Air France est-elle impossible à réformer ?

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1239  mots
(Crédits : Christian Hartmann)
Le départ de Jean-Marc Janaillac de la tête du groupe Air France-KLM ne change rien aux menaces qui planent sur Air France. Alors que la concurrence se renforce et que le prix du pétrole remonte, la compagnie a peu de temps pour enclencher les réformes. En a-t-elle encore les moyens ?

Après la fracassante démission du Pdg d'Air France-KLM Jean-Marc Janaillac, le conseil d'administration a nommé ce mercredi l'un de ses membres, Anne-Marie Couderc, présidente non exécutive par intérim, le temps de trouver un successeur à Jean-Marc Janaillac. "Espéré pour être le plus court possible", le processus devrait durer plusieurs mois.

Pendant ce temps-là, le conseil d'administration va finaliser le plan stratégique, dont la présentation était initialement prévue en juin, afin de ne pas prendre de retard. Ce plan n'est pas neutre. Il vise notamment à restructurer le réseau court-courrier de HOP, à développer l'activité de la low-cost Transavia au départ des régjons françaises et à trancher la question du lancement ou pas d 'une activité low-cost long-courrier. Autant de sujets qui nécessitent des négociations avec les pilotes dont l'accord est nécessaire pour toutes les questions liées au changement de périmètre de l'entreprise. Inutile de dire que la partie s'annonce sportive.

Gel des négociations salariales

D'autant plus que, sur les négociations de hausse générale des salaires, le groupe compte aller beaucoup moins vite et attendre que le nouveau patron arrive pour les reprendre. Un calendrier qui se situe aux antipodes de celui des syndicats, qui veulent se mettre autour de la table rapidement. De quoi les pousser à appeler à reprendre la grève, même si la mobilisation risque d'être difficile, non seulement parce que les pilotes s'orientent vers des négociations bilatérales avec la direction, mais aussi parce que le départ de Jean-Marc Janaillac peut avoir créé un électrochoc auprès des salariés.

Un destin à la Alitalia?

Reste la question. Air France est-elle réformable ou est-elle condamnée à mourir à petit feu comme Alitalia qui, après une longue agonie et le soutien de l'État, ne pourra s'en sortir qu'en s'adossant une nouvelle fois à une autre compagnie?

Repartir de l'avant va être extrêmement compliqué. Au regard de la situation actuelle de l'entreprise complètement déchirée, la mission peut même sembler impossible. Car la majorité des syndicats et la direction ne sont pas sur la même planète, comme c'était déjà le cas sous la présidence d'Alexandre de Juniac.

«Quand aucune lampe ne fonctionne, il faut se demander si cela ne vient pas de la prise », ironise un proche de Jean-Marc Janaillac.

Constat non partagé

Aucune réforme ne pourra être négociée par la direction et les syndicats tant qu'il n'y aura pas de constat partagé entre les deux parties sur la situation économique et financière d'Air France, sur sa compétitivité, et sur l'environnement concurrentiel. Ce point fondamental est à l'origine des tensions sociales au sein de la compagnie depuis quatre ans. Il tourne en effet au dialogue de sourds.

Pour la majorité des syndicats, de nouveaux efforts n'ont plus lieu d'être depuis les le retour aux bénéfices d'Air France en 2015, ponctués par un résultat d'exploitation record de 588 millions d'euros en 2017. Les mêmes estiment par ailleurs que les écarts de compétitivité avec les autres compagnies proviennent uniquement du poids des charges en France et des taxes spécifiques qui pèsent sur le transport aérien français. Sans négliger ce volet, qu'elle dénonce également, la direction souligne aussi de son côté le déficit de compétitivité intrinsèque d'Air France par rapport à ses rivaux. En 2017 en effet, la performance opérationnelle de British Airways dépassait celle d'Air France de plus de 1,3 milliard d'euros. Celle de Lufthansa dépassait elle aussi le milliard d'euros. De tels écarts ne peuvent s'expliquer en totalité par le poids des taxes.

En octobre 2016, dans un rapport demandé par Jean-Marc Janaillac, Jean-Paul Bailly, l'ancien Pdg de La Poste, ne disait pas autre chose.

« Face à ces faits [l'écart de compétitivité et la fragilité financière, Ndlr] qui me paraissent avérés et difficilement contestables, les organisations syndicales ont des attitudes très différentes, allant de la compréhension et du partage de ces réalités jusqu'à la remise en cause des chiffres, en passant par diverses stratégies que l'on pourrait qualifier de stratégie "d'évitement", visant à contourner la difficulté de ce constat (...). Cette préoccupation [le poids de l'environnement fiscal et social, Ndlr] est commune aux organisations syndicales et à la direction générale, mais elle est mise en avant par certaines organisations comme "la" solution aux problèmes de compétitivité d'Air France, au risque d'en faire un préalable à toute autre action et donc de conduire à un certain immobilisme », écrivait-il. Dix-huit mois après, Jean-Paul Bailly ne changerait pas une virgule.

Baisse du fardeau fiscal

Néanmoins, dans le cadre des Assises du transport aérien qui sont en cours, l'État serait bien avisé de réduire le fardeau qui pèse sur le transport aérien français. Lors de l'assemblée générale des actionnaires, ce mardi, Jean-Marc Janaillac l'a souligné. Cela pourrait créer une dynamique positive pour convaincre les syndicats de se mettre autour de la table afin de négocier les conditions de réforme d'Air France. A condition, bien sûr, de ne pas demander la lune, comme le fait le SNPL en demandant à l'État des mesures réduisant les coûts d'Air France de 600 millions d'euros.

Le SNPL sera d'ailleurs au cœur de la problématique de réforme d'Air France. Pour la direction, les syndicats réformateurs et une partie des pilotes, la capacité de rebond d'Air France se jouera au sein de ce syndicat, lors des prochaines élections professionnelles en fin d'année. Si l'exécutif actuel du SNPL, dirigé par Philippe Evain, est reconduit pour 4 ans, les chances de reconstruire la compagnie sont quasiment nulles, assurent plusieurs observateurs. Pour ces derniers, la volonté de torpiller l'accord de création de Joon l'an dernier, alors qu'il allait dans l'intérêt des pilotes -qui ont poussé le bureau à le signer-, résume les difficultés voire l'incapacité de ce bureau à signer des accords.

Janaillac conseille à l'État de sortir du capital d'Air France-KLM

Enfin, outre le rôle qu'il peut jouer dans la baisse du boulet fiscal, l'État pourrait donner un sacré coup de main à Air France en sortant du capital d'Air France-KLM. Cette participation, aujourd'hui de 14%, explique, elle aussi en partie, l'immobilisme qui frappe la compagnie. Car elle donne le sentiment aux salariés et aux syndicats qu'Air France est immortelle avec un État qui sera toujours là pour la sauver. Ce sentiment, qui ne pousse pas à se prendre en main et n'incite pas à regarder à deux fois avant de se mettre en grève, est si ancré dans l'identité de la compagnie qu'il a conduit Jean-Marc Janaillac à changer son point de vue sur le sujet et à recommander à l'État de se désengager totalement.

Bref, autant de conditions qui prendront du temps, peut-être une décennie, pour transformer en profondeur les mentalités dans l'entreprise et les modes organisationnels... Problème, Air France n'a pas dix ans devant elle. Et doit absolument se mettre en ordre de bataille pour ne pas boire la tasse le jour où l'environnement sera moins clément. Avec la montée du prix du baril, les nuages arrivent vite.

Lire ici : Pourquoi les autres compagnies font moins grève