Les médecins contestent le nouvel étiquetage nutritionnel de Carrefour

Par Giulietta Gamberini  |   |  824  mots
L'initiative unilatérale de Carrefour ne répond pas "à une démarche de santé publique en cohérence avec la dynamique actuellement proposée par le ministère de la Santé", dénoncent les signataires de la tribune.
Une tribune publiée lundi dans le Journal international de médecine dénonce le système d'étiquetage nutritionnel que la chaîne de distribution compte mettre en place avant le printemps 2015.

Comment aider les consommateurs à manger mieux, et contrer ainsi les risques de surpoids, obésité et maladies? C'est le coeur de la polémique qui oppose une partie de la communauté scientifique au géant de la grande distribution Carrefour.

Des conseils de fréquence d'utilisation

Le 24 septembre, le groupe français avait en effet annoncé la mise en place, entre fin 2014 et le printemps 2015, d'un système d'étiquetage nutritionnel sur ses propres produits. Ceux-ci seront notamment assortis d'un pictogramme en forme de pyramide inversée qui sera décliné en quatre couleurs différentes (vert, bleu, orange ou violet), chacune associée à une indication de fréquence d'utilisation: "trois fois par jour", "deux fois par jour", "une fois par jour" et "de temps en temps".

Une initiative à l'apparence louable, mais qui présente le défaut de ne pas répondre "à une démarche de santé publique en cohérence avec la dynamique actuellement proposée par le ministère de la Santé", dénoncent toutefois de nombreux scientifiques dans une tribune publiée lundi 13 octobre par le Journal international de médecine.

Risque de cacophonie

Principale critique formulée par les signataires: le système de Carrefour "est mis en place sans attendre le cadre d'un système unique officiel validé par les pouvoirs publics".

Pourtant, afin justement "d'éviter que chaque opérateur économique fixe ses propres seuils et la forme de son logo et attribue lui-même les notes à ses produits", un rapport contenant des "Propositions pour un nouvel élan de la politique nutritionnelle française", rédigé par le professeur Serge Hercberg, a été remis mardi 28 janvier à la ministre de la Santé. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a ensuite été saisie et devrait fixer d'ici le mois de novembre quatre seuils définissant 5 catégories de qualité nutritionnelle pour les aliments, comme préconisé dans ce rapport.

L'étiquetage informant sur la qualité nutritionnelle des aliments devrait d'ailleurs être l'une des mesures phares du projet de la loi de santé qui doit être présenté mercredi en Conseil des ministres.

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La catégorie "rouge" supprimée

Les signataires de la tribune dénoncent notamment l'abandon par Carrefour de l'une des cinq catégories proposées par le rapport Hercberg: le rouge, qui est pourtant utilisé dans d'autres pays.

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L'adoption de messages prescriptifs, tels que celui accompagnant la pizza au fromage "à consommer 1 fois par jour", est aussi dénoncé comme "indéfendable sur le plan scientifique" et "facteur de confusion majeur".

Quelle légitimité scientifique?

Globalement, la tribune s'alarme que "les seuils, la forme et les messages ont été fixés sans aucune validation scientifique concertée par des experts indépendants et des consommateurs".

Dans son communiqué de presse du 24 septembre, Carrefour affirmait toutefois que son étiquetage était le fruit d'une "collaboration avec un comité d'experts composé de professionnels de la santé et de chercheurs, tous spécialisés en nutrition et/ou en santé publique". Il précisait que "les produits sont évalués individuellement sur la base de leurs recettes, des habitudes de consommation, des données de santé publique, des repères du PNNS (Programme national nutrition santé: NDLR) et d'un score scientifique établi avec la méthodologie utilisée par l'OFCOM" -autorité indépendante britannique qui, précise Carrefour, "utilise la méthode développée par la Food standard agency  au Royaume Uni".

"Il n'y a pas de bons ou de mauvais produits"

"Chaque produit est évalué par les quatre experts du comité, qui déterminent ainsi sa fréquence de consommation, en se fondant justement sur les critères préconisés par le rapport Hercberg", explique encore le service de presse de Carrefour, interrogé par La Tribune. "Mais nous estimons que, dans le cadre d'une alimentation variée et équilibrée, il n'y a pas de bons ou de mauvais produits", indique-t-elle, répondant à la critique portant sur l'absence de la catégorie "rouge".

"Cela fait dix ans que l'ensemble des acteurs concernés insistent sur la nécessité d'un nouvel étiquetage nutritionnel. Pourtant, rien n'est fait. Carrefour a choisi de s'engager dans la voie du volontariat proposé par Marisol Touraine, et d'ainsi stimuler le débat", conclut le groupe.

24.000 signatures

Il n'empêche. Les scientifiques demandent à Carrefour de renoncer à son étiquetage propre. Ils incitent néanmoins les parlementaires à voter le principe "d'un étiquetage nutritionnel simplifié unique" et les pouvoirs publics à publier "dès maintenant le format de cet étiquetage correspondant au système de 5 couleurs s'appuyant sur les seuils fixés par l'ANSES".

Une pétition en ce sens sur internet, lancée par 33 associations, dont la Société française de santé publique, a recueilli à ce jour plus de 24.000 signatures, selon les organisateurs.