Armement : Crise entre Thales et Abu Dhabi

Dans un document officiel, les diplomates français alertent le groupe des risques à ne pas signer l'accord-cadre sur les offsets, les compensations pour obtenir les contrats à l'export, mis en place par les Émirats arabes unis.
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C'est un télex diplomatique explosif. Pour Thales, mais pas seulement. Il l'est aussi pour la plupart des enjeux commerciaux français aux Émirats arabes unis (EAU). Selon ce document officiel émis le 18 février d'Abu Dhabi et dont « La Tribune » s'est procuré une copie, la situation de Thales dans ce pays prioritaire pour la France, est jugée « délicate ». « Les prises de position - sur les offsets [les compensations pour obtenir un contrat à l'export, Ndlr] notamment - sont incompréhensibles pour les autorités émiriennes. Elles peuvent impacter négativement les intérêts du groupe aux EAU, et indirectement sur certains projets, nos intérêts globaux », dont la vente de Rafale, s'alarment les diplomates en poste à Abu Dhabi. Ce constat est confirmé par plusieurs sources contactées par « La Tribune ». « Cette attitude paraît de plus en plus intenable sauf à accepter des dommages durables », explique l'ambassade d'Abu Dhabi.

Que se passe-t-il entre Thales, pourtant « qualifié ces dernières années de très bon partenaire » par Abu Dhabi, et les EAU ? À l'origine, une posture du PDG du groupe d'électronique, Luc Vigneron, qui entraîne un conflit avec ce pays du Golfe. Thales ne souhaite pas signer « le cadre des nouvelles règles d'offset mises en vigueur par les autorités émiriennes depuis septembre 2010 ». En dépit de « plusieurs discussions techniques » entre l'électronicien et l'Offset Program Bureau (OPB), notamment à l'occasion du dernier salon de défense Idex à Abu Dhabi, Thales n'a pas réussi à trouver un accord en février en voulant négocier des clauses particulières d'application du cadre général. « Ce qu'aucune société n'a fait à ce stade », assure l'ambassade française. Pourquoi Thales ne veut-il pas signer cet accord ? Le groupe estime que ce nouveau cadre des offsets lui fait courir des « risques financiers ». En clair, le client peut à tout moment réduire sa commande sans pénalités. Pour autant, Safran l'a déjà signé après avoir réalisé une étude financière.

des contrats non notifiés

En dépit de cette situation, Luc Vigneron n'aurait pas infléchi sa position depuis. Et pourtant ce conflit irrite fortement à Abu Dhabi où aucun grand patron français dans l'armement n'avait fait le déplacement pour le salon d'Idex à l'exception de celui de Nexter. À commencer par le patron de l'OPB, Saif Al Hajiri, qui en a référé au prince héritier Cheikh Mohamed bin Zayed Al Nahyan. Le PDG de l'OPB a d'ailleurs refusé en début d'année « de recevoir le PDG de Thales ». Irritation également du prince héritier qui, lors de l'inauguration du salon Idex, a visité les stands des grands industriels français... à l'exception de celui du groupe d'électronique. « Cette visite a été particulièrement cinglante pour Thales », relatent les diplomates. Après s'être rendu successivement sur les stands de MBDA et Dassault Aviation, « le prince héritier est passé devant le stand de Thales, pourtant situé entre celui de Dassault et EADS, sans s'y arrêter ».

Que risque Thales ? Plusieurs contrats remportés ne peuvent être pour l'heure notifié tant que le groupe ne paraphe pas l'accord-cadre sur les offsets. Soit une cinquantaine de millions d'euros depuis septembre 2010. Cette situation « risque d'avoir un impact » sur les compétitions en cours où Thales « est pourtant short listé ». Au-delà, c'est aussi la satisfaction des clients, notamment les forces armées, qui risque d'être « ébranlée ». Ainsi, les clients « commencent à manifester leur impatience, voire une certaine irritation à l'endroit du groupe français ». L'irritation gagne aussi les partenaires industriels locaux de Thales, à l'image d'Advanced Integrated Systems (AIS), mis sur la touche sur un projet d'avion Sigint (renseignement électronique).

En conclusion, les diplomates français alertent Thales des « risques très graves qu'il encourt à s'enfermer dans l'attitude actuelle ». Ils engagent le groupe à avoir « une approche distincte entre les offsets liés au futur contrat Rafale et ses autres projets aux Émirats ». Seul un changement rapide du positionnement de Thales sur la question des offsets pourra apaiser « l'ensemble de la relation avec tous ses partenaires aux Émirats arabes unis, qu'ils soient étatiques ou industriels ». Contacté par « La Tribune », Thales n'a pas souhaité faire de commentaires.

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