Air France : demander l'aide de l'Etat ne doit pas justifier de ne pas faire d'efforts internes (Janaillac)

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1734  mots
A l'occasion d'un débat avec Marc Rochet, le président d'Air Caraïbes, Erick Derivry, le président du SNPL et Pascal Mathieu, administrateur salarié d'Air France, Jean-Marc Janaillac, le PDG d'Air France-KLM, a expliqué que les demandes d'assouplissement du cadre fiscal et social en France et de règles de concurrence équitables ne doivent pas permettre aux compagnies de justifier de ne pas faire d'efforts internes.

Exercice délicat pour Jean-Marc Janaillac, PDG d'Air France-KLM et président d'Air France et Marc Rochet, Président du directoire d'Air Caraïbes et président de French Blue. Lors d'une table-ronde organisée ce mardi par l'AJPAE, l'association des journalistes professionnels de l'aéronautique et de l'espace qui réunissait également Erick Derivry, le Président du SNPL et Pascal Mathieu, l'un des administrateurs salariés d'Air France, ils ont attiré l'attention sur les mesures qu'ils attendaient de l'Etat, tout en soulignant que les demandes d'un environnement plus clément pour le transport aérien français devaient s'accompagner d'efforts en interne à chaque compagnie. Un collectif intersyndical dénonce une stratégie de l'Etat qui a depuis des années entraîné le déclin du pavillon français, dont la part de marché dans l'Hexagone est passée de 54% en 2003 à moins de 43% en 2016.

"Pour faire avancer le transport aérien en France, c'est faire en sorte que tous les acteurs participent à combler le fossé de compétitivité qui est observé et évident. Les patrons doivent définir une stratégie, les salariés qui doivent apporter leur contribution à ces efforts, mais aussi le régulateur, l'Etat français et Bruxelles. Il faut trouver une alchimie d'actions cohérentes des trois piliers du transport aérien. Il y a un des acteurs qui résiste énormément dans cette nécessité d'avancer, c'est l'Etat régulateur", a déclaré Erick Derivry.

"Ce qui me marque, c'est cet immobilisme. Nous nous sommes déjà réunis en 2014 sur le même sujet et depuis, très peu de dossiers ont avancé. Malgré les efforts des compagnies, des salariés, l'abandon de certaines conditions de travail, des pertes d'emplois massives, nous sommes toujours en queue de peloton", a ajouté Pascal Mathieu.

Taxes et redevances

Les doléances sont connues : la première concerne les taxes et les redevances aéroportuaires spécifiques au transport aérien qui seraient plus élevées qu'ailleurs même si, à part les Pays-Bas où Air France-KLM gagnerait 350 millions d'euros supplémentaires si le groupe y était basé, l'écart défavorable avec le Royaume-Uni ou l'Allemagne, fiefs des plus gros concurrents du groupe français, relève "du sentiment", selon Jean-Marc Janaillac.

"Nous avons le sentiment (et quelques chiffres sans être totalement exhaustifs) que nous nous situons au-dessus. A quel pourcentage? Je ne sais pas le dire exactement pour les pays autres que les Pays-Bas. , a-t-il indiqué.

Surtout, ont expliqué Erick Derivry et Pascal Mathieu, l'accumulation des taxes et des redevances irritent les salariés du transport aérien français (ceux d'Air France, en réalité, car ceux des autres compagnies françaises ne disent rien sur ces sujets, NDLR), qui ont le sentiment qu'à chaque fois qu'ils font des efforts, ceux-ci sont systématiquement absorbés par une hausse d'une taxe ou d'une redevance, comme ce fut le cas il y a deux ans avec le relèvement de la taxe de Solidarité dite Chirac, qui sert à financer des programmes de santé dans les pays en développement, ou la hausse des redevances d'ADP sur la durée du contrat de régulation économique 2016-2020, alors que d'autres aéroports, comme celui d'Amsterdam baissent les leurs ces dernières années.

Taxe Chirac

Les quatre intervenants ont demandé le retrait de la taxe Chirac ou du moins sa répartition sur d'autres modes de transport ou d'autres secteurs pour en réduire l'impact. Ils ont aussi demandé le retour à un système de caisse unique pour les redevances aéroportuaires à Paris qui permettrait de regrouper dans la même comptabilité les recettes commerciales et les redevances aéronautiques et de faire subventionner les secondes par les premières. Un système permettrait de baisser les redevances aéroportuaires.

Les compagnies du Golfe

L'autre doléance est également connue depuis très longtemps. Il s'agit de la concurrence jugée "déloyale" des compagnies du Golfe, soutenues par leurs Etats-actionnaires, qui menace les liaisons directes des compagnies européennes vers l'Asie et la connectivité de l'UE avec la partie la plus dynamique de la planète.

"C'est une question de souveraineté pour l'Europe", a expliqué Jean-Marc Janaillac.

Sous la pression de la France et de l'Allemagne, l'Union européenne a en effet engagé des négociations avec les pays du Golfe mais aussi l'Asean (l'association des nations du sud-est) et la Turquie pour une ouverture de son marché en contrepartie de la mise en place de règles de concurrence dite équitables dans ces pays. Pendant les négociations, les droits de trafic actuels sont gelés. Par ailleurs, Jean-Marc Janaillac, a rappelé qu'Air France-KLM souhaitait toujours la mise en place d'un système similaire à celui de l'OMC, l'organisation mondiale du commerce, à laquelle n'appartient pas le transport aérien. Ce dernier est en effet régi par l'organisation internationale de l'aviation civile (OACI). Il y a deux ans, son prédécesseur, Alexandre de Juniac et son homologue chez Lufthansa, Carsten Spohr souhaitaient la mise en place d'un système des règlements des différends au sein de l'OACI identique à celui en vigueur à l'OMC, capable de trancher le différend sur les soutiens directs ou indirects dont bénéficient les compagnies du Golfe.

