Le projet d'encadrement législatif des drives déchaîne les passions

Par Adeline Raynal  |   |  921  mots
La France compte actuellement environ 2.500 drives, soit davantage que d'hypermarchés.
Depuis trois ans, ces entrepôts qui permettent de récupérer des achats passés via Internet rencontrent un fulgurant succès. Souhaitant contrôler le développement de ces nouvelles plateformes, l'exécutif vient de présenter un projet de loi qui pourrait assimiler ces drives à des points de vente conventionnels. Entre aberration pour les uns et mesure bienvenue pour les autres... la Tribune fait le point.

Comparer les prix et les produits tranquillement sur Internet, remplir son panier virtuel et payer ses courses en ligne pour ensuite récupérer sa commande prête en fin de journée… c'est le concept des drives. Depuis l'ouverture du premier de ces entrepôts en 2004 à Marcq-en-Barœul (Nord) par Chronodrive, en partenariat avec Auchan, le principe a fait des émules. Aujourd'hui, la demande est au rendez-vous puisque la France compte désormais 2.500 drives, soit davantage que d'hypermarchés !

Un panier moyen doublé

Depuis quelques années, tous les grands distributeurs ont investi dans ce mode de commercialisation, soucieux de profiter de cette nouvelle source de croissance créée par Internet, dans un marché où le niveau de demande stagne. D'autant que les clients déclarent un panier moyen d'une valeur de 96,30 euros en drive contre 40 euros en hypermarché, d'après l'étude "Drive alimentaire : quels modèles économiques et marketing gagnants ?" réalisée en partenariat par CSA et Les Echos Etudes.

Résultat, les drives ont représenté un chiffre d'affaires de 2,2 milliards d'euros en 2012 et leurs recettes pour 2013 devraient être de 3,7 milliards d'euros, d'après l'estimation des spécialistes. La croissance est telle, qu'en 2015, ce mode de distribution pourrait représenter 6% du marché alimentaire et un chiffre d'affaires annuel de 5 milliards d'euros. 

Le projet de loi Duflot pourrait changer la donne

Pour l'instant, l'ouverture d'un drive n'est pas règlementée, il est simplement soumis à l'obtention d'un permis de construire… mais cela devrait changer.

Dans le cadre du projet de loi Duflot sur le logement et l'urbanisme, l'exécutif envisage de soumettre les drives à des règles en vigueur aux magasins traditionnels. L'implantation d'un drive serait conditionnée à l'obtention au préalable d'une autorisation de la commission départementale de laquelle il dépend, et ces entreprises seraient assujetties à la Tascom, la taxe sur les surfaces commerciales pour l'instant applicable uniquement aux commerces exploitant une surface de vente au détail de plus de 400 m², et réalisant un chiffre d'affaires hors taxe de plus de 460.000 euros. On comprend vite la levée de boucliers dont a fait l'objet ce projet de loi dès son annonce par la ministre du Commerce, Sylvia Pinel, le 19 juin dernier.

Les uns dénoncent une "distorsion de concurrence"...

"Il va y avoir une distorsion de concurrence" dénonce le Directeur général de Chronodrive Jean-Philippe Grabowski, qui a lancé sa PME dès 2004 avec l'appui du groupe Auchan. Il considère qu'aujourd'hui, le e-commerce ne doit pas être soumis aux mêmes règles que le commerce traditionnel, et ne voit pas pour quelle raison une exception l'État ferait une exception pour les produits alimentaires. Il dénonce carrément une atteinte à la libre concurrence, et déplore que le gouvernement "oublie d'encourager l'innovation et préfère légiférer sur des structures qui marchent" au risque "d'annuler les efforts fournis par de jeunes PME pure-player pour qui il est déjà difficile d'émerger".

Autre argument : celui de l'emploi. Selon lui, la règlementation risque de ralentir la création de nouveaux drives, alors que ceux-ci représentent une manne potentielle de création de 1.000 emplois par an chez Chronodrive. Il part du principe que dans les conditions actuelles, une quarantaine de points de livraison avec en moyenne 40 salariés chacun pourrait voir le jour en 2014.

"L'argument de la création d'emploi est à relativiser" tempère Olivier Dauvers, éditeur et spécialiste de la grande distribution. "C'est un jeu à somme nulle en termes d'emplois puisque la consommation n'augmente pas sensiblement, elle est juste répartie différemment et les besoin en main d'œuvre ne progressent pas vraiment au global" explique-t-il.

... quand les autres accusent de concurrence faite aux commerces de proximité

A l'opposé des dirigeants de drives, certains encouragent ouvertement l'encadrement législatif des drives. Des élus dénoncent en effet la multiplication de ces points de vente pour deux raisons : il serait un obstacle au dynamisme des centre-ville en concurrençant les petits commerces, et provoqueraient un encombrement du trafic routier en fin de journée dans des zones où ce n'est pas prévu par la planification territoriale de l'urbanisme. La maire UMP de Beauvais Caroline Cayeux avait d'ailleurs interpelé Sylvia Pinel en juin sur la pratique de drives qui, selon elle, "concurrence le commerce de proximité sans être soumis aux mêmes règles". Du côté du directeur général d'Auchan France, au contraire, ce projet de loi n'est "pas utile" dans le mesure où il considère que le drive "n'apparait pas en concurrence frontale avec d'autres commerces, dont il est plutôt complémentaire".

Une aubaine fiscale bienvenue pour l'Etat

Entre ces deux camps, l'Etat. Si l'exécutif semble sensible aux arguments avancés par Caroline Cayeux, la vrai raison qui le pousse à encourager l'émergence d'une législation est de toute évidence d'ordre fiscal. En effet, et c'est bien ce qui inquiète les patrons de drives, le versement de la Tascom représente une aubaine pour faire entrer de l'argent dans les caisses de l'État. Ce qui provoque l'ire des dirigeants de drives, qui revendiquent le fait que juridiquement, la vente se fait chez le client et donc que les drives ne sont pas des lieux de vente.

Le projet de loi pour l'accès au logement et à un urbanisme rénové (ALUR) a été présenté ce mardi 10 septembre à l'Assemblée nationale. Son examen devrait se poursuivre jusqu'à mardi prochain, date du vote solennel.