l'UE pourraient ruiner ses objectifs climat et de souveraineté

Pour réaliser sa transition énergétique et atteindre ses objectifs de lutte contre le réchauffement climatique, l'Union européenne va devoir importer des quantités énormes de métaux, non ferreux notamment. Une situation paradoxale dont les conséquences ont été étudiées par l'Université catholique de Louvain dont le rapport de plus de 100 pages fait froid dans le dos: les pays de l'UE n'auraient que deux ans devant eux pour se mettre d'accord sur une stratégie claire et cohérente pour sécuriser leurs approvisionnements en métaux stratégiques. Au-delà de ce délai, le risque est réel de rater les objectifs à la fois de sécurité énergétique et... de transition écologique.
Roue excavatrice à la mine de cuivre de Radomiro Tomic au Chili, près de la mine de Chuquicamata, exploitée par Codelco (Corporación Nacional del Cobre) compagnie étatique chilienne et premier producteur mondial de cuivre, à environ 1.650 km au nord de Santiago, le 5 janvier 2010.
Roue excavatrice à la mine de cuivre de Radomiro Tomic au Chili, près de la mine de Chuquicamata, exploitée par Codelco (Corporación Nacional del Cobre) compagnie étatique chilienne et premier producteur mondial de cuivre, à environ 1.650 km au nord de Santiago, le 5 janvier 2010. (Crédits : Reuters)

Dans son impérieuse nécessité de réaliser sa transition écologique, l'Union européenne passe en mode état d'alerte. Ce changement de modèle se base sur deux composantes essentielles dont on sait désormais qu'elles sont totalement intriquées : objectifs climat nécessitant la décarbonation de son économie et sécurité énergétique. Et selon l'Université catholique de Louvain, les Vingt-Sept n'auraient que deux ans devant eux pour se mettre d'accord sur une stratégie claire et cohérente. Dans un rapport de plus de 100 pages, le centre de recherche mentionne ainsi en détail les défis visant à organiser les projets de sécurisation des approvisionnements en métaux stratégiques, le nerf de la guerre de la transition écologique.

Pour diagnostiquer un horizon temporel aussi court, qui revient à décréter un véritable état d'urgence, les chercheurs de l'Université belge ont procédé à une estimation inédite et chiffrée des besoins européens. Ce travail fondé sur l'étude des plans industriels prévus sur le continent (auto, batteries, hydrogène...) et commandité par Eurométaux (association des producteurs et recycleurs de métaux non ferreux en Europe), établit que, pour remplacer les hydrocarbures et atteindre la neutralité carbone en 2050, l'UE devra disposer à cette date de quantités faramineuses de métaux non ferreux indispensables pour fabriquer les équipements de demain (voitures électriques, rotors d'éoliennes, unités de stockage...)

Une soif inextinguible de métaux

Les chiffres donnent le tournis : il faudra 35 fois plus de lithium qu'aujourd'hui (800.000 tonnes par an), jusqu'à 26 fois plus de terres rares (3.000 tonnes annuelles de néodyme, dysprosium, praséodyme...), deux fois plus de nickel, une augmentation de +330% de cobalt... mais également +33% d'aluminium en plus (4,5 millions de tonnes annuelles), +35% de cuivre, +45% de silicium, de +10% à 15% de zinc...

Pour autant, les chercheurs laissent entrevoir qu'une grande partie (de 40% à 75%) de ces immenses besoins pourraient être en partie couverts, d'ici à 2050, par le recyclage. En effet, les métaux sont réutilisables contrairement aux combustibles fossiles. Mais cette stratégie de recyclage ne serait possible qu'à condition que l'Europe investisse rapidement dans les infrastructures, relève ses taux de recyclage obligatoire et s'attaque aux futurs goulets d'étranglement. Aujourd'hui, 40% à 55% de l'aluminium, du cuivre et du zinc utilisés en Europe viennent déjà du recyclage. Et d'ici à 2050, les métaux recyclés localement pourraient équiper les trois quarts des batteries des véhicules faits en Europe, et tous les aimants des énergies renouvelables.

Mais ce chemin vers l'autosuffisance sera possiblement un chemin de croix pour l'Union européenne qui "s'expose à des manques critiques sur les 15 prochaines années faute de plus grandes quantités de métaux pour accompagner les débuts de son système énergétique décarboné", soulignent-ils. Ils ajoutent que "si les industries européennes ne sécurisent pas leurs approvisionnements (en lithium, cobalt, nickel, cuivre et terres rares) sur le long terme, elles risquent des ruptures ou des hausses de prix pouvant ralentir la transition énergétique".

Agir très vite pour éviter "de nouvelles dépendances"

Liesbet Grégoir, chercheuse à KU Leuven et auteure principale, tire la sonnette d'alarme non seulement sur le calendrier mais également sur  l'inaction de l'UE:

« L'Europe doit décider urgemment de la manière dont elle va combler son insuffisance d'approvisionnement en métaux de première transformation" car, "sans stratégie ferme, elle risque de nouvelles dépendances à l'égard de fournisseurs non durables. »

Et alors que l'Université de Louvain et Eurométaux rappellent l'alerte lancée au printemps 2021 par l'Agence internationale de l'énergie (AIE), qui invitait le monde à s'organiser pour ces ressources stratégiques, largement concentrées dans un petit nombre de pays, ils soulignent l'inaction des instances européennes qui, un an plus tard, n'a pas avancé suffisamment:

"Nous ne voyons (en Europe) ni l'adhésion générale ni les conditions qui permettraient au continent de construire ses propres chaînes d'approvisionnement. (...) Et le créneau pour agir se réduit : les projets doivent être développés ces deux prochaines années pour être prêts en 2030."

Dépendance extrême de l'UE aux importations de Russie et de Chine

Aujourd'hui, l'UE dépend des importations pour l'essentiel des métaux, par exemple de la Russie pour l'aluminium, le nickel ou le cuivre. Ces dix prochaines années, Chine et Indonésie vont dominer le boom des capacités de raffinage des métaux pour batteries, souligne le rapport, qui recommande que l'Europe se lie à des fournisseurs responsables, en matière sociale et environnementale.

Le territoire européen lui-même pourrait couvrir 5% à 55% de ses besoins de 2030, selon le rapport, qui relèvent cependant des incertitudes pesant sur de nombreux projets (oppositions locales, process non matures, etc.)

Il doit aussi ouvrir des raffineries et ce, malgré des défis, puisque la crise énergétique actuelle et la flambée des prix de l'électricité ont déjà conduit à fermer temporairement près de la moitié des capacités de raffinage d'aluminium et zinc en Europe.

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(*) Katholieke Universiteit Leuven, en français Université catholique de Louvain, est l'un des établissements universitaires les plus réputés d'Europe.

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