Crise : ça va durer encore longtemps ?

<b>LES FAITS -</b> Après trois trimestres consécutifs de croissance zéro, le nombre des chômeurs a dépassé cet été la barre symbolique des 3 millions.<br />LES ENJEUX -</b> enjeux François Hollande estime à deux ans le temps nécessaire au redressement. Mais l'hypothèse du retour de la croissance reste encore très incertaine...
Siège de Lehman Brothers à New-York / Reuters

Quatre ans tout juste après la faillite de Lehman Brothers, qui a déclenché une crise mondiale du crédit et la plus forte récession de l'après-guerre en Europe, l'économie française paraît engluée dans la stagnation, synonyme de crise sociale (hausse du chômage, de la pauvreté...). Un triple zéro pour la croissance, pourrait-on dire, après l'annonce de trois trimestres consécutifs de stricte stabilité du PIB. Bien sûr, en annonçant le 6 septembre des mesures choc de soutien aux États européens en difficulté financière (rachat illimité d'obligations de moins de trois ans), la Banque centrale européenne (BCE) a permis d'éviter le pire, l'éclatement de la monnaie unique. Mais l'euro est-il, pour autant, tiré d'affaire ? Et, surtout, peut-on enfin espérer une sortie de crise économique ? Pour quand ? Dimanche dernier, François Hollande a évoqué deux ans de redressement, tout en affirmant que cette période de vaches maigres peut s'accompagner d'un peu de croissance. Il a retenu le chiffre de +0,8?% pour 2013. Mais qui croit vraiment à une telle prévision, à un pronostic définitif?? Mieux vaut envisager les différents avenirs possibles, pour l'économie française et la zone euro. Trois scénarios se dégagent. Le plus noir, celui d'une chute dans une spirale dépressive, comme le plus rose, celui d'un retour rapide de la confiance, ne sont pas les plus vraisemblables. Mais on ne peut les écarter. Entre les deux, le scénario dit central, dont la probabilité est plus élevée, à entendre les économistes, est celui d'une stagnation économique, qui durera entre 18 mois et... de nombreuses années.

Scénario 1 : le cycle austérité-récession
Le vrai scénario noir, jusqu'à ces dernières semaines, c'était celui de l'éclatement de la zone euro. Il n'est pas totalement exclu, même si Mario Draghi, le président de la BCE, en a fortement réduit la probabilité. « L'éclatement de l'euro serait dramatique, y compris pour l'économie française, souligne le directeur des études économiques de Natixis, Patrick Artus. Le taux de change s'apprécierait vis-à-vis de pays sortant de l'euro comme l'Espagne ou l'Italie, beaucoup plus que lors de la crise des changes de 1992-1993 (qui avait provoqué une récession). Du coup, les exportations s'effondreraient. »L'hypothèse d'un sauvetage pé-renne de la zone euro ne permet pas de balayer totalement le scénario de l'approfondissement de la crise, non pas financière, mais économique. Les économistes keynésiens craignent bien sûr les conséquences des politiques d'austérité budgétaire. « Le fait que tous les pays pratiquent en même des temps des coupes dans leurs budgets va provoquer une vraie récession, estime Éric Heyer, directeur adjoint du département analyse et prévision à l'OFCE. Surtout si les gou-vernements s'accrochent à la perspective d'un déficit public zéro, et renforcent la rigueur à mesure que celle-ci échoue à donner des résultats. » Le PIB de la zone euro, et donc de la France, pourrait alors reculer de 1,5 % par an pendant plusieurs années...Des experts plus libéraux, insistent sur le risque politique qu'accroît l'austérité à marche forcée. « Ma vraie crainte, c'est un changement politique radical sous la pression de l'opinion, qui ne supporterait plus les coupes budgétaires. Cela peut se produire dans un pays comme l'Italie », affirme Éric Chaney, chef économiste du groupe Axa. De quoi ramener à l'hypothèse précédente de la catastrophe européenne, avec l'éclatement de la zone euro...

Scénario 2 : le « miraculeux » retour de la confiance
L'autre hypothèse extrême, c'est celle qu'ont envie de retenir les ministres socialistes - même s'ils sont de moins en moins nombreux à lui accorder du crédit - celle d'un retour rapide de la confiance, sous l'effet des premières mesures prises par le gouvernement. Comme sous Lionel Jospin, qui, en fait, avait été élu alors que la croissance repartait spontanément. Sans croire à une reprise tombant du ciel, l'économiste Karine Berger, devenue députée PS en juin, veut alimenter ce scénario : « Il existe des raisons purement techniques, pour croire à un rebond, comme le fait que les entreprises ont beaucoup déstocké au début de l'année : elles vont devoir produire pour reconstituer ces stocks. Et des raisons de politique économique : les contrats d'avenir comme les contrats de génération, qui seront mis en place plus vite que prévu, vont alimenter le pouvoir d'achat. » D'autres, économistes, loin d'être béats d'admiration devant le travail gouvernemental, ne veulent pas exclure l'hypothèse d'un retour de la confiance : « On peut imaginer qu'une avancée beaucoup plus rapide que prévu sur un dossier fondamental comme l'union bancaire européenne produise un vrai choc de confiance », affirme Éric Chaney.
Pour Éric Heyer, il faudrait « simplement » que le gouvernement soit en mesure de trouver des hausses d'impôts sans impact ou presque sur l'économie. Or « on voit toujours, après coup, que des mesures annoncées comme sans effet négatif sur la conjoncture l'ont tout de même impactée », dit-il. Bref, le scénario rose, que tout un chacun aimerait voir se réaliser, n'est pas « dans les cours », comme disent les boursicoteurs.

Scénario 3 : la stagnation durable, à la japonaise
« Le plus probable, pour les années à venir, c'est une lente stabilisation financière, au sein de la zone euro - finies les crises à répétition, les attaques spéculatives -, mais sans solution pour l'économie réelle », dit Patrick Artus, qui présente une version pessimiste du scénario central, celui de longs mois de stagnation de l'activité. « Ce sera entre -0,5 % et +0,5 % par an pour le PIB », estime le chef économiste de Natixis, et ce « pendant de longues années ». D'où vient ce marasme ? D'une désindustrialisation que nul n'est en mesure de stopper, tant la France a perdu tout avantage comparatif. « Nous avons laissé partir toutes les activités à haute valeur ajoutée, elles ont été siphonnées par l'Allemagne», dit-il. La seule voie de sortie serait que « les Européens se coordonnent pour mettre en place de fortes incitations à la réindustrialisation », dans toutes les zones mal en point. Mais cela suppose « que les Allemands acceptent de revenir en arrière, et de perdre des industries qu'ils ont su capter, ce qui est hautement improbable ».

Les politiques d'austérité dépriment l'activité

Réduire les déficits publics dans ce contexte est impossible, estime Patrick Artus. Les politiques d'austérité dépriment encore plus l'activité économique, et ne font qu'aggraver, in fine, l'endettement. Voilà pourquoi la zone euro, Allemagne exceptée, va de plus en plus ressembler au Japon, avec un endettement public fortement croissant, assorti de taux d'intérêt très faibles, affirme-t-il.
Pour le gouvernement, le plus difficile est de devoir agir dans ce brouillard, même si le scénario le plus probable est celui d'un retour progressif à la croissance, après un à deux ans de difficultés. « Le point critique, c'est le déblocage du crédit, souligne Éric Chaney. La BCE semble vraiment décidée à agir de ce côté. Les entreprises vont finir par estimer le coût du crédit particulièrement intéressant, et recommencer à dépenser. »En tout état de cause, la crise, même si elle prend fin dans moins deux ans, aura rebattu les cartes de la compétitivité. Les entreprises espagnoles, par exemple, qui auront vu le coût du travail considérablement diminué au cours de la crise, deviendront des concurrentes redoutables pour leurs homologues françaises. Le risque existe donc que l'économie française, à moins d'accélérer le pas des réformes, affiche durablement des performances économiques inférieures à la moyenne de la zone euro.

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FOCUS
France, terre d'inégalités??
Rien à voir avec les États-Unis, où les inégalités ont littéralement explosé ces vingt dernières années. Mais en France aussi, le creusement des écarts de revenu est bien réel. Constante depuis la mi-2000, la hausse du nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté s'est fortement accélérée en 2010 (+?444?000), selon les dernières données de l'Insee.Quant au revenu médian, il amorce une baisse, alors que celui des plus aisés augmente continûment. Depuis 1996, selon l'Insee, le premier a augmenté de 17,9?%, tandis que le second a crû de 23,9?%. On peut donc dire que la crise est aussi en train de creuser fortement les inégalités en France.

 
>> ILLUSTRATION Crise en France: les chiffres qui fâchent

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