A qui profite vraiment l'ouverture des magasins le dimanche ?

Par Marina Torre  |   |  1184  mots
La consommation des ménages a reculé de 0,2% en France en 2014. Mais, leur moral reprendrait des couleurs en 2015.
Faire ses courses le dimanche ou un peu plus tard le soir ? Une large majorité de Français n’en a semble-t-il soit rien à faire, soit pas envie. En revanche, certaines enseignes y voient un intérêt : laisser plus de temps aux consommateurs dans l’espoir qu’ils se laissent aller à faire des achats d’impulsion.

Les Français retrouvent (un peu) d'optimisme. Mais la consommation qui a de nouveau baissé en 2014 repartira-t-elle pour autant à la hausse? L'extension des ouvertures des magasins le dimanche et le soir, défendue par Bercy est censée la soutenir. Seulement, un nouvel indicateur paru ce jeudi - une semaine avant la reprise des débats sur la loi Macron - remet partiellement en cause cette théorie.

2/3 des Français ne pensent pas que l'ouverture des magasins le dimanche faciliterait leurs achats

Il apparait en effet que sur plus de 3000 Français interrogés par TNS Sofres pour Cetelem dans le cadre de son observatoire annuel, les deux-tiers estiment qu'une ouverture dominicale plus importante des magasins ne faciliterait pas particulièrement leurs achats. Seuls un tiers pensent le contraire. Moins d'un sur quatre juge qu'ouvrir les magasins en soirée l'y aiderait.

Ces résultats relativisent de récents sondages parus sur le sujet, qui posent la question différemment puisque dans ces cas-là, il est demandé si les sondés sont favorable ou non à l'ouverture le dimanche ou le soir et non s'ils dépenseraient plus si c'était le cas. (voir enrichissements ci-dessous).

Les conclusions de l'Observatoire Cetelem semblent en revanche corrélées avec un autre constat, dressé celui-ci par l'Insee : en près de quarante ans, le nombre de Français qui font des courses le dimanche... a reculé !  Tous deux mettent plus largement en exergue la contraction du temps consacré aux loisirs, donc aux achats.

Globalement, d'après Cetelem, au cours des 5 dernières années, la majorité des Français et des Européens consacrent le même temps à leurs familles et à leurs loisirs. Mais pour 37% des Français, le temps consacré aux loisirs, aux voyages, celui où l'on consomme donc, a diminué. Celui dédié à la famille et aux proches a en revanche augmenté pour 24% des sondés. "En période de crise particulièrement, la famille est considérée comme un refuge. Le temps consacré à sa famille est sacré, on essaie de le préserver", explique Flavien Neuvy, responsable de cette étude.

Moins de temps à consacrer aux emplettes

Autres explications: des temps de trajets plus longs entre le domicile, le lieu de travail et les centre-ville ; une féminisation de la main d'œuvre ; une augmentation du nombre de familles monoparentales et recomposées ou encore des activités extra-scolaires pour les enfants. Lesquelles réduisent non seulement le budget alloué aux achats hors alimentaires tout en augmentant une fois de plus les temps de trajet. Pressés par le temps, "nous supportons beaucoup moins de passer du temps dans les magasins", affirme Flavien Neuvy.

Surtout, se produit depuis cinq ans, une évolution majeure qui "fausse" quelque peu le temps accordé aux courses au sens strict. Nous passons de plus en plus de temps à préparer ou réaliser nos achats depuis chez nous ou sur notre lieu de travail, via internet. Pour un tiers des Français, le temps passé en magasin a diminué au cours des cinq dernières années. Il est resté stable pour 60% et a augmenté pour 7%. Tandis que celui consacré aux achats sur internet a cru pour 43% des sondés (il est resté stable pour 39%, et a baissé pour 18%). Le "temps des courses" au sens large devrait aussi prendre en compte le temps passé en ligne.

Ces évolutions présentent une conséquence majeure: une fois bien renseignés, les clients pressés souhaitent que le temps passé dans les rayons des magasins soit optimisé. Mais s'ils disposaient pour cela d'une amplitude horaire plus large, s'ils pouvaient faire leurs emplettes le soir, ou le dimanche, comme le souhaite certaines enseignes, consommeraient-ils plus pour autant ? "Oui car si vous êtes moins stressé, pressé par le temps, vous avez plus le temps de flâner, donc éventuellement pour faire des achats d'impulsion", répond à la Tribune le responsable de cette étude. Il précise :

"On entend souvent dire que l'ouverture des magasins le dimanche n'aurait aucun impact sur la consommation car ce qui serait consommé le dimanche ne le serait pas le mercredi. C'est très difficile à évaluer. Aujourd'hui on sait que les consommateurs vont moins faire les magasins, que le taux d'épargne des ménages est important et qu'il y a beaucoup d'attentisme. Si des consommateurs sont dans un magasin avec des produits sous les yeux, ils ont plus de chances d'acheter que si les magasins ne sont pas ouverts. "

Quels moyens pour "se laisser aller"?

Encore faut-il en avoir les moyens. Or, en période de crise, les achats "coup de tête", ceux pour lesquels les enseignes déploient toute leur ingéniosité pour pousser à faire monter la note finale ont tendance à passer à la trappe.  Entre 2010 et 2013, la part de Français qui reconnaissent s'être laissés aller à faire un achat "coup de tête", sans y avoir réfléchi et sans vraiment en avoir besoin a reculé de 13 points d'après le centre de recherche pour l'étude et l'observation de la consommation (Crédoc).  Plus récemment encore, début 2015, le même organisme pointait le fait que, plus d'un Français sur trois choisit désormais de "ne plus consommer des produits de manière superflue. "

En 2008, déjà, lors d'un autre débat sur l'ouverture dominicale des magasins, une note de l'OFCE pointait le fait que " les budgets des consommateurs [ne sont] pas extensibles". Elle ajoutait :

"A la marge, il est possible que l'on vende un peu plus de livres ou de meubles, achetés impulsivement le dimanche, si les grandes surfaces spécialisées dans ces articles sont ouvertes."

Pour qu'une éventuelle hausse des amplitudes horaires d'ouverture des magasins fasse de l'effet, il faudra donc non seulement que baisse du prix du pétrole et du cours de l'euro soient suffisants pour améliorer le pouvoir d'achat. Mais surtout que la confiance des ménages s'améliore suffisamment pour qu'ils choisissent de consommer le surplus au lieu de l'épargner.

Acheter tout le temps... et partout

De leur côté, les enseignes n'attendent pas pour recréer les conditions favorables à ces dépenses "coups de tête". D'autant plus qu'elles peuvent compter pour cela sur les nouvelles technologies qui placent dans la poche de leurs clients de quoi transformer la rue en boutique et leur clavier en moyen de paiement ultra-rapide. En témoigne par exemple l'opération baptisée "fast shopping" (achat rapide) de la marque de vêtement Comptoir des Cotonniers. Des pièces créées pour l'occasion ont ainsi été présentées en 2014 sur des affiches dans des abribus, dans des magazines... "10.000 boutiques" en tout selon une porte-parole. Il suffisait de "flasher" des QR- code pour se retrouver sur la boutique en ligne et réaliser son achat. La marque refuse d'indiquer le nombre d'achats ainsi réalisés, mais elle a déjà réitéré une fois l'opération à Noël. Si ce type de services séduit vraiment, les cartes bleues n'auront peut-être pas besoin du dimanche pour se remettre à griller.