Lunettes chères : comment les opticiens contre-attaquent

Par Marina Torre  |   |  1146  mots
Face au projet de loi Hamon sur la consommation qui s'attaque notamment au marché des lunettes, les opticiens français organisent leur défense.
Benoît Hamon évalue à 1 milliard d’euros les économies réalisables grâce aux propositions d'amendements relatives à la vente d’optique en ligne. Pour se défendre, les opticiens classiques fustigent le web…pourtant ils s’y mettent eux aussi. Explications.

Dans le viseur, les opticiens français? Tandis que Marc Simoncini, le fondateur de Meetic, essaie de refaire le "coup de Free" en cassant le prix des lunettes, le gouvernement s'attèle à soutenir la vente d'optique en ligne. Pour Benoît Hamon, le ministre de la Consommation, les Français pourraient faire au moins un milliard d'euros d'économies grâce à la nouvelle législation.

Des réductions de " 30 à 40%" résulteraient d'un amendement du rapporteur Razzy Hammadi qui propose notamment d'obliger les ophtalmologues à indiquer sur leurs ordonnances la mesure des écarts entre les pupilles, ce qui aurait pour conséquences de faciliter les commandes de lunettes et de lentilles correctrices en ligne en les rendant plus "sûres".

Lunettes trop chères, le serpent de mer

Le but, là aussi, consiste à faire baisser le prix des lunettes. Un prix et plus globalement l'organisation d'un marché qui font l'objet de vives critiques depuis des mois que ce soit par l'association de défense des consommateurs UFC Que Choisir, par la Cour des Comptes ou bien sûr  par les vendeurs en ligne "pure-player" comme Sensee de Marc Simoncini.

Or, le problème n'est pas seulement économique. Car, si toutes les lunettes correctrices ne coûtent évidemment pas 470 euros - le chiffre retenu par les parlementaires comme étant celui du prix moyen d'une paire en France -, quelque 2 millions de Français renonceraient à s'équiper chaque année pour des raisons financières.  

Pourquoi les Français choisissent des lunettes chères

Dans ce contexte, les opticiens "classiques" - 11.000 en France en tout - tentent bien sûr de se défendre, d'abord sur le terrain de la communication. Depuis le mois de mars, lorsque Marc Simoncini a réveillé cette controverse en fustigeant "l'optique la plus chère d'Europe", les opticiens répètent le même type d'arguments.

Ils expliquent premièrement qu'en réalité si les prix sont apparemment si élevés c'est parce que contrairement à leurs voisins européens, les Français choisissent des lunettes avec de meilleures corrections, donc plus chères. Un choix d'autant plus facile à faire quand le niveau de remboursement pratiqué par certaines mutuelles laisse un reste à charge relativement faible pour chaque consommateur.

Ensuite, ils défendent un "service" à part qui justifierait l'existence des marges brutes très élevées. Ce faisant, ils restent discrets sur les millions dépensés en marketing. Celles-ci atteindraient 580 millions d'euros par an soit 60 euros par monture en moyenne, dont 6 euros seulement pour certains petits indépendants et bien plus pour les plus grosses enseignes selon l'UFC qui prend en compte les offres du type "deux paires pour le prix d'une". 

A leur ligne de défense, certains opticiens, ajoutent désormais de nouveaux arguments, directement liés au projet de loi. "Attribuer aux ophtalmologues le soin de mesurer l'écart pupillaire, permettra de sortir de la méthode auto-artisanale avec une carte bleue ou une règle qui font un peu peur au consommateur parce que ça fait amateur", argue Mathieu Escot chargé d'étude à l'UFC Que Choisir, qui soutient le projet du gouvernement.

Rester maître des mesures

Bien entendu, les opticiens tiennent à préserver cette activité qui justifie en partie l'existence de boutiques physiques. Philippe Peyrard, le patron d'Atol rétorque ainsi 

 "Les ophtalmologues, déjà peu nombreux et non formés pour cela, passent 6 à 7 minutes par patient, il faudrait rajouter 3 à 4 minutes pour mesurer cet écart et pour certain investir entre 800 et 1.000 euros dans de nouveaux appareils."

Incapable de mesurer un écart pupillaire les ophtalmos ? Stéphanie Dangre, qui dirige le groupe All, un réseau de 1900 opticiens indépendants tempère :

"Ils en sont capables bien sûr mais ce ne sont pas eux qui fabriquent les lunettes. Pour le confort il vaut mieux poser les lunettes sur le nez, effectuer des réglages etc…"

Brandir les menaces de délocalisations

A tout cela, certains ajoutent un argument macro-économique. Ils brandissent en effet les menaces pour l'emploi et les délocalisations. Le PDG de Krys, Jean-Pierre Champion déplore ainsi, en faisant référence aux économies évoquées par Benoît Hamon :

"On peut gagner un milliard à condition de détruire 5.000 emplois et de délocaliser 5 usines."

Un argument balayé à l'UFC où l'on rappelle que "depuis quinze les offres bas de gamme à 120 ou 150 euros pour les premier prix de lunettes avec verres progressifs sont entièrement réalisé à l'étranger". Chez les indépendants, Stéphanie Dangre pointe également le fait que les "lunettes le low-cost existent aussi en boutique, où au moins, des prises de mesures sont réalisées".

Ils sont déjà sur le web...

Et puisque le meilleur système de défense reste encore l'attaque, les opticiens se mettent de plus en plus… au web. Krys par exemple propose de choisir, commander et payer ses lunettes en ligne, en téléchargeant une ordonnance, puis d'aller récupérer ses lunettes en boutiques. 

"Les consommateurs peuvent faire leur comparaison en ligne, donc nous nous alignons" sur des prix affichés en moyenne deux fois moins élevés que dans les commerces classiques, assume Jean-Pierre Champion. Ce qui ne l'empêche pas de fustiger un "modèle économique [des pure-players] qui ne serait pas rentable.

Une analyse partagée par Philippe Peyrard, le patron d'Atol pour qui, les "pure players",

"ce sont surtout des financiers dont le modèle consiste à avoir un maximum de clients puis de revendre à des fonds pour faire un coup."

Chez Atol donc, pas question de se soumettre au système du "click and mortar", qui consiste à acheter en ligne et récupérer son produit en magasin. Cependant, même pour les plus réfractaires, le web a une utilité. De plus en plus, les pages internet des opticiens incluent des catalogues interactifs qui propose "d'essayer des lunettes virtuelles". Philippe Peyrard vante le sien :

 "Nous proposons une expérience d'avant vente où le consommateur peut essayer le produit de façon virtuelle, changer les branches, la forme, mais il faut se rendre en magasin pour un essayage complet".

L'expérience en question se conclue simplement sur la création d'un document avec un code de référence. Un système où il ne serait pas très compliqué, en cas de besoin de rajouter des prix et de permettre des transactions en ligne...

Des "Etats Généraux de l'optique"

"Nous n'avons pas peur de la concurrence à condition qu'elle soit saine (…) nous ne sommes pas contre internet à condition que ce soit utilisé intelligemment", conclue Stéphanie Dangre. En attendant que le système "commande en ligne" et "essayage en boutique", une sorte de "drive" des lunettes donc, se démocratise,  la représentante d'un groupe d'opticiens indépendants demande "des Etats Généraux de l'optique, pour que nos préoccupations sur la santé soient prises en compte".