Air France : pourquoi les autres compagnies françaises font beaucoup moins grève ?

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  853  mots
(Crédits : Reuters)
Alors qu'Air France essuie ce vendredi son 13ème jour de grève depuis février, la récurrence des conflits sociaux au sein de la compagnie interpelle par rapport aux autres transporteurs français. Des PDG de ces derniers livrent à La Tribune leur explication.

Douzième et treizième jour de grève à Air France ce jeudi et ce vendredi contre la politique salariale de la direction. Commencé en février, ce mouvement met en lumière la récurrence des conflits sociaux au sein de la compagnie. Chaque année ou presque, Air France est touchée par des grèves ou des préavis de grève tout aussi désastreux en termes de prises de réservation et de dégradation d'image. C'est un peu le propre des compagnies classiques européennes qui cherchent à s'adapter à un monde qui change.

Ailleurs, les grèves relèvent de l'exception

Pourtant, par rapport aux autres compagnies aériennes françaises, Air France fait figure d'exception. Certes, mise à part XL Airways qui n'a pas connu une seule journée de grève en 10 ans malgré des efforts considérables pour maintenir à flots une entreprise longtemps privée d'actionnaires, les autres compagnies comme Air Caraïbes, Corsair ou Aigle Azur ont également connu des grèves ces dernières années. Ce fut le cas de Corsair en 2015, au moment des négociations pour sa vente au groupe Dubreuil, maison-mère d'Air Caraïbes et de French Bee, mais aussi d'Air Caraïbes un an plus tard au moment du lancement de sa soeur low-cost, ou encore d'Aigle Azur l'été dernier, pour une amélioration des conditions de travail et de rémunération. Il y en aura d'autres, peut-être, même dès cet été parmi ces opérateurs. Mais sur la longue durée, ces mouvements relèvent de l'exception.

Pourquoi en-est-il ainsi, alors que les conditions de travail et de rémunération sont moins avantageuses que celles en vigueur à Air France (à l'exception des pilotes de B747 de Corsair) ?

Sentiment d'immortalité

Interrogés, plusieurs PDG de compagnies aériennes françaises ont donné leur avis sur le sujet. Tous mettent en avant la petite taille de leur entreprise qui leur permet un contact plus facile avec les syndicats et un meilleur dialogue social (ils connaissent tous les pilotes de leur compagnie par exemple). Tous font également état d'une bonne compréhension du risque d'un conflit lourd pour l'entreprise, tant côté direction que côté syndicats, mais aussi de l'absence de sentiment d'immortalité de leur compagnie, contrairement à Air France où cette certitude est bien ancrée chez le personnel et même partagé au plus haut niveau de l'entreprise, puisque quelques mois après sa prise de fonction, Jean-Marc Janaillac, le PDG d'Air France-KLM, avait déclaré lors d'une audition à l'Assemblée nationale que le risque de mort d'Air France « n'existait pas ».

Le rôle de la présence de l'Etat dans le capital d'Air France

Pour Marc Rochet, président de French Bee et directeur général de Groupe Dubreuil Aéro (GDA), une filiale du groupe Dubreuil dédiée aux métiers du transport aérien, « ce sentiment d'impunité -qui règne à Air France- est lié à la présence de l'Etat au capital (14,5%, NDLR), qui fonctionne comme un parapluie sous lequel tout le monde s'abrite. Ce parapluie empêche Air France de se projeter sur l'avenir ».

« Il n'y a aucune justification rationnelle à la présence de l'Etat dans le capital d'Air France. Le jour où l'Etat sortira complètement, Air France deviendra une grande entreprise », explique Marc Rochet.

« Nous sommes petits et vulnérables. Nous luttons pour notre survie. La préoccupation du personnel de Corsair, c'est la pérennité et le développement de l'entreprise », explique Pascal de Izaguirre, président du directoire de Corsair.

« Pour la direction et les syndicats, l'intérêt de l'entreprise prime », fait remarquer Laurent Magnin, qui précise par ailleurs que les petites compagnies ont été des accélérateurs de carrière, avec des pilotes qui ont eu accès au statut de commandant de bord d'avions long-courriers beaucoup plus tôt qu'à Air France. « Cela met les pilotes dans une relation différente à la compagnie ».

En 2016, le directeur général de IAG, Willie Walsh, avait lui aussi pointé le danger de ce sentiment d'immortalité.

"Je pense qu'il y a une forte croyance, au sein d'Air France, que le gouvernement français sera toujours là pour intervenir, qu'importe ce qu'il se passe, et donc qu'ils [les employés, Ndlr] n'ont pas besoin de changer (...) je pense que c'est de la folie parce qu'Air France est de plus en plus petit et de moins en moins pertinent dans un secteur où la taille est importante", déclarait-il. Willie Walsh estimait que "les personnels sont des gens rationnels" et que c'est seulement quand ils ne pensent pas que leur job est confronté à une menace réelle qu'ils se comportent de manière irrationnelle.

Interrogé, un pilote syndicaliste d'Air France (membre du SNPL), met lui aussi en lumière la taille de l'entreprise, mais aussi sa médiatisation qui met la direction sous pression, et le manque d'esprit entrepreneurial de la direction, nommée par l'Etat. Un syndicaliste sol partage lui aussi l'idée du sentiment d'immortalité solidement ancré au sein de la compagnie.