Air France est pourtant assise sur un tas d'or

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1471  mots
Le manque de compétitivité de la compagnie française contraste avec les atouts qu'elle possède et dont ne disposent pas British Airways et Lufthansa, pourtant largement plus rentables. Analyse.

Le décalage de la performance d'Air France par rapport à celles de ses concurrents directs, British Airways, Iberia (toutes deux filiales de IAG), Lufthansa mais aussi de sa partenaire KLM, apparaît comme une aberration au regard des atouts « naturels » dont dispose la compagnie française. Air France est assise sur un tas d'or et ne parvient hélas pas à en profiter.« Notre pays est béni des dieux » a même indiqué ce mardi à La Tribune le président du directoire d'Air Caraïbes Marc Rochet, ajoutant que «si l'on échoue c'est que l'on est vraiment mauvais ». Les atouts sont en effet très nombreux.

La France, première destination touristique

Tout d'abord, Air France a la chance de se positionner sur le premier marché aérien européen (145 millions de passagers en 2014) devant l'Allemagne et le Royaume-Uni. Même si la concurrence du TGV est féroce sur toutes les destinations à moins de trois heures, ce poids du transport aérien, qui est lié à la population du pays, à son économie, et à la taille et à forme de son territoire, constitue en effet un atout précieux pour Air France.

A ce marché domestique, s'ajoute l'attractivité touristique de la France, première destination touristique mondiale, et de Paris en particulier où se situe le hub d'Air France. Si British Airways dispose d'un atout similaire avec le capital touristique de Londres, elle ne l'a pas concernant l'attractivité touristique de l'Angleterre, largement moins puissante que celle de l'Hexagone. Lufthansa quant à elle, ne dispose ni de l'un ni de l'autre. Francfort et Munich, où sont situés les hubs de la compagnie allemande n'ont pas l'attractivité touristique de Paris. Et l'Allemagne celle de la France. Quant à Berlin, la capitale allemande, si elle possède un potentiel touristique à exploiter, elle n'est pas le lieu d'un des hubs de Lufthansa.

Air France n'exploite qu'un hub international

Air France est également avantagée par le centralisme français. La concentration à Paris du pouvoir politique et de la quasi-totalité des grandes entreprises, lui a permis de concentrer la quasi-totalité de ses opérations au départ de la capitale (même si elle est à cheval entre Roissy et Orly) et d'exploiter un seul hub pour l'alimentation de ses long-courrier (Roissy).

Un atout par rapport à Lufthansa qui a dû s'adapter aux conséquences du fédéralisme allemand, à l'origine de l'existence de plusieurs gros bassins de population et richesse (Hambourg, Düsseldorf, Berlin...), en dehors des deux hubs de la compagnie.

Un inconvénient de taille pour la compagnie allemande sur le plan opérationnel et la mise en place de stratégies de hubs dans la mesure où la compagnie doit exploiter deux systèmes de correspondances avec deux réseaux de vols parallèles qui ne doivent pas se cannibaliser. Pour autant, contrairement à Alitalia qui n'a jamais su organiser un système de double hub (Milan et Rome), Lufthansa a réussi à surmonter ces inconvénients grâce à une planification des programmes de vols très efficace. Mieux, avec le rachat de Swiss et d'Austrian Airlines, la compagnie allemande a même réussi à faire tourner quatre hubs situés les uns sur les autres (Francfort, Munich, Vienne, Zurich).

L'existence d'une seule structure unique de hub (moyen-courrier-long-courrier) à Paris pour Air France est par ailleurs renforcée par les capacités de développement de l'aéroport de Charles-de-Gaulle. Le hub de CDG dispose de quatre pistes quand l'aéroport londonien d'Heathrow est bloqué depuis des lustres à deux et que Lufthansa a dû batailler ferme pour disposer d'une piste supplémentaire à Francfort.

Une concurrence des low-cost et des compagnies du Golfe moindre

Enfin, l'environnement concurrentiel est moins dur en France qu'au Royaume-Uni et en Allemagne, où le poids des low-cost et des compagnies du Golfe sont plus importants. Face aux compagnies low-cost, Air France profite de l'absence de créneaux horaires disponibles pour ses concurrents à l'aéroport d'Orly en raison du plafonnement de l'aéroport à 250 000 mouvements alors que sa capacité permettrait d'en traiter au moins 450.000. Cette décision politique qui remonte à 1996, constitue d'un véritable bouclier face à des Ryanair, Easyjet ou Vueling, qui rêvent soit de s'y installer (Ryanair), soit de s'y développer pour les deux autres. Faute de créneaux disponibles à Orly, les low-cost qui veulent vraiment se développer à Paris sont contraintes de se poser à Roissy, moins favorable à une activité low-cost.

