Des petits actionnaires furieux de la fonte de leur capital,...

Grande Arche de La Défense, 30 avril 2009. L'assemblée générale de Natixis a beau avoir été programmée la veille du long week-end du 1er mai, les petits actionnaires sont venus en masse. Ils sont près d'un millier à avoir pris place dans la salle. Des sifflets se font entendre. Des insultes fusent : « Bon à rien ! », « Vendu ! », « Voleur ! ». François Pérol, le nouveau président de Natixis, encaisse sans broncher. Les petits actionnaires, pour l'essentiel des retraités, séduits lors de l'introduction de Natixis, sont venus pour dire leur colère. La filiale des Banques Populaires et des Caisses d'Épargne a perdu 2,8 milliards d'euros en 2008. Mais les petits actionnaires de la première heure ont, eux, potentiellement perdu près de 95 % de leur investissement initial en deux ans. Le titre ne vaut plus que 1 euro. Parmi ceux qui sont là, certains sont ruinés. La révolte gronde. « Natixis a été créé à grands coups de communication. On nous a bien endormis avec tout le battage dans les réseaux [de l'Écureuil et des Banques Populaires, Ndlr] », s'exclame un actionnaire. « Nous sommes des clients des réseaux mais vous vous moquez des actionnaires français moyens », lance un autre à François Pérol. Même s'il vient d'arriver, l'ancien conseiller de Nicolas Sarkozy ne peut qu'encaisser les réprimandes et faire profil bas. « Je vous comprends, vous avez raison d'être en colère, mais Natixis peut se redresser », assure-t-il à plusieurs reprises. Deux jours plus tôt, le 28 avril, au Carrousel du Louvre, à Paris, Lars Oloffson découvre lui aussi les délices de la démocratie actionnariale en temps de crise. Le fraîchement nommé directeur général de Carrefour doit faire bonne figure alors qu'il se fait vertement tancer par un petit actionnaire. Les quarante-cinq minutes qu'il a consacrées à la présentation de sa vision stratégique du numéro deux mondial de la distribution ont laissé celui-ci sur sa faim : « Ce que vous nous présentez là n'est que de l'habillage, du ?window dressing?. Ce n'est pas une stratégie. Or, cela fait cent dix-huit jours que vous êtes aux commandes du groupe. La semaine dernière, à l'assemblée de Sanofi-Aventis, Chris Viehbacher, qui est à la tête du groupe depuis cent sept jours, a été, lui, en mesure de nous présenter sa stratégie. » Mais Lars Olofsson n'est pas homme à se laisser désarçonner : « Il s'agit plutôt de faire du ?window cleaning? ! Et après cent dix-huit jours, il serait fort prétentieux de présenter une stratégie ! » répond-il du tac au tac. Ce millésime 2009 se révèle d'autant plus difficile pour les dirigeants d'entreprise du CAC 40 qu'un certain nombre d'entre eux étrennent dans ces AG leurs habits neufs de PDG. Pour sa première devant les actionnaires de la Société Généralecute; Générale, Frédéric Oudéa semble avoir reçu un entraînement poussé aux techniques de la prise de parole en public. Il ponctue chaque phrase en agitant sa main de haut en bas, dans un geste clairement emprunté aux hommes politiques. Mais ces effets de manche ne suffisent pas à susciter l'adhésion générale. Des « oooh » de commisération feinte s'élèvent de la salle chaque fois qu'à la tribune on évoque le renoncement des dirigeants à leur rémunération ? après l'affaire Kerviel ?, à leur bonus ? sur pression du gouvernement ? ou à leurs stock-options. Et pourtant, pour éviter que l'AG ne se transforme en bureau des plaintes, les organisateurs ont multiplié les parades. À l'entrée de la salle, on propose aux clients actionnaires mécontents de se rendre immédiatement au « stand de relations commerciales ». Puis, la séance commencée, Frédéric Oudéa demande que les questions ne prennent pas plus de deux minutes. D'emblée, le premier actionnaire à saisir le micro, un homme d'âge mûr, le rabroue en soulignant que la présentation a duré près de trois heures : « Maintenant, on va débattre, et on va prendre le temps qu'il faudra. » Et il poursuit sur un ton tout aussi véhément : « Sur le choix de la banque de majorer le dividende 2009, vous avez répondu de manière expéditive et, je dois vous le dire, un peu arrogante. » Il n'est pas le seul à profiter du micro tendu pour faire pleuvoir les reproches : « Comment expliquez-vous que les autres banques ne provoquent pas la même défiance ? Vous devriez changer de stratégie de com ! » conseille l'un. « Est-ce que cette fois, tous les cadavres sont sortis des placards ? » s'interroge un autre. Des soupçons de manipulation des comptes que paraissent partager d'autres petits actionnaires. Quand on lui demande s'il a « manipulé les comptes du trimestre pour tirer un trait sur l'ère Bouton et pouvoir présenter de bons résultats aux prochains trimestres », Frédéric Oudéa finit par rétorquer qu'on « ne manipule pas les comptes, ils reflètent l'état du march頻. « Vous avez parlé d'éthique et de rupture, pourtant Daniel Bouton s'est vu octroyer un bureau, une secrétaire et une voiture avec chauffeur à vie, alors qu'il a 700.000 euros de retraite », s'insurge un autre actionnaire, obligeant le PDG à rectifier l'allégation : « Seulement pour un an. » Le sujet des avantages octroyés aux dirigeants actionnaires est de toute évidence celui qui génère le plus d'acrimonie en ces temps de disette. Témoin, cette interpellation d'un actionnaire de LVMH demandant à Bernard Arnault pourquoi il s'était arrogé à lui seul 42 % des stock-options de l'entreprise. « Monsieur, vous vous trompez dans vos calculs », lui avait rétorqué le PDG d'un ton qui ne souffrait aucune objection. Horrifiés d'avoir vu la valeur de leur portefeuille fondre comme neige au soleil, la majorité des petits porteurs ont le sentiment d'être les cocus de la crise. « Vous prenez soin des grands actionnaires institutionnels, mais est-ce que les actionnaires individuels vous intéressent ? » Cette question posée par l'un des petits porteurs de titres Société Généralecute; Générale résume bien leur humeur du moment. Mais ont-ils vraiment le loisir d'aller au bout de leur colère ? Directeur associé d'Euro RSCG C&O, Guy Loichemol conseille de nombreuses entreprises cotées. À demi-mot, cet expert en communication consent à reconnaître que les AG sont organisées de telle sorte que les dérapages restent très contrôlés et les sorties de pistes quasi impossibles : « On a travaillé sur le fond afin que les dirigeants apportent soit en amont soit pendant leur intervention les réponses aux questions que se posent les actionnaires. Dans ces moments-là, il convient de ne pas donner prise à la contestation et surtout il faut éviter l'étincelle qui peut mettre le feu aux poudres. » Un travail de préparation d'autant plus facile que la maîtrise de l'ordre du jour reste une prérogative des organisateurs.*Avec Juliette Garnier, Benjamin Jullien, Sophie Lécluse et Matthieu Pechberty
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