Pour rappel néanmoins, lors d'un colloque à la direction générale de l'aviation civile française (DGAC) il y a deux ans, Peter van Laarhoven, directeur corporate de l'aéroport de Schiphol, avait indiqué que l'écart de compétitivité entre les compagnies du Golfe pour des raisons de pratiques déloyales ne jouait seulement que sur 15%. Le reste serait lié à la différence du coût du travail et à l'excellente situation des hubs des compagnies du Golfe.

Enfin, les participants ont également demandé une harmonisation des pratiques sociales au sein de l'Europe et le coût de la réglementation en France où le code de l'aviation civile se mélange souvent avec la réglementation européenne et est en contradiction avec celle-ci.

L'Etat n'a pas rien fait

Parmi toutes ces prises de parole où le trait a parfois été forcé, Marc Rochet a souvent dû recentrer le débat. D'accord sur tous les sujets mis en avant, il a néanmoins souvent apporté des nuances.

"L'Etat doit faire plus, c'est clair mais je ne voudrai pas non plus qu'on laisse répandre l'idée qu'il n'a rien fait. Il a joué son rôle", a-t-il dit en citant la suppression de la taxe sur les vols en correspondance (70 millions d'euros environ), les 28 millions d'euros de la dernière partie du produit de la taxe de l'aviation civile (10%) qui était toujours reversée au budget général, ou encore les infrastructures aéroportuaires parisiennes que "l'Etat a décidé avec ses 4 pistes à Roissy et ses deux pistes à Orly « que beaucoup de pays nous envient".

Ces mesures n'apportent que 10% des gains de compétitivité que le rapport Le Roux pour l'amélioration du transport aérien français. Marc Rochet a également mentionné l'atout, pour les compagnies françaises de la position centrale de la France au sein de l'Europe ou encore la puissance du marché touristique français.

Lire ici : Air France est pourtant assise sur un tas d'or

Concernant les compagnies du Golfe, c'est la même chose. Marc Rochet "est en phase" avec ce qui a été dit puisque la "concurrence doit être loyale et l'UE ferme", mais a-t-il ajouté "que celui qui n'a jamais touché une subvention lève le doigt" en précisant que même Air Caraïbes a bénéficié pour l'achat d'ATR d'un système de défiscalisation. En outre, il reconnaît aux compagnies du Golfe une capacité d'innovation importante, notamment dans la façon d'opérer avec l'organisation d'un système de correspondances entre des vols uniquement long-courriers.

Efforts internes

Mais, fidèle à son habitude, il a également rappelé les efforts que chaque compagnie se doit de mener pour que "le transport aérien reste sur la trajectoire". "Il y a aussi toutes les mesures qui sont de notre responsabilité, celles des organisations professionnelles et celles des patrons. Cela passe par un constat partagé de la situation. On est en accord sur beaucoup de points avec les organisations syndicales mais ce constat doit intègre, honnête et réaliste. Un constat qui fait défaut à Air France. (...)", alors que les discussions pour augmenter la compétitivité du groupe sont tendues avec les navigants. Marc Rochet sait de quoi il parle. Malgré l'environnement français , la compagnie qu'il dirige gagne beaucoup d'argent depuis des années. "Aide toi, le ciel t'aidera", martèle-t-il souvent.

Les conditions de travail doivent bouger

Jean-Marc Janaillac n'a pas été en reste.

Lui aussi a souligné la nécessité de la réforme interne. Toutes les demandes faites à l'Etat ou à Bruxelles pour avoir une concurrence équitable et un environnement "n'exonèrent pas les entreprises d'être plus efficaces. Je ne suis pas d'accord quand on parle de dégradation des conditions de travail. On ne peut pas rester avec des conditions qui sont les mêmes qu'il y a quelques années alors que les services digitaux existent et que le monde a évolué.

"Si nous demandons une concurrence plus équitable et un environnement social et fiscal moins pénalisant, c'est parce que nous ne voulons pas que cela soit des justifications internes pour ne pas bouger et ne pas faire d'efforts. Clairement, nous sommes d'accord avec tout ce qui a été dit ici, mais il faut, en même temps, que l'ensemble des personnels de la compagnie Air France accepte une évolution des conditions de travail, dans la façon de s'organiser, qui aille de pair avec les efforts qui ont déjà été faits par ailleurs dans le passé mais qui ne sont pas suffisants pour rendre le cadre français plus concurrentiel. Il faut que les deux avancent".

Pas sûr que les propos soient partagés par toutes les organisations syndicales. Beaucoup estiment en effet que les salariés ont déjà fait suffisamment d'efforts. La polémique sur la hausse de rémunération du Comex n'a d'ailleurs pas facilité les discussions.

Le gouvernement actuel a indiqué qu'il avait fait des efforts mais qu'il accompagnerait ceux que feraient Air France. Reste à voir ce que fera le prochain président.