Gaspillage alimentaire : "Mme Royal a voulu faire un coup avant la COP21"

Par Marina Torre  |   |  924  mots
Arash Derambarsh, élu municipal à Courbevoie. (Photo: DR)
Arash Derambarsh rejette avec force l'accord "volontaire" proposé par la ministre de l'Ecologie aux distributeurs sur le gaspillage alimentaire et signé le 27 août. L'élu de Courbevoie, qui milite pour un "droit opposable" des associations à récupérer les invendus des distributeurs, espère le vote d'une nouvelle loi d'ici à six mois.

Contre le gaspillage alimentaire, il tient toujours à une loi. Pour Arash Derambarsh, l'élu de Courbevoie qui mène depuis plusieurs mois une fronde pour la redistribution des invendus alimentaires aux associations locales, l'accord du 27 août ne suffit pas. Ce texte proposé par Ségolène Royal, la ministre de l'Ecologie, a pourtant été signé par l'intégralité des représentants des grandes chaînes de distribution françaises.

Mais l'élu, qui a lancé une pétition sur Change.org signée par plus de 200.000 personnes, pointe du doigt son aspect non contraignant. Sans loi, en effet pas question d'exiger une amende de 3.750 euros à tout distributeur "qui rend délibérément impropres à la consommation les invendus alimentaires encore consommables", comme le prévoyait l'une des dispositions censurée le 13 août. L'activiste, qui a convaincu l'acteur Mathieu Kassovitz de se joindre à son combat, espère toujours qu'une loi comprenant de vraies mesures de dissuasion soit votée.

LA TRIBUNE - L'accord donne trois mois aux distributeurs pour être en conformité. Faute de bonne volonté, "il y aura une loi", a prévenu la ministre. Ce délai vous semble-t-il trop long?

ARASH DERAMBARSH - C'est de la rigolade ! Sur le terrain, cela fait un an que l'on demande à des enseignes de nous donner leurs invendus. A Courbevoie, des Monoprix et des Franprix nous ont refusé des stocks. Ils préfèrent mettre de l'eau de javel.

D'après cet accord, toutes les surfaces de plus de 400 m2 devront donner leurs invendus. Mais vous doutez que les franchisés s'y plieront. Pourquoi?

Une franchise ne reçoit d'ordre de personne. Or, elles représentent les deux tiers des entreprises. Si une ou deux acceptent de jouer le jeu, et d'autres non, que ferons-nous? Cela va devenir une usine à gaz. Et puis, nous ne pouvons pas surveiller toutes les entreprises.

Les associations signalent les difficultés logistiques que représenteront le nouvel afflux de stocks. Qui devrait financer les camions, entrepôts, etc., qu'il faudra mettre en place?

Cet argument n'est pas recevable. Aujourd'hui, la loi prévoit que seules les associations agréées, les Banques alimentaires, les Restos du coeur, le Secours populaire et la Croix Rouge récupèrent les invendus. Je dis qu'il faudrait permettre aussi à toutes celles qui le veulent de contribuer à la redistribution. Il s'agirait d'un droit opposable. Ce n'est pas au magasin de rechercher des associations mais à celles qui le veulent de pouvoir récupérer des invendus.

Si toutes les associations peuvent réclamer les invendus, des responsables de réseaux associatifs craignent que des personnes mal intentionnées en profitent pour détourner des stocks...

 Mais on parle de produit à 2 ou 3 euros, des pâtes, des féculents, du sucre !

Vous excluez la viande?

Oui. Le "marché gris", c'est un faux argument. Je ne sais pas quel genre d'être humain irait mettre un sac de légumes sur eBay! La réalité, c'est que le 10 du mois, des gens se retrouvent en difficulté. Il y a une question de dignité. Les Restos du coeur demandent des fiches de paie aux bénéficiaires, mais ces problèmes concernent aussi des gens qui travaillent, des mères de famille, etc. La misère ne se constate pas sur une fiche de paie. Ce matin même, je me suis rendu dans des supermarchés à Courbevoie où l'on m'a dit que l'on ne pouvait rien me donner car, en cas d'intoxication alimentaire, qui serait responsable? De fait, cet accord ne précise rien sur la responsabilité. Il n'a aucune valeur.

Vous n'avez pas été convié, lors des discussions pour cet accord. Interrogée sur le sujet lors d'une conférence de presse, Ségolène Royal a répondu que "sont invités ceux qui agissent" et que "cela fait des années que beaucoup de gens travaillent sur ce sujet. Ce n'est pas ma propriété ni celle de Pierre, Jacques ou Paul". Avez-vous eu des contacts avec la ministre ou son cabinet?

Nous avons rencontré des conseillers du président de la République à deux reprises, mais jamais la ministre, malgré nos demandes. Et je voudrais lui répondre: Madame Royal, vous étiez déjà ministre en 1992. Moi, j'avais 12 ans quand vous étiez à ce poste et cela fait un an que je travaille sur ce sujet. Mais depuis vingt-deux ans, qu'avez-vous fait? Entre 40 kg et 50 kg de produits sont jetés tous les jours, par magasin. Maintenant, il faut une loi pour mettre tout le monde sur un pied d'égalité.

Les dispositions en question ont été censurées pour des raisons de procédure. La censure vous paraissait-elle prévisible?

Après le camouflet que représentait la censure, Mme Royal a voulu faire un coup. C'était important avant la COP21. Le député Frédéric Lefevbre l'avait mise en garde contre les risques de censure. Quand une proposition de loi est débattue, il n'est possible de déposer des amendements après la troisième lecture que s'ils portent sur des ajustements. Mais il n'est pas possible de créer un nouveau droit. Or, l'obligation de céder des invendus créait bien un nouveau droit. Il aurait fallu maintenir cet amendement dans la Loi Macron. Deux nouvelles propositions de loi ont été déposées [le 17 août par des sénateurs, et à l'Assemblée nationale à l'initiative de Frédéric Lefebvre et Jean-Pierre Decool, tous deux membres de l'opposition l'Ndlr]. D'ici à six mois, elle sera votée.