Les pilotes d’Air France prêts à freiner l'envol de Transavia ?

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  950  mots
Les pilotes d'Air France veulent de la direction une stratégie claire
Le syndicat national des pilotes de ligne déplore le manque de clarté de la stratégie court et moyen-courrier de la direction d'Air France. Alors que son accord est nécessaire pour faire passer la flotte de Transavia à plus de 14 avions, le SNPL demande un projet convaincant.

Le Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) d'Air France, majoritaire avec 71% des voix chez les pilotes, met la pression sur le projet de développement de Transavia, la filiale à bas coûts de la compagnie française. Alors que la direction a, parmi ses choix stratégiques présentés en octobre, décidé de réduire la voilure sur les liaisons intérieures d'Air France à Orly pour développer Transavia France vers des destinations européennes, les pilotes du SNPL sortent les griffes.

Accord nécessaire des pilotes

Leur accord est indispensable pour permettre à la direction d'augmenter la flotte de Transavia à 26 avions en 2016, contre 11 aujourd'hui. Et plus particulièrement pour atteindre l'objectif à très court terme d'ajouter 5 avions en 2014 pour atteindre une flotte de 16 appareils. Car l'accord signé entre la direction et le SNPL lors de la création de Transavia France en 2007 limite le périmètre de la filiale à bas coûts à 14 appareils. Pour aller au-delà, Transavia est contrainte, selon cet accord, de louer à Air France des avions en wet-lease  (avec équipages), un système qui lui imposerait d'exploiter ces appareils aux coûts d'Air France, beaucoup plus élevés. L'objectif de la direction est donc de négocier le déplafonnement de cette barrière de 14 appareils pour la porter à 16 dans un premier temps, puis au-delà par la suite pour accompagner le développement de Transavia. Or, aujourd'hui les discussions (informelles) n'ont pas permis de trouver un terrain d'entente. Estimant que le projet de la direction est flou, le SNPL demande à la direction de clarifier ses intentions.

Vision

"La stratégie de la direction sur le réseau point-à-point manque de clarté. Quel modèle commercial pour Transavia France, quel réseau, quelle cible, quelle flotte, quelles synergies avec Transavia Hollande, quels rôles pour Air France et Hop (la marque qui regroupe les filiales régionales Britair, Regional et Airlinair, ndlr)….  sur tous ces thèmes, les pilotes demandent une vision. Si le projet nous convainc, je ne doute pas que le SNPL fera son job" , explique Jean-Louis Barber, le président du SNPL Air France.

Pas d'accord avant 2014

Autrement dit, si le projet ne convainc pas, il n'y aura pas d'accord. Ce qui, pour un analyste,  "serait grave car cela retarderait assez fortement la riposte aux compagnies à bas coûts, déjà graduée". De son côté, la direction se défend de manquer de clarté. "La stratégie est très claire. Elle vise à capter une nouvelle clientèle BtoC sur des lignes européennes au départ d'Orly", explique un porte-parole d'Air France. Et d'ajouter : "nous allons discuter avec les organisations syndicales pour pouvoir ajouter cinq avions dans la flotte de Transavia en 2014. Déjà l'accord actuel permet d'augmenter l'offre de Transavia de manière significative". Au mieux, tout accord ne pourra être obtenu avant début janvier, date du prochain conseil du SNPL.  

Explosif

Pour plusieurs pilotes, la question du transfert de tout ou partie de l'activité court et moyen-courrier de point-à-point d'Air France à Transavia constitue un enjeu majeur. Or, ce thème, que la direction n'a pas évoqué, est explosif sur le plan social. Car Transavia n'utilise pas l'assistance d'Air France en escale (sur les aéroports) pour l'enregistrement ou le traitement de l'avion, et sous-traite au contraire cette activité à des prestataires extérieurs aux coûts inférieurs. "Les coûts en escale d'Air France sont en moyenne 2,5 fois supérieurs aux coûts du marché", déplore-t-on au sein du SNPL de la compagnie. Tout transfert d'activité d'Air France à Transavia se traduirait par une baisse d'activité pour l'assistance en escale d'Air France. "

Maintenir les coûts bas

"Les pilotes ont compris qu'il faudra à aller travailler chez Transavia aux conditions de Transavia, comme c'est le cas depuis 2007. Mais ils ne donneront pas leur accord s'ils craignent que les personnels de cabines ou les personnels au sol d'Air France parviennent à aller chez Transavia en conservant conditions de travail d'Air France", explique un pilote. "Le développement de Transavia pourrait conduire la compagnie à quitter Orly Sud, où elle se trouverait à l'étroit, pour Orly Ouest, fief d'Air France, où l'assistance en escale n'est pas sous-traitée. Ce qui entraînerait une dérive des coûts de Transavia", ajoute-t-il. Une dérive des coûts est l'un des risques évoqués par Bernard Pédamon, administrateur d'Air France-KLM, représentant les pilotes actionnaires du groupe, dans une lettre adressée en novembre aux pilotes sur la stratégie court et moyen-courrier d'Air France. Il y pointe également le "rythme de développement" de Transavia, jugé "décalé" par rapport à ceux de Lufthansa et surtout de IAG, ainsi que le "déficit de notoriété" en France et un peu partout en Europe de la marque Transavia.

"Value cost"

 Pour lui, "le modèle économique de Transavia devra évoluer en profondeur", en s'interrogeant sur le modèle à suivre. "Faudra-t-il en faire une compagnie à bas coûts ou une "value cost" (comme Easyjet, Vueling, Germanwings, ndlr) sachant qu'il sera nécessaire d'augmenter la part des ventes directes au détriment des tour-opérateurs et capter la clientèle affaires en complément de la clientèle loisirs". Poser la question revient à donner la réponse. Bernard Pédamon préconise d'ailleurs de donner la possibilité aux clients de Transavia d'accumuler des miles dans le programme de fidélisation d'Air France-KLM, et "d'apposer le code Air France  sur les vols de sa filiale", et d'être présent dans les GDS (systèmes globaux de distribution) comme Amadeus ou Sabre, ces outils de réservation utilisés par les agences de voyages, lesquelles maîtrisent toujours la clientèle affaires.