La forteresse d'Orly

Face à ces compagnies low-cost, Air France profite aussi des « contraintes de l'environnement » français que dénoncent justement, à juste titre, les syndicats français pour expliquer les difficultés d'Air France. Or aussi pénalisants soient-ils pour Air France, le coût du travail en France, la cherté des coûts aéroportuaires, l'accumulation des taxes, la fiscalité, sont aussi un frein au développement des low-cost en France. A cela s'ajoute le décret de 2006 sur le droit d'établissement qui constitue lui aussi un bouclier face à Ryanair. Son PDG, Michael O'Leary invoque l'instabilité juridique de ce décret pour ne pas mettre en place des bases d'exploitation en France. Sur les 174 bases que compte Ryanair, aucune ne se situe en France.

Concernant l'attribution des droits de trafic aux compagnies du Golfe, Air France est là aussi mieux lotie que ses concurrentes British Airways et Lufthansa. Emirates par exemple assure 8 vols quotidiens entre Londres et Dubai contre trois à Paris (sauf un jour de la semaine où il n'y a que deux vols).


Après une politique très généreuse, notamment sous les présidences de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, le gouvernement français a fermé les robinets depuis 2012 pour protéger Air France. Certes, l'Etat a manqué à son engagement en promettant au printemps trois vols hebdomadaires à Qatar Airways lors de l'annonce de l'achat par Doha de Rafale (ces vols ne sont pas encore en service). En étant provocateur, si ce niveau de droits en restait là, Air France s'en sortirait bien. Car vu la polémique créée autour d'eux, le gouvernement s'en prendra à deux fois avant d'attribuer de nouveaux lignes aux compagnies du Golfe.

L'Etat a trop souvent pris l'aérien pour une vache à lait

Pour autant, il ne faut occulter le poids des charges et les manquements de l'Etat de matière de transport aérien, un secteur souvent pris pour une vache à lait. En lui mettant sur le dos une taxe spécifique pour financer les programmes de santé dans les pays en développement (cette taxe dite Chirac s'élève à 75 millions pour Air France), en ponctionnant jusqu'à cette année 19% du produit de la taxe d'aviation civile qui finance une partie des coûts du transport aérien français, en faisant reposer sur les compagnies la totalité des coûts de sûreté, une activité pourtant régalienne, en autorisant depuis plus de 10 ans Aéroports de Paris à augmenter ses redevances aéroportuaires, l'Etat ne contribue pas à améliorer la situation d'Air France et du pavillon français en général. Certes, pour être équilibré, il convient de citer l'impact positif du CICE pour Air France, lequel s'élève à 50 à 60 millions d'euros en 2015.

"Aide toi, le ciel t'aidera"

Il n'empêche, contrairement à ce qu'affirment les syndicats d'Air France, ce n'est pas la seule raison du manque de compétitivité d'Air France par rapport à ses concurrents. Pour Marc Rochet, le président du directoire d'Air Caraïbes la concurrence du Golfe et le rôle de l'Etat n'explique pas tout. «Il y a un écart de compétitivité entre Air France et British Airways ou Lufthansa », rappelle-t-il.

Selon la direction l'écart de compétitivité des pilotes d'Air France par rapport aux concurrents européens est de 20%, et même 40 % pour les PNC. Pour les personnels au sol, il se situe dans des effectifs supérieurs à ses concurrents.

Pour Marc Rochet, Air France doit se réformer. « Aide toi, le ciel t'aidera », a-t-il par ailleurs déclaré à BFM.

Marc Rochet, a expliqué que l'amélioration des comptes de la compagnie ne doit pas être une excuse pour repousser les réformes. « Sinon Air France sera encore plus faible. Dans le passé, Air France a toujours repoussé les problèmes, sauf sous Christian Blanc (entre fin 1993 et septembre 1997, ndlr) ». Pour lui, l'enchevêtrement de textes administratifs mais aussi la myriade d'accords collectifs (il y a en aurait 250 pour les pilotes selon un syndicaliste sol, dont le premier remonte à 1971), qui forment une « toile d'araignée paralysante », constituent un handicap pour réformer.

«Si on veut y toucher, c'est à la fois long et coûteux », fait-il valoir. Et de préconiser que les parties prenantes se mettent autour de la table « pour partager le diagnostic ». La tâche est ardue. Le SNPL et certains syndicats PNC estiment que le redressement d'Air France ne justifient pas le plan de restructuration de la compagnie.