Taxis, VTC : l'Autorité de la concurrence étrille la loi Grandguillaume

Par Mounia Van de Casteele  |   |  1543  mots
Les nouvelles règles à suivre pour obtenir le statut de taxi ou de VTC ont été définies par un décret et quatre arrêtés parus le 7 avril au Journal officiel. Mais tel quel, le texte semble regorger d'absurdités selon l'Autorité de la concurrence.
Dans un avis au sujet de la loi sur le transport particulier de personnes (autrement dit les taxis et les VTC) rédigée par le député socialiste de Cote d'or Laurent Grandguillaume, l'Autorité de la concurrence estime que plusieurs points doivent être modifiés. Revue de détail.

Copie à revoir. Le verdict de l'Autorité de la concurrence est tombé. Selon l'institution, qui a rendu le 20 mars un avis publié mardi, la loi de Laurent Grandguillaume, rédigée et adoptée deux ans après la loi Thévenoud censée apaiser les relations entre taxis et voitures de transport avec chauffeur (VTC) - deux lois en deux ans ! - est loin d'être parfaite. Elle a peut-être le mérite d'établir les nouvelles règles à suivre pour obtenir le statut de taxi ou de VTC - elles ont été définies par un décret et quatre arrêtés, parus le 7 avril au Journal officiel. Mais tel quel, le texte semble regorger d'absurdités. Tour d'horizon.

Pour rappel, le député socialiste Laurent Grandguillaume disait vouloir défendre les "pots de terre" (les chauffeurs, qu'ils soient taxis ou VTC) contre les "pots de fer" (les plateformes). Avec sa loi, il a notamment voulu "simplifier" les statuts pour un même métier : à savoir celui de transporter des passagers sur la voie publique. Aussi le député socialiste de Cote d'Or a-t-il souhaité supprimer le statut dit "Loti" dans les grandes villes, en obligeant ces chauffeurs à conduire, via des plateformes de réservation type Uber, des véhicules d'au moins dix places. Autant dire que cela rend la chose impossible dans les agglomérations de plus de 100.000 habitants, où ils devront désormais passer l'examen pour devenir VTC, ou demander une équivalence s'ils peuvent justifier d'une expérience d'une année. Il s'agit de ces transporteurs occasionnels (le terme "occasionnel" s'oppose à "régulier" qui caractérise les horaires fixes d'une ligne de bus par exemple, ndlr) régis par la Loi sur le Transport Intérieur (d'où le terme "loti"). Pour eux, pas besoin de détenir une licence: il suffit de posséder un permis de conduire et de se faire salarier par un transporteur, qui détient, lui, une "capacité de transport" de personnes, c'est-à-dire, une autorisation administrative de transport de personnes, obtenue par examen. Leur véhicule se différencie de celui d'un VTC par le macaron violet sur le pare-brise, qui l'autorise à rouler dans les voies de bus, comme les taxis. Celui des VTC est vert.

15.000 chauffeurs sur le carreau

Problème : comme le relève l'Autorité de la concurrence, l'accès à la profession de VTC - qui n'est à la base pas réglementée ni contingentée, tout comme celle de moto-taxi ou de Loti - est gelé depuis l'entrée en vigueur de la loi Grandguillaume en décembre dernier. Et pour cause, depuis, aucun examen n'a été organisé ! Quant aux équivalences, elles sont, pour l'heure, quasiment inexistantes de par les démarches administratives nécessaires. L'Autorité met donc en garde contre les licenciements à prévoir pour quelque 15.000 conducteurs "travaillant pour des centrales de réservation de VTC dans des agglomérations de plus de 100.000 habitants":

"Les conducteurs salariés d'entreprises Loti légers (véhicules de moins de 9 places, ndlr) qui souhaitent continuer à exercer au sein de leur entreprise (qui ne pourra plus employer que des conducteurs de VTC à partir du 1er janvier 2018) devront soit réussir l'examen de VTC, soit disposer d'un an d'expérience cumulée, et ce avant le 1er janvier 2018, date à laquelle ils devraient être licenciés".

Pour éviter une telle situation, l'Autorité préconise donc de prévoir, pour quelques cas particuliers, une dérogation permettant de ne requérir que 3 mois d'expérience professionnelle (et non pas 1 an) pour les Loti exerçant avant l'entrée en vigueur de la loi Grandguillaume, dans le but de leur éviter d'être licenciés:

"La durée d'expérience professionnelle nécessaire pour accéder à la profession de VTC par équivalence devrait être réduite, par dérogation, à trois mois, afin de permettre aux conducteurs Loti légers, qui étaient en exercice avant l'entrée en vigueur de la loi Grandguillaume, de continuer à exercer leur activité dans leur entreprise actuelle au 1er janvier 2018 et d'éviter un impact important à cette date sur le bon fonctionnement des marchés de la réservation préalable".

Une période de transition trop courte

C'est pourquoi l'institution recommande qu'à l'avenir le gouvernement pense à prévoir des mesures transitoires suffisamment longues maintenant les règles en vigueur, le temps d'adopter les décrets d'applications nécessaire:

" L'Autorité recommande, compte tenu de l'instabilité du cadre juridique, susceptible de pénaliser le développement du marché de la réservation préalable en général, et de l'offre de VTC en particulier, qu'à l'avenir le gouvernement prévoie des mesures transitoires suffisamment longues (lorsqu'il porte des projets de loi) ou dépose des amendements en ce sens (lorsqu'il s'agit, comme au cas présent, d'une proposition de loi) maintenant les règles en vigueur, le temps d'adopter les textes d'application nécessaires".

Précisons cependant qu'à la base le texte de Laurent Grandguillaume prévoyait une période de transition de 18 mois, mais que certains acteurs consultés ont poussé pour réduire ce délai à 12 mois (du 1er janvier 2017 au 1er janvier 2018), tel qu'il a finalement été retenu en commission mixte paritaire.

Un examen pour les quatre statuts (Loti, moto-taxi, VTC et taxi)

L'institution pointe également une autre curiosité du texte. Elle relève en effet qu'à ce stade, aucun examen d'accès à la profession n'est prévu pour les conducteurs Loti légers, dont on ne vérifie d'ailleurs pas le casier judiciaire. Tandis que la profession de VTC, outre l'examen, est soumise à des règles de contrôle du casier judiciaire.

Injustifiée à ses yeux, cette différence de conditions d'entrée mériterait selon elle d'être révisée, dans la mesure où les professions de conducteur de VTC, de moto-pro et de conducteur Loti Légers "exercent une activité comparable au regard des enjeux de sécurité des passagers et de satisfaction de la clientèle et qu'elles exercent sur les mêmes marchés, en réservation préalable uniquement et en quasi majorité via des intermédiaires ou en tant que salariés [...] Par conséquent, si le gouvernement estime nécessaire d'aligner les modalités d'examen de VTC sur celles de taxi, il est recommandé de prévoir des dispositions similaires pour les professions de conducteurs de moto-pro et de conducteur Loti léger".

De la même manière, si l'exigence de formation continue et l'obligation de disposer d'un brevet de secourisme sont jugées nécessaires pour les taxis, elles devraient être imposées également aux conducteurs Loti légers, estime en outre l'institution.

Quant aux motos-taxis, l'Autorité rappelle qu'un examen aurait dû être mis en place au 1er janvier 2016, "mais n'a pourtant jamais vu le jour".

Les VTC devraient pouvoir devenir taxi par équivalence

De plus, l'Autorité estime que les VTC devraient pouvoir obtenir le statut de taxi par équivalence, comme cela est possible pour les Lotis avec les VTC. Et de rappeler qu'un travailleur européen doit pouvoir exercer son métier de taxi en France :

"Les modifications suivantes devraient être apportées au projet de décret : il devrait être prévu que tout conducteur professionnel peut prétendre à la profession de taxi grâce au même processus de reconnaissance de l'expérience professionnelle pour l'accession à la profession de VTC, comme cela est en outre prévu pour les ressortissants de l'UE, moyennant éventuellement un stage ou une épreuve correspondant aux spécificités de la profession de taxi".

Par ailleurs, dans la logique d'interdire toute clause - même implicite - d'exclusivité de la part des centrales de réservation pour leur chauffeurs partenaires, l'Autorité de la concurrence dit que les taxis doivent pouvoir travailler en tant que VTC avec un seul véhicule en masquant leurs équipements spéciaux.

"L'Autorité recommande de prévoir une disposition permettant aux taxis de masquer les éléments les plus distinctifs de leur véhicule afin de pouvoir l'utiliser en tant que conducteur de VTC et par corollaire, que la nouvelle signalétique VTC infalsifiable, prévue par le projet de décret, soit amovible".

Enfin, l'Autorité alerte sur une potentielle immixtion indirecte des taxis dans l'accès des VTC au marché de la réservation préalable avec l'organisation de leurs examens d'entrée par les chambres des métiers et de l'artisanat (CMA), dont les plateformes type Uber ou Chauffeur Privé redoutent la partialité. L'institution rappelle ainsi que, dans un souci d'impartialité, c'est à l'Etat de fixer le calendrier d'examen, déterminer le nombre de places, définir les sujets, les corrigés type et de décider de la composition des examinateurs et des jurys. Et glisse certains principes à respecter par les CMA, comme l'interdiction de placer un candidat en liste d'attente pendant plus de deux mois.

En bref, sur plusieurs points donc, l'Autorité rejoint le point de vue des plateformes de VTC. Reste à voir quelle portée aura cet avis pour le nouveau gouvernement et le nouveau ministre des Transports - si tant est qu'un ministère soit dédié à la mobilité en lieu et place d'un secrétariat d'Etat, comme le souhaitent les professionnels du secteur.

Article publié le 20 avril 2017, mis à jour le 21 avril 2017