La Direction générale de la Santé (DGS) explique le pilotage du programme de vaccination en France

Par Jérôme Cristiani  |   |  1339  mots
Conférence de Jérôme Salomon, directeur général de la Santé, le 7 décembre 2021. (Crédits : Reuters)
ENTRETIEN. La Direction générale de la Santé (DGS) répond aux questions de "La Tribune" sur la mise en œuvre et le pilotage du programme de vaccination des Français contre le coronavirus, à l'aube du lancement de cette opération d'une ampleur inédite en France. Un exposé nécessaire alors que beaucoup de questions notamment d'ordre logistiques se posent sur les vaccins concernés, leurs lieux de production, les conditions d'acheminement, la chaîne du froid, la hiérarchisation des publics bénéficiaires...

DOSSIER - La course aux vaccins

LA TRIBUNE - Quels vaccins seront utilisés en France, d'où viennent-ils et où sont-ils produits ?

DIRECTION GÉNÉRALE DE LA SANTÉ - La France utilisera les vaccins ayant fait l'objet d'accords de pré-achats au niveau de la Commission européenne dès lors qu'ils bénéficieront d'une autorisation de mise sur le marché.

Sur les six vaccins précommandés, quatre seront en partie produits en France, que ce soient les trois vaccins à ARN messager (BionTech-Pfizer, chez Delpharm en Eure-et-Loir ; Moderna chez Recipharm en Indre-et-Loire ; CureVac à Pau et dans l'Eure, ou le vaccin développé par Sanofi. Les autres vaccins seront développés sur le sol européen (Belgique, Allemagne, Italie, Pays-Bas, Espagne notamment).

En tant que hub routier et aéroportuaire, la Belgique, où se trouve le laboratoire Pfizer qui produit les premiers vaccins, sera-t-elle le principal centre névralgique européen tout au long de cette campagne de fabrication et d'acheminement de vaccins?

L'usine de production du vaccin de Pfizer/BioNTech se trouve à Puurs en Belgique. Compte tenu de la position géographique de la Belgique, elle sera le centre névralgique de la production et de l'acheminement de ce vaccin. Cependant, dès le printemps 2021, d'autres usines de production devraient venir s'ajouter à celle de Puurs. En outre, lorsque d'autres vaccins arriveront sur le marché de nouveaux lieux de production s'ajouteront.

Pouvez-vous détailler l'ensemble de la chaîne logistique entre les lieux de production et les pharmacies/médecins/hôpitaux.

Les vaccins de Pfizer sont à ce stade conditionnés en Belgique, sachant qu'un relais français pourrait intervenir au printemps.

Les doses sont acheminées par Pfizer et stockées au sein d'environ 6 plateformes logistiques et d'une centaine d'établissements de santé (un établissement par département). Au niveau de ces plates-formes et de ces établissements se trouvent des congélateurs maintenant à une température de -80°C les doses de vaccin.

Comme l'a rappelé le ministre Olivier Véran, deux circuits complémentaires seront mis en place pour plus de sécurité :

  • un circuit principal de distribution qui s'appuie sur les acteurs qui acheminent habituellement les médicaments, y compris les vaccins, vers les EHPAD ;
  • un second circuit qui s'appuiera sur une centaine d'établissements hospitaliers, notamment pour approvisionner les établissements pour personnes âgées qui sont adossés à ces hôpitaux.

Lors de cette première étape de la campagne, les relais locaux sont les officines et les pharmacies des établissements de santé (PUI). Dans les phases suivantes, le recours aux pharmacies d'officine sera encore développé.

Tous ces sites, plateformes et établissements de santé, existent, et emploient déjà des personnels qui travaillent pour la logistique santé. Elles fonctionneront à 90% comme elles le font au quotidien, avec toutefois une exigence supplémentaire de traitement d'un vaccin stocké à -80°C, ce qui est inhabituel.

Sur la question de la chaîne de commandement : qui a la responsabilité de cette organisation? Qui fait le choix des transitaires, qui pilote la chaîne multimodale et veille à l'optimisation des flux ? Qui va acheminer les vaccins dans les DOM TOM (compagnies aériennes, l'armée...?)?

L'organisation est sous la responsabilité du ministère de la Santé, qui s'appuie en particulier sur Santé Publique France, l'agence compétente en matière de logistique.

Les vaccins seront acheminés dans les DROM-COM par voie aérienne. Plusieurs flux sont prévus : par des vols militaires (qui ont d'ailleurs déjà préalablement permis la livraison des congélateurs), mais également par des compagnies aériennes et des transitaires. Presque toutes les compagnies françaises transporteront à un moment ou à un autre des vaccins ou des équipements pour vacciner.

Comment la sécurité de la marchandise (contre le vol, le terrorisme, la météo...) est-elle assurée tout au long de la chaîne de distribution?

Les forces de sécurité intérieure travaillent conjointement avec les acteurs de la santé (Agences régionales de santé, établissements, prestataires, transporteurs, pharmacies, etc.) à la sécurisation de la chaîne logistique dans le cadre de la mise en place de la campagne de vaccination contre la COVID-19.

La sécurisation des approvisionnements nécessite la prise en compte des différents risques (actes de délinquance ou de malveillance, attaques cyber, actions de militants anti-vaccins, etc.) et la mobilisation de tous les acteurs de la chaîne « santé » et de la chaîne « sécurité ».

Sous l'autorité des préfets, les forces de sécurité intérieure veilleront notamment à la sûreté des lieux de stockage et la sécurisation de la logistique et des transports les plus sensibles. Une gradation des dispositifs sera mise en place, de la vigilance particulière à la sécurité renforcée, selon la nature des transports et des risques associés.

Comment le vaccin est-il maintenu à la bonne température pendant sa fabrication et tout au long de la chaîne logistique jusqu'aux utilisateurs finaux ? Quels sont les vaccins les plus contraignants à ce titre ?

Les vaccins Pfizer/BioNTech sont envoyés dans des colis adaptés, appelés « Thermal Shipper » : ce sont des colis isothermes remplis de carboglace (dioxyde de carbone congelé), qui garantissent une température entre -76 et -80°C. De plus, une sonde mesure régulièrement la température effective dans l'alvéole où sont positionnés les flacons de vaccin. Ces données remontent dans le système d'information du laboratoire.

Les Ehpad et personnels soignants sont les premiers à être vaccinés. Quelles seront les prochaines catégories de population choisies, et quelles sont les contraintes de ces choix en termes de gestion de stocks et de flux? Comment se présente la planification, le calendrier, de cette campagne de vaccination?

La HAS (Haute Autorité de Santé) a établi un ordre de priorisation des personnes à vacciner :

En janvier/février, 1 million de personnes environ se verront offrir la possibilité d'être vaccinées lors de la première étape, à savoir les personnes âgées en EHPAD et les professionnels en établissements accueillant des personnes âgées et présentant un risque accru de forme grave ou de décès.

Puis, selon le calendrier effectif des autorisations de mise sur le marché et de livraisons des vaccins suivants, de Moderna et AstraZeneca, nous pourrons passer à la vaccination des publics prioritaires suivants, tels que définis par la HAS.

Les autorités sanitaires, avec la mise en place de l'étape 2, élargiront progressivement le spectre des personnes pouvant se faire vacciner aux plus de 75 ans, puis aux personnes âgées entre 65 et 74 ans et enfin les professionnels de santé et du médico-social âgés de 50 ans et plus et/ou présentant des comorbidités.

Une stratégie de vaccination élargie devrait ensuite commencer à partir du deuxième trimestre prochain, quand nous disposerons notamment du vaccin produit par Astra-Zeneca:

  • Personnes âgées de 50 à 64 ans;
  • Professionnels des secteurs essentiels au fonctionnement du pays en période épidémique (sécurité, éducation, alimentaire);
  • Personnes vulnérables et précaires et des professionnels qui les prennent en charge ;
  • Personnes vivant dans des hébergements confinés ou des lieux clos;
  • Reste de la population majeure.

Les contraintes sont celles liées pour le moment à la seule disponibilité du vaccin de PfizerBioNtech dont le mode de conservation (-80°C), le mode de transport (12h maximum) et d'utilisation (dans les 5 jours une fois décongelé) représentent des éléments majeurs à prendre en compte dans le déploiement de l'étape 2.

Combien va coûter cette campagne de vaccination : coût du vaccin, plateformes logistiques, matériels de transport, chaîne du froid, sécurité, supply chain numérique, personnels impliqués, pas seulement de santé, mais aussi les chauffeurs, pilotes, manutentionnaires...?

Le travail d'évaluation du coût du financement de la campagne vaccinale dans toutes ses dimensions est en cours. Nous ne sommes donc pas en mesure à ce stade de vous donner des chiffres consolidés.

Propos recueillis par Jérôme Cristiani