« Ma priorité est de ralentir la production »

Votre chiffre d'affaires a chuté de 7 % au troisième trimestre. Vous attendiez-vous à être aussi fortement touché par la crise??Nous avions dit bien avant les autres que le luxe serait affecté par la crise. Nous ne sommes donc pas surpris, à part peut-être sur notre mauvaise performance en Chine en décembre. Il y a dans ce pays deux grosses chaînes de distribution. L'une, qui possède 300 magasins, n'a rien acheté, et l'autre essaie de réduire ses stocks. Nos magasins en propre fonctionnent bien mieux. D'ailleurs, 7 % de baisse, ce n'est pas la fin du monde, surtout compte tenu des performances exceptionnelles de l'année dernière. Et puis on offre souvent un produit de luxe pour déclarer sa flamme, et l'amour ne va pas disparaître avec la crise.À l'intérieur de votre groupe, quelles sont les divisions les plus impactées et qu'en est-il de vos profits??Cela dépend plus des marques. Une maison comme Piaget, qui est très forte en Asie, s'en sort plutôt bien car cette région du monde n'est pas l'épicentre de la crise. Alors que celles, comme Cartier, qui ont une forte présence aux États-Unis, peuvent vivre des moments plus difficiles. Mais Cartier est protégé par son portefeuille très haut de gamme. Quant à l'impact sur les profits, si nous vendons moins, il y en aura forcément un.Quels sont vos atouts pour faire face à cette conjoncture??Nous avons un bon « business model » car nous sommes très décentralisés. Les patrons de chaque maison sont des entrepreneurs indépendants, ce qui crée une saine émulation au sein du groupe. Je leur rappelle aujourd'hui que Richemont n'est pas une banque et je les encourage à gérer leur trésorerie mieux que jamais. Je leur rappelle aussi que nos maisons seront là après nous et que nous devons adopter une gestion de long terme.Quelle est votre stratégie pour répondre à cette crise?? Ma priorité est de ralentir la production?! Les stocks sont la pire chose qui puisse arriver dans cette industrie. Personne ne sait à quoi ressemblera l'année qui vient, d'autant plus que les taux de change varient en permanence. Il ne faut donc pas produire ce qui ne peut pas être vendu. Nous avons décidé de recourir au chômage partiel chez Cartier. Une mesure que nous allons peut-être étendre à d'autres maisons tout en faisant attention à ne pas perdre notre personnel hautement qualifié. Ces dernières années, nous avions au contraire eu du mal à embaucher. Le chômage partiel est donc le meilleur moyen de voir venir sans perdre nos équipes.Allez-vous ralentir vos ouvertures de boutiques ou vous orienter vers d'autres canaux de distribution comme Internet??Il faudrait faire beaucoup pour me convaincre d'investir demain dans de nouvelles boutiques aux États-Unis. Mais les emplacements de prestige sont très difficiles à trouver. Donc, si l'occasion se présente, nous la saisirons. Dans l'ensemble, nous ouvrirons moins de points de vente en restant concentrés sur les marchés porteurs comme la Russie, le Moyen et l'Extrême-Orient. Nous nous sommes fortement développés en Asie et en Chine en particulier, notamment avec des marques comme Cartier, Vacheron Constantin ou Mont Blanc. L'e-commerce est une vraie tendance contre laquelle nous ne tenterons pas de lutter. Nous sommes d'ailleurs en test au Japon pour vendre certains produits de Cartier et Mont Blanc par Internet. C'est possible pour des bijoux aussi connus que la bague Trinity, de Cartier. Mais si le client veut vivre une vraie expérience de shopping, rien ne remplace les boutiques. Quant à nos détaillants multimarques, nous faisons plus que jamais attention à eux pour leur apporter le meilleur service possible car les achats ne sont plus automatiques.Certains de vos concurrents souhaitent profiter de cette période pour faire des acquisitions. Allez-vous investir avec votre milliard d'euros de trésorerie??Il nous reste un peu moins que ça aujourd'hui, mais notre bilan est solide et nous restons ouverts à des acquisitions à condition qu'elles apportent réellement quelque chose à notre portefeuille. Le rachat de Roger Dubuis, l'année dernière, nous a par exemple apporté une touche d'exubérance que nous n'avions pas dans les autres maisons. La situation pourrait accélérer les opportunités mais ce n'est pas la priorité du groupe.Que faites-vous pour réduire votre dépendance, vis-à-vis de Swatch par exemple, pour certains composants de vos montres??Comme les autres grands groupes, nous avons racheté beaucoup de petits spécialistes sous-traitants ces dernières années et nous continuerons d'investir dans le futur. Nous avons aussi de très bonnes relations avec le groupe Swatch, qui nous a toujours encouragés à acheter ses composants.Beaucoup de vos montres et bijoux coûtent plus de 100.000 euros, y a- t-il toujours une clientèle??Oui, car l'amour est toujours là. Même si vous perdez 70 % de 5 milliards, vous êtes toujours riche et voulez continuer à faire plaisir. De plus, les personnes qui achètent des bijoux d'exception savent qu'ils prendront de la valeur dans le temps. Nous devons continuer à monter en gamme en renforçant toujours plus le côté iconique de nos marques. Vous avez justement positionné les nouvelles montres Ralph Lauren, issues du récent partenariat avec la griffe de luxe, sur le très haut de gamme??En effet, mais Ralph Lauren a choisi Richemont pour sa capacité à créer des objets intemporels et non des produits de mode. Quant à nous, ce partenariat nous apporte un nouveau type de consommateur et de style de vie autour de l'équitation. Beaucoup de marques de luxe ont lancé leurs gammes de montres. Est-il opportun de se diversifier?? Nous avons déjà engagé de grandes stratégies de diversification. La plus récente sur Mont Blanc est un vrai succès. Mais ce n'est plus le bon moment aujourd'hui. Quand on a de l'argent, on fait des expériences, mais quand on en a moins on préfère se réfugier sur des marques reconnues dans leur spécialité. Mais pourquoi pas demain sur des marques comme Chloé ou pour des bijoux Ralph Lauren. Propos recueillis par Sophie Lécluse, à GenèveNorbert Platt, pdg de Richemont